Christian BRODHAG

est délégué interministériel au Développement durable.

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Histoire d’un concept et perspectives pour le Bâtiment

En quelques années, le développement durable est passé en France du statut d’un concept obscur réservé à quelques spécialistes, à un objectif évoqué à tout moment, au risque de justifier n’importe quelle politique. D’un concept un peu vide de sens pour le grand public, on est passé à un concept peut-être trop plein de sens.

Ce concept de développement durable est le prolongement de débats sur les limites de la croissance qui avaient agité le début des années soixante-dix. Le diagnostic était que dans un monde fini, il n’est pas possible d’envisager une croissance indéfinie de la consommation des ressources et des pollutions. Ces mêmes problèmes sont évoqués aujourd’hui, à cela près que les priorités sont inversées : les pollutions sont considérées comme plus inquiétantes que l’épuisement des ressources naturelles.

Une réponse anti-malthusienne

Si le diagnostic n’a pas changé, il est partagé par un plus grand nombre. D’une position contre la croissance, on est passé à une tentative de réconciliation du développement économique et de l’environnement. Il y a trente ans, on brocardait les néomalthusiens, en faisant référence au pasteur Malthus, cet économiste du début du XIXe siècle qui annonçait les famines en s’inquiétant de voir la population augmenter plus vite que la capacité de production agricole. Or Malthus a fait une double erreur.
La première est d’avoir sous-estimé la capacité du progrès scientifique à augmenter les rendements agricoles, la seconde est d’avoir proposé des solutions eugéniques comme celle de supprimer la loi anglaise d’assistance aux pauvres pour éviter leur « procréation ». La maîtrise de la « masse » des pauvres, qu’il proposait, permettait en fait de préserver les intérêts des riches.

Le développement durable est en ce sens une réponse anti-malthusienne ; socialement acceptable pour être politiquement possible, elle s’appuie sur le progrès technologique pour tenter de rendre le développement écologiquement compatible avec les ressources et les équilibres de la biosphère en découplant croissance économique et pressions sur l’environnement. L’objectif est de procurer des conditions de vie décentes pour tous dans les limites de la capacité de charge de la planète. C’est-à-dire que les politiques environnementales ne doivent pas être une entrave au développement des pays les plus pauvres.

C’est dans ce sens que la commission présidée par madame Brundtland définissait le développement durable comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de “besoin”, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale imposent sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir1. »

L’objectif principal des pays en développement devrait donc être un développement qui n’augmente pas trop leur pression sur l’environnement. En revanche, celui des pays développés devrait être de diminuer considérablement leur pression. Que l’on utilise des indicateurs comme l’empreinte écologique (la surface nécessaire pour apporter les ressources consommées et les déchets générés par une population) ou la contribution à l’effet de serre, on considère qu’il faudrait réduire d’un facteur 4 à horizon de vingt ans et d’un facteur 10 à horizon de cinquante ans les ressources et le territoire nécessaires pour le développement des pays riches. On mesure l’ambition…

Régulations mondiales et solutions locales ?

Les grandes questions, comme les changements climatiques ou la préservation de la biodiversité, ont, bien entendu, d’abord été envisagées au niveau mondial en soulevant une question institutionnelle : comment mettre en place des régulations environnementales et sociales en face de la mondialisation libérale ? L’échec du sommet de Cancun en démontre la difficulté. Mais comme la plupart des solutions sont à mettre en œuvre au niveau local, il faut aussi concevoir des outils et des méthodes au plus près du terrain qui combinent des approches réglementaires et fiscales, des outils du marché et des approches volontaires.

Le programme de la conférence Habitat II (Istanbul 1997) insistait sur le fait que de nouvelles approches s’avèrent nécessaires : elles doivent être intersectorielles et holistiques, intégrant le développement, l’environnement et les droits de l’homme, et prendre en compte l’interdépendance entre les acteurs à travers les cloisonnements professionnels et entre la société civile, les gouvernements et les entreprises (nationales et multinationales).

Le programme d’action défini à Johannesburg, en 2003, a mis l’accent sur la modification des modes de production et de consommation en proposant une approche par les principales fonctions (habitat, vêtements, mobilité, nourriture, santé, éducation, loisir, sécurité) qui doivent répondre aux besoins élémentaires. Parmi les méthodes, ce programme insiste sur l’approche par l’analyse de cycle de vie. Un programme d’action décennal a été lancé qui propose une approche intégrée pour la fonction « habitat ».

