François EWALD

est professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers. Il a participé aux travaux de la commission Coppens.

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La charte de l’environnement, un premier pas

L’idée d’une charte de l’environnement fait partie des engagements pris par le candidat Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle de 2002. Dans le discours qu’il prononce à Orléans, le président de la République annonce que, s’il est réélu, une «charte de l’environnement sera adossée à la Constitution».

Cet engagement « écologique » du président de la République correspond à une véritable stratégie politique qui vise non seulement à promouvoir la protection de l’environnement, mais à nouer un dialogue suivi avec le monde associatif. L’engagement d’Orléans se confirmera lors du sommet de la Terre à Johannesburg («La maison brûle…»), la préparation du G8 d’Evian – occasion de tout un travail de préparation avec l’ensemble des «parties prenantes» (industriels, syndicats, membres de la société civile) –, avec la mise en place, sous l’autorité du Premier ministre, d’une «stratégie nationale de développement durable» et la création d’un secrétariat d’Etat au Développement durable.

Elu, le Président va tenir son engagement. Dès le mois de juin 2002, le Premier ministre installe, auprès de la ministre de l’Environnement et du Développement durable, une commission de préparation de la charte présidée par Yves Coppens, professeur au Collège de France. La commission, qui comprend une vingtaine de membres issus de différents milieux socio-professionnels et rassemblant les différentes expertises concernées, a pour tâche de préparer un texte destiné à servir de base à un projet de loi constitutionnelle qui sera adopté soit par la voie du référendum, soit par la voie du Congrès.

Les travaux de la commission Coppens dureront pratiquement un an. Au printemps 2003, un texte est remis aux ministres compétents de l’Environnement et du Développement durable et de la Justice. Ceux-ci le remanieront pour en faire un « projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l’environnement ». Examiné en Conseil des ministres, transmis aux assemblées, il devrait être discuté à la fin de l’année 2003.

Les travaux de la commission Coppens ont donné lieu en son sein, comme à l’extérieur, à un processus important de démocratie participative. En son sein, parce que le mérite du professeur Yves Coppens aura été de laisser les travaux de la commission de rédaction les plus ouverts possible. Des comités scientifiques, juridiques, éthiques se sont réunis, qui ont permis d’associer largement les experts qui le souhaitaient. Surtout, la mission de la charte du ministère de l’Environnement va mettre en place tout un dispositif participatif destiné à associer les citoyens : site Internet, envoi très large d’un questionnaire, assises régionales… Procédures désormais classiques et qui vont témoigner d’une forte implication des citoyens. Les membres de la commission Coppens participeront activement à ce processus.

Les grandes questions

Une première question était de savoir s’il s’agissait d’une charte de l’environnement (sous-entendu de protection de…) ou de l’environnement et du développement durable (l’accent mis sur le développement durable sous-entendant une vision plus dynamique, positive des choses). De fait, reflet de l’esprit du temps et de la maturation des esprits, on restera dans le cadre d’une philosophie de la protection de l’environnement, inscrite dans la perspective d’un développement durable.

En ce qui concerne la forme juridique que devrait prendre le texte de la charte, le mot « charte » étant par lui-même juridiquement très indéterminé, le choix était entre : un texte qui viendrait prendre place dans le bloc de constitutionnalité visé au préambule de la Constitution de la Ve République, à côté de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et des « principes particulièrement nécessaires à notre temps » du préambule de la Constitution de 1946, ou une loi organique, ou encore une déclaration solennelle.

Trois niveaux de textes dont la portée juridique n’est pas la même : incorporée dans le bloc de constitutionnalité, la charte de l’environnement contraindrait en principe le législateur dans toute son activité, et serait sanctionnée par le juge constitutionnel. Formulant des principes au plus haut niveau, elle serait susceptible d’être reprise par l’ensemble des juridictions, civiles et administratives. Une loi organique aurait accordé moins d’ampleur au texte : elle semblait un bon vecteur pour donner des définitions précises à certaines notions controversées comme le principe de précaution. La déclaration solennelle visait à faire un beau geste tout en cherchant à en restreindre les conséquences juridiques. Finalement, on s’accordera pour un texte de premier niveau.

