est délégué interministériel au Développement durable.
Histoire d’un concept et perspectives pour le Bâtiment
En quelques années,
le développement durable est passé en France du statut d’un
concept obscur réservé à quelques spécialistes,
à un objectif évoqué à tout moment, au risque
de justifier n’importe quelle politique. D’un concept un peu
vide de sens pour le grand public, on est passé à un concept
peut-être trop plein de sens.
Ce concept de développement
durable est le prolongement de débats sur les limites de la croissance
qui avaient agité le début des années soixante-dix.
Le diagnostic était que dans un monde fini, il n’est pas possible
d’envisager une croissance indéfinie de la consommation des
ressources et des pollutions. Ces mêmes problèmes sont évoqués
aujourd’hui, à cela près que les priorités sont
inversées : les pollutions sont considérées
comme plus inquiétantes que l’épuisement des ressources
naturelles.
Une réponse anti-malthusienne
Si le diagnostic n’a pas
changé, il est partagé par un plus grand nombre. D’une
position contre la croissance, on est passé à une tentative
de réconciliation du développement économique et
de l’environnement. Il y a trente ans, on brocardait les néomalthusiens,
en faisant référence au pasteur Malthus, cet économiste
du début du XIXe siècle qui annonçait les famines
en s’inquiétant de voir la population augmenter plus vite
que la capacité de production agricole. Or Malthus a fait une double
erreur.
La première est d’avoir sous-estimé la capacité
du progrès scientifique à augmenter les rendements agricoles,
la seconde est d’avoir proposé des solutions eugéniques
comme celle de supprimer la loi anglaise d’assistance aux pauvres
pour éviter leur « procréation ».
La maîtrise de la « masse » des pauvres, qu’il
proposait, permettait en fait de préserver les intérêts
des riches.
Le développement durable
est en ce sens une réponse anti-malthusienne ; socialement acceptable
pour être politiquement possible, elle s’appuie sur le progrès
technologique pour tenter de rendre le développement écologiquement
compatible avec les ressources et les équilibres de la biosphère
en découplant croissance économique et pressions sur l’environnement.
L’objectif est de procurer des conditions de vie décentes
pour tous dans les limites de la capacité de charge de la planète.
C’est-à-dire que les politiques environnementales ne doivent
pas être une entrave au développement des pays les plus pauvres.
C’est
dans ce sens que la commission présidée par madame Brundtland
définissait le développement durable comme « un
développement qui répond aux besoins du présent sans
compromettre la capacité des générations futures
à répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents
à cette notion : le concept de “besoin”, et plus particulièrement
des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient
d’accorder la plus grande priorité, et l’idée
des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation
sociale imposent sur la capacité de l’environnement à
répondre aux besoins actuels et à venir1. »
L’objectif principal des
pays en développement devrait donc être un développement
qui n’augmente pas trop leur pression sur l’environnement. En
revanche, celui des pays développés devrait être de
diminuer considérablement leur pression. Que l’on utilise
des indicateurs comme l’empreinte écologique (la surface nécessaire
pour apporter les ressources consommées et les déchets générés
par une population) ou la contribution à l’effet de serre,
on considère qu’il faudrait réduire d’un facteur
4 à horizon de vingt ans et d’un facteur 10 à horizon
de cinquante ans les ressources et le territoire nécessaires pour
le développement des pays riches. On mesure l’ambition…
Régulations mondiales et solutions
locales ?
Les grandes questions, comme les
changements climatiques ou la préservation de la biodiversité,
ont, bien entendu, d’abord été envisagées au
niveau mondial en soulevant une question institutionnelle : comment
mettre en place des régulations environnementales et sociales en
face de la mondialisation libérale ? L’échec du
sommet de Cancun en démontre la difficulté. Mais comme la
plupart des solutions sont à mettre en œuvre au niveau local,
il faut aussi concevoir des outils et des méthodes au plus près
du terrain qui combinent des approches réglementaires et fiscales,
des outils du marché et des approches volontaires.
Le programme de la conférence
Habitat II (Istanbul 1997) insistait sur le fait que de nouvelles approches
s’avèrent nécessaires : elles doivent être
intersectorielles et holistiques, intégrant le développement,
l’environnement et les droits de l’homme, et prendre en compte
l’interdépendance entre les acteurs à travers les cloisonnements
professionnels et entre la société civile, les gouvernements
et les entreprises (nationales et multinationales).
Le programme d’action défini
à Johannesburg, en 2003, a mis l’accent sur la modification
des modes de production et de consommation en proposant une approche par
les principales fonctions (habitat, vêtements, mobilité,
nourriture, santé, éducation, loisir, sécurité)
qui doivent répondre aux besoins élémentaires. Parmi
les méthodes, ce programme insiste sur l’approche par l’analyse
de cycle de vie. Un programme d’action décennal a été
lancé qui propose une approche intégrée pour la fonction
« habitat ».