La contribution du Bâtiment

La contribution du Bâtiment aux problèmes globaux est majeure. En France, ce secteur représente près de 45 % de la consommation d’énergie, et 36 % des émissions nationales de gaz à effet de serre (source IFEN). C’est également celui où les gains de productivité apparaissent comme les plus accessibles. La Stratégie nationale de développement durable considère « nécessaire de poursuivre le progrès sur la construction neuve, afin de permettre l’émergence, à terme, de bâtiments ne nécessitant ni chauffage ni climatisation ». Quand on considère les effets dramatiques de la canicule, on voit l’urgence à s’orienter vers des interventions sur le bâti au lieu de la climatisation qui contribue à augmenter les émissions de gaz à effet de serre tout en générant une demande supplémentaire d’électricité en été, et donc une pression sur les fleuves qui refroidissent les centrales.

Il apparaît souvent une contradiction entre les intérêts de court terme et les objectifs que l’on peut se donner à long terme. L’information et la sensibilisation sont plus que jamais nécessaires. La transposition de la directive européenne sur l’efficacité énergétique des bâtiments y contribuera en imposant l’affichage des consommations de chauffage des bâtiments. L’application de cette disposition de la loi sur l’air de 1997, qui avait été différée, devra être mise en place avant la fin 2005.

Sur le plan des normes, la Stratégie nationale du développement durable a fixé l’objectif, pour 2005, que 20 % des nouvelles constructions de l’Etat répondent à la démarche Haute qualité environnementale (HQE) ou au label Haute performance énergétique (HPE) ou équivalent, et 50 % à compter de 2008.

Dans une profession qui repose principalement sur un tissu de PME et d’artisans, il faut que cette innovation globale, tant technologique que méthodologique, se diffuse sans freins, et ne contribue pas à l’éviction de certains acteurs ou à des rentes de situation, d’où l’importance des normes et de la transparence. Il ne faut pas, en effet, mésestimer les coûts de transaction pour la diffusion des innovations dans un contexte d’asymétrie de l’information entre le constructeur et le client, entre les grands groupes et les PME, entre les propriétaires et les locataires.

Diminuer les coûts de fonctionnement des bâtiments

On dispose aujourd’hui d’une méthode de calcul du coût global énergétique des bâtiments, il faudra en faire de même pour l’analyse de cycle de vie (ACV) : la qualité des bases de données de cycle de vie est essentielle. Il s’agit moins de fixer des normes techniques que de s’entendre sur des méthodes de mesure de la performance. Il faut en effet se situer dans une obligation de résultats et non plus de moyens. L’évaluation de la performance peut en effet permettre la souplesse sur les moyens et ainsi favoriser l’innovation.

La SNDD2 marque aussi un intérêt pour « l’expérience suisse, où certains bâtiments parviennent à des consommations énergétiques trois fois moindres que les normes françaises de 2000, moyennant un surcoût de construction de 15 à 20  % ».

L’objectif de la sobriété énergétique conduira à augmenter le coût de la construction tout en diminuant celui de la consommation d’énergie, et donc des coûts de fonctionnement du bâtiment tout au long de son utilisation. Une première analyse pourrait susciter des craintes de voir la demande de logements se contracter du fait de leur renchérissement. La réalité est tout autre, elle conduira à transférer de façon importante les budgets des consommations d’énergie vers ceux de la construction ou la requalification du bâti, c’est-à-dire du fonctionnement vers l’investissement. Cette mutation pose fondamentalement les problématiques des marchés publics, des incitations fiscales et des équilibres entre investissement et fonctionnement.

L’intégration n’est pas seulement verticale le long du cycle de vie mais aussi transversale, c’est-à-dire l’insertion locale dans le système urbain. Entre l’échelle de l’urbanisme et celle du bâtiment, il faudra penser des solutions en termes d’environnement : l’ensoleillement, les micro-espaces verts, les terrasses, tous éléments qui ont une influence sur les conditions environnementales du logement et la qualité de vie de ses habitants. Plus largement, il faut retrouver une attraction à la ville pour maîtriser l’étalement urbain lié à la demande de logement individuel. L’étalement urbain augmente la contribution du secteur des transports aux tensions énergétiques et à l’effet de serre. Il faudra repenser une ville dense en redonnant ses lettres de noblesse à l’écologie urbaine.

Le problème n’est pas seulement technique ou économique mais aussi de gouvernance. Par gouvernance, on entend les processus de décision qui conduisent différents acteurs à coopérer pour atteindre un objectif commun.

  1. Notre Avenir à Tous, rapport de la commission mondiale sur l’Environnement et le Développement (commission Brundtland), Les éditions du Fleuve, 1989, traduction française de « Our Common Future » parue en 1987, p. 51..
  2. Stratégie nationale du développement durable.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/histoire-d-un-concept-et-perspectives-pour-le-batiment.html?item_id=2503
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