La philosophie de la charte

Le débat de fond, sur lequel les membres de la commission Coppens ne parviendront finalement pas à se mettre d’accord, portera sur la constitutionnalisation des principes qui figurent dans la loi Barnier : prévention, pollueur-payeur, participation et surtout le fameux principe de précaution. Concernant ce dernier principe, le débat fut tranché par le président de la République, lors d’une réunion plénière de la commission tenue à l’Elysée en sa présence : il devrait y figurer.

La charte consacre d’abord la prise de conscience d’une nouvelle responsabilité, liée aux pouvoirs qui sont les nôtres. La Déclaration de 1789 organise les pouvoirs qu’un homme peut exercer sur un autre les principes de 1946 portent sur la répartition des produits du progrès. Le projet de charte de l’environnement traite des capacités technologiques. Elles ont engendré un rapport nouveau entre l’homme et la nature, tel que l’homme ne peut plus seulement se considérer comme un être inséré dans une nature qui l’entoure, le limite et finalement le domine. Il en est désormais le gardien : « L’homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sa propre évolution. La diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles » (considérants 4 et 5 de l’article 2). De ce point de vue, la charte de l’environnement s’inscrit dans la postérité du Principe de responsabilité du philosophe Hans Jonas.

Mais à la différence du philosophe allemand, ce surcroît de puissance est pris ici dans son ambivalence, dans ses aspects aussi bien positifs que potentiellement négatifs. La puissance technologique n’est pas considérée comme maléfique, dangereuse en elle-même, mais comme engendrant une nouvelle forme de responsabilité éthique. Le texte de la charte cherche à l’organiser.

Nouveaux droits fondamentaux

La charte définit de nouveaux droits fondamentaux : « Vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé », mais aussi des devoirs : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Une fois les objectifs de protection définis, la charte s’attache surtout à décrire les manières de les atteindre. C’est ainsi que « la recherche et l’innovation » sont visées comme conditions de mise en œuvre des droits et devoirs à un environnement sain. C’est encore ainsi que les politiques publiques sont invitées à mettre en œuvre la pratique du bilan coûts-avantages : « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles prennent en compte la protection et la mise en valeur de l’environnement et les concilient avec le développement économique et social » (article 6).

La définition (article 5) du principe de précaution procède de la même idée. Elle reformule la définition de la loi Barnier en précisant d’abord que le principe s’adresse aux autorités publiques, qu’il commande la « mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques » et « l’adoption de mesures provisoires et proportionnées ». Voilà qui recadre le principe de précaution, dans un sens propre à le rendre plus acceptable par l’ensemble des acteurs, mais ne réduit pas les craintes que d’autres juridictions qu’administratives ne cherchent à s’en emparer.

Le principe de participation est reconnu dans le projet de la charte. C’est en effet un des aspects les plus innovants des nouveaux droits qu’ils passent moins par la subordination qu’ils ne requièrent l’adhésion. Cette idée s’exprime d’emblée par l’énoncé qu’il n’y a pas de droit à un environnement sain sans devoirs corrélatifs.

Cela s’exprime aussi – et cela est revenu de manière récurrente au cours des travaux de la commission Coppens –, sur le point de savoir quelles peuvent être les conséquences de cette charte en termes d’organisation des pouvoirs. La déclaration de 1789 a engendré et organisé les formes de la démocratie représentative les droits sociaux, réaffirmés dans la préambule de la Constitution de 1946, sont mis en œuvre en particulier à travers les formes de la démocratie sociale : représentation syndicale, conventions collectives, Conseil économique et social.

Avec le droit à l’environnement apparaît l’idée complexe d’une « démocratie participative ». Elle a plusieurs composantes. L’environnement n’est rien sans le citoyen. Chacun doit pouvoir s’exprimer, prendre la parole. Et c’est tout le problème de savoir comment organiser cette prise de parole « directe », et comment l’articuler aux institutions d’une démocratie représentative qui doit rester souveraine. Mais cela soulève plusieurs questions : comment représenter les intérêts que l’on cherche à protéger ? Comment représenter les générations futures ? La nature ? Comment organiser la démocratie participative de manière qu’elle ne dégénère pas en affrontements idéologiques comme peuvent le faire craindre certaines expériences passées ? Faut-il modifier la saisine du Conseil constitutionnel ? Créer un Conseil de l’environnement ? Autant de questions que la charte ne traite pas, mais qui ne manqueront pas de se poser dès lors qu’elle serait adoptée.

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