est économiste et statisticien.
Le cycle des prix des logements en Europe
La forte montée des
prix observée depuis plusieurs années sur le marché
du logement, en France et dans bien d’autres pays, n’est pas
sans rappeler la flambée de la fin des années quatre-vingt.
Chacun ayant en mémoire la façon dont elle s’est soldée,
l’évolution des prix immobiliers fait l’objet d’un
intérêt particulier, notamment de la part des autorités
monétaires.
Après avoir rappelé
quels sont, au plan théorique, les déterminants de la hausse
des prix, on mettra ensuite en relief les différences de contexte
entre les deux périodes pour en déduire d’éventuelles
différences de nature entre les mouvements de prix (y a-t-il bulle
et si oui, dans quels pays ?).
D’abord les revenus, ensuite les taux
d’intérêt
Le déterminant le plus
significatif de la variation des prix des logements est le revenu des
ménages. En France, le ratio prix moyen des logements / revenu
disponible par ménage est voisin de 2,5 depuis 1965 1. Cette constance
tendancielle s’observe aussi aux Etats-Unis. En revanche, la croissance
de ce ratio au Royaume-Uni (0,3 % en moyenne par an) est mal expliquée :
il semble qu’elle soit due, au moins en partie, à une moindre
élasticité de l’offre par rapport aux prix.
Les taux d’intérêt,
réels et nominaux, jouent en théorie un rôle important :
une baisse de taux réel réduit le coût global de
l’acquisition une baisse de taux nominal accroît la solvabilité
initiale. En outre, pour les investisseurs, elle réduit la rentabilité
des placements financiers (les produits de taux) et donc le prix à
exiger d’un logement pour que sa location soit rentable. Le dynamisme
actuel des marchés du logement ne s’explique plus que par
la baisse des taux d’intérêt.
Le fonctionnement du marché
du crédit et l’accès au crédit ont aussi joué
un rôle majeur dans le cycle des années 1980-1990 et dans
les évolutions récentes. La levée de l’encadrement
du crédit en 1980 au Royaume-Uni puis en France en 1986 a entraîné
un essor du crédit, surtout auprès des professionnels de
l’immobilier. Le phénomène de « credit-crunch
» en 1992-1993, à l’inverse, a contribué à
accentuer la chute du marché. Sur la période récente
(1995-2001) la baisse des taux a entraîné une ruée
sur le crédit au logement, en particulier en Espagne.
Enfin, l’action des pouvoirs
publics a un impact plus ou moins direct sur les marchés : le prêt
à 0 % et l’amortissement Périssol ont fortement contribué
à la relance du logement neuf à partir de 1996. Le caractère
exceptionnel de la période 1986-1990 tient à ce que diverses
mesures nationales (dérégulation du crédit, incitation
fiscale « Quilès-Méhaignerie ») ont ajouté
leurs effets à ceux d’un cycle économique de grande
ampleur dans un contexte international d’accélération
des mouvements de capitaux.
2003 ne ressemble pas à 1990
Le retour de la croissance et
plusieurs mesures favorables au logement (n’oublions pas la baisse
des droits de mutation) caractérisent également la période
récente. De plus, les taux d’intérêt moyens des
prêts au logement dans la zone euro ont baissé de près
de 280 points de base en termes nominaux (250 en termes réels)
entre décembre 1995 et janvier 2003 2. Leur baisse continue explique
que le marché du logement n’ait pas encore pâti du retournement
de la conjoncture en 2001.
Les cycles des prix et de l'activité
dans l'ancien
|
|
|
Source : Michel Mouillart. |
L’effet solvabilisateur de
la baisse des taux a été accru par l’allongement