La contribution du Bâtiment
La contribution du Bâtiment
aux problèmes globaux est majeure. En France, ce secteur représente
près de 45 % de la consommation d’énergie, et 36 %
des émissions nationales de gaz à effet de serre (source
IFEN). C’est également celui où les gains de productivité
apparaissent comme les plus accessibles. La Stratégie nationale
de développement durable considère « nécessaire
de poursuivre le progrès sur la construction neuve, afin de permettre
l’émergence, à terme, de bâtiments ne nécessitant
ni chauffage ni climatisation ». Quand on considère
les effets dramatiques de la canicule, on voit l’urgence à
s’orienter vers des interventions sur le bâti au lieu de la
climatisation qui contribue à augmenter les émissions de
gaz à effet de serre tout en générant une demande
supplémentaire d’électricité en été,
et donc une pression sur les fleuves qui refroidissent les centrales.
Il apparaît souvent une
contradiction entre les intérêts de court terme et les objectifs
que l’on peut se donner à long terme. L’information et
la sensibilisation sont plus que jamais nécessaires. La transposition
de la directive européenne sur l’efficacité énergétique
des bâtiments y contribuera en imposant l’affichage des consommations
de chauffage des bâtiments. L’application de cette disposition
de la loi sur l’air de 1997, qui avait été différée,
devra être mise en place avant la fin 2005.
Sur le plan des normes, la Stratégie
nationale du développement durable a fixé l’objectif,
pour 2005, que 20 % des nouvelles constructions de l’Etat répondent
à la démarche Haute qualité environnementale (HQE)
ou au label Haute performance énergétique (HPE) ou équivalent,
et 50 % à compter de 2008.
Dans une profession qui repose
principalement sur un tissu de PME et d’artisans, il faut que cette
innovation globale, tant technologique que méthodologique, se diffuse
sans freins, et ne contribue pas à l’éviction de certains
acteurs ou à des rentes de situation, d’où l’importance
des normes et de la transparence. Il ne faut pas, en effet, mésestimer
les coûts de transaction pour la diffusion des innovations dans
un contexte d’asymétrie de l’information entre le constructeur
et le client, entre les grands groupes et les PME, entre les propriétaires
et les locataires.
Diminuer les coûts de fonctionnement des
bâtiments
On dispose aujourd’hui d’une
méthode de calcul du coût global énergétique
des bâtiments, il faudra en faire de même pour l’analyse
de cycle de vie (ACV) : la qualité des bases de données
de cycle de vie est essentielle. Il s’agit moins de fixer des normes
techniques que de s’entendre sur des méthodes de mesure de
la performance. Il faut en effet se situer dans une obligation de résultats
et non plus de moyens. L’évaluation de la performance peut
en effet permettre la souplesse sur les moyens et ainsi favoriser l’innovation.
La SNDD2 marque
aussi un intérêt pour « l’expérience
suisse, où certains bâtiments parviennent à des consommations
énergétiques trois fois moindres que les normes françaises
de 2000, moyennant un surcoût de construction de 15 à 20
% ».
L’objectif de la sobriété
énergétique conduira à augmenter le coût de
la construction tout en diminuant celui de la consommation d’énergie,
et donc des coûts de fonctionnement du bâtiment tout au long
de son utilisation. Une première analyse pourrait susciter des
craintes de voir la demande de logements se contracter du fait de leur
renchérissement. La réalité est tout autre, elle
conduira à transférer de façon importante les budgets
des consommations d’énergie vers ceux de la construction ou
la requalification du bâti, c’est-à-dire du fonctionnement
vers l’investissement. Cette mutation pose fondamentalement les problématiques
des marchés publics, des incitations fiscales et des équilibres
entre investissement et fonctionnement.
L’intégration n’est
pas seulement verticale le long du cycle de vie mais aussi transversale,
c’est-à-dire l’insertion locale dans le système
urbain. Entre l’échelle de l’urbanisme et celle du bâtiment,
il faudra penser des solutions en termes d’environnement : l’ensoleillement,
les micro-espaces verts, les terrasses, tous éléments qui
ont une influence sur les conditions environnementales du logement et
la qualité de vie de ses habitants. Plus largement, il faut retrouver
une attraction à la ville pour maîtriser l’étalement
urbain lié à la demande de logement individuel. L’étalement
urbain augmente la contribution du secteur des transports aux tensions
énergétiques et à l’effet de serre. Il faudra
repenser une ville dense en redonnant ses lettres de noblesse à
l’écologie urbaine.
Le problème n’est
pas seulement technique ou économique mais aussi de gouvernance.
Par gouvernance, on entend les processus de décision qui conduisent
différents acteurs à coopérer pour atteindre un objectif
commun.
- Notre Avenir à Tous, rapport de la commission mondiale sur l’Environnement et le Développement (commission Brundtland), Les éditions
du Fleuve, 1989, traduction française de « Our Common Future » parue en 1987, p. 51..
- Stratégie nationale du développement durable.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/histoire-d-un-concept-et-perspectives-pour-le-batiment.html?item_id=2503
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