est professeur au Conservatoire national des Arts et Métiers. Il a participé aux travaux de la commission Coppens.
La charte de l’environnement, un premier pas
L’idée d’une
charte de l’environnement fait partie des engagements pris par le
candidat Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle de 2002.
Dans le discours qu’il prononce à Orléans, le président
de la République annonce que, s’il est réélu,
une «charte de l’environnement sera adossée à
la Constitution».
Cet engagement « écologique
» du président de la République correspond à
une véritable stratégie politique qui vise non seulement
à promouvoir la protection de l’environnement, mais à
nouer un dialogue suivi avec le monde associatif. L’engagement d’Orléans
se confirmera lors du sommet de la Terre à Johannesburg («La
maison brûle…»), la préparation du G8 d’Evian
– occasion de tout un travail de préparation avec l’ensemble
des «parties prenantes» (industriels, syndicats, membres de
la société civile) –, avec la mise en place, sous l’autorité
du Premier ministre, d’une «stratégie nationale de développement
durable» et la création d’un secrétariat d’Etat
au Développement durable.
Elu, le Président va tenir
son engagement. Dès le mois de juin 2002, le Premier ministre installe,
auprès de la ministre de l’Environnement et du Développement
durable, une commission de préparation de la charte présidée
par Yves Coppens, professeur au Collège de France. La commission,
qui comprend une vingtaine de membres issus de différents milieux
socio-professionnels et rassemblant les différentes expertises
concernées, a pour tâche de préparer un texte destiné
à servir de base à un projet de loi constitutionnelle qui
sera adopté soit par la voie du référendum, soit
par la voie du Congrès.
Les travaux de la commission Coppens
dureront pratiquement un an. Au printemps 2003, un texte est remis aux
ministres compétents de l’Environnement et du Développement
durable et de la Justice. Ceux-ci le remanieront pour en faire un «
projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l’environnement
». Examiné en Conseil des ministres, transmis aux assemblées,
il devrait être discuté à la fin de l’année
2003.
Les travaux de la commission Coppens
ont donné lieu en son sein, comme à l’extérieur,
à un processus important de démocratie participative. En
son sein, parce que le mérite du professeur Yves Coppens aura été
de laisser les travaux de la commission de rédaction les plus ouverts
possible. Des comités scientifiques, juridiques, éthiques
se sont réunis, qui ont permis d’associer largement les experts
qui le souhaitaient. Surtout, la mission de la charte du ministère
de l’Environnement va mettre en place tout un dispositif participatif
destiné à associer les citoyens : site Internet, envoi très
large d’un questionnaire, assises régionales… Procédures
désormais classiques et qui vont témoigner d’une forte
implication des citoyens. Les membres de la commission Coppens participeront
activement à ce processus.
Les grandes questions
Une première question était
de savoir s’il s’agissait d’une charte de l’environnement
(sous-entendu de protection de…) ou de l’environnement et du
développement durable (l’accent mis sur le développement
durable sous-entendant une vision plus dynamique, positive des choses).
De fait, reflet de l’esprit du temps et de la maturation des esprits,
on restera dans le cadre d’une philosophie de la protection de l’environnement,
inscrite dans la perspective d’un développement durable.
En ce qui concerne la forme juridique
que devrait prendre le texte de la charte, le mot « charte » étant par lui-même juridiquement très
indéterminé, le choix était entre : un texte qui
viendrait prendre place dans le bloc de constitutionnalité visé
au préambule de la Constitution de la Ve République, à
côté de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen de 1789 et des « principes particulièrement
nécessaires à notre temps » du préambule de
la Constitution de 1946, ou une loi organique, ou encore une déclaration
solennelle.
Trois niveaux de textes dont la
portée juridique n’est pas la même : incorporée
dans le bloc de constitutionnalité, la charte de l’environnement
contraindrait en principe le législateur dans toute son activité,
et serait sanctionnée par le juge constitutionnel. Formulant des
principes au plus haut niveau, elle serait susceptible d’être
reprise par l’ensemble des juridictions, civiles et administratives.
Une loi organique aurait accordé moins d’ampleur au texte
: elle semblait un bon vecteur pour donner des définitions précises
à certaines notions controversées comme le principe de précaution.
La déclaration solennelle visait à faire un beau geste tout
en cherchant à en restreindre les conséquences juridiques.
Finalement, on s’accordera pour un texte de premier niveau.
La philosophie de la charte
Le débat de fond, sur lequel
les membres de la commission Coppens ne parviendront finalement pas à
se mettre d’accord, portera sur la constitutionnalisation des principes
qui figurent dans la loi Barnier : prévention, pollueur-payeur,
participation et surtout le fameux principe de précaution. Concernant
ce dernier principe, le débat fut tranché par le président
de la République, lors d’une réunion plénière
de la commission tenue à l’Elysée en sa présence :
il devrait y figurer.
La charte consacre d’abord
la prise de conscience d’une nouvelle responsabilité, liée
aux pouvoirs qui sont les nôtres. La Déclaration de 1789
organise les pouvoirs qu’un homme peut exercer sur un autre les
principes de 1946 portent sur la répartition des produits du progrès.
Le projet de charte de l’environnement traite des capacités
technologiques. Elles ont engendré un rapport nouveau entre l’homme
et la nature, tel que l’homme ne peut plus seulement se considérer
comme un être inséré dans une nature qui l’entoure,
le limite et finalement le domine. Il en est désormais le gardien :
« L’homme exerce une influence croissante sur les conditions
de la vie et sa propre évolution. La diversité biologique,
l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés
humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de
production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles
» (considérants 4 et 5 de l’article 2). De ce point
de vue, la charte de l’environnement s’inscrit dans la postérité
du Principe de responsabilité du philosophe Hans Jonas.
Mais à la différence
du philosophe allemand, ce surcroît de puissance est pris ici dans
son ambivalence, dans ses aspects aussi bien positifs que potentiellement
négatifs. La puissance technologique n’est pas considérée
comme maléfique, dangereuse en elle-même, mais comme engendrant
une nouvelle forme de responsabilité éthique. Le texte de
la charte cherche à l’organiser.
Nouveaux droits fondamentaux
La charte définit de nouveaux
droits fondamentaux : « Vivre dans un environnement équilibré
et favorable à la santé », mais aussi des devoirs :
« Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation
et à l’amélioration de l’environnement ».
Une fois les objectifs de protection définis, la charte s’attache
surtout à décrire les manières de les atteindre.
C’est ainsi que « la recherche et l’innovation »
sont visées comme conditions de mise en œuvre des droits et
devoirs à un environnement sain. C’est encore ainsi que les
politiques publiques sont invitées à mettre en œuvre
la pratique du bilan coûts-avantages : « Les politiques publiques
doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles
prennent en compte la protection et la mise en valeur de l’environnement
et les concilient avec le développement économique et social
» (article 6).
La définition (article 5)
du principe de précaution procède de la même idée.
Elle reformule la définition de la loi Barnier en précisant
d’abord que le principe s’adresse aux autorités publiques,
qu’il commande la « mise en œuvre de procédures
d’évaluation des risques » et « l’adoption
de mesures provisoires et proportionnées ». Voilà
qui recadre le principe de précaution, dans un sens propre à
le rendre plus acceptable par l’ensemble des acteurs, mais ne réduit
pas les craintes que d’autres juridictions qu’administratives
ne cherchent à s’en emparer.
Le principe de participation est
reconnu dans le projet de la charte. C’est en effet un des aspects
les plus innovants des nouveaux droits qu’ils passent moins par la
subordination qu’ils ne requièrent l’adhésion.
Cette idée s’exprime d’emblée par l’énoncé
qu’il n’y a pas de droit à un environnement sain sans
devoirs corrélatifs.
Cela s’exprime aussi –
et cela est revenu de manière récurrente au cours des travaux
de la commission Coppens –, sur le point de savoir quelles peuvent
être les conséquences de cette charte en termes d’organisation
des pouvoirs. La déclaration de 1789 a engendré et organisé
les formes de la démocratie représentative les droits
sociaux, réaffirmés dans la préambule de la Constitution
de 1946, sont mis en œuvre en particulier à travers les formes
de la démocratie sociale : représentation syndicale, conventions
collectives, Conseil économique et social.
Avec le droit à l’environnement
apparaît l’idée complexe d’une « démocratie
participative ». Elle a plusieurs composantes. L’environnement
n’est rien sans le citoyen. Chacun doit pouvoir s’exprimer,
prendre la parole. Et c’est tout le problème de savoir comment
organiser cette prise de parole « directe », et comment l’articuler
aux institutions d’une démocratie représentative qui
doit rester souveraine. Mais cela soulève plusieurs questions :
comment représenter les intérêts que l’on cherche
à protéger ? Comment représenter les générations
futures ? La nature ? Comment organiser la démocratie participative
de manière qu’elle ne dégénère pas en
affrontements idéologiques comme peuvent le faire craindre certaines
expériences passées ? Faut-il modifier la saisine du Conseil
constitutionnel ? Créer un Conseil de l’environnement ? Autant de questions que la charte
ne traite pas, mais qui ne manqueront pas de se poser dès lors
qu’elle serait adoptée.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/la-charte-de-l-environnement-un-premier-pas.html?item_id=2506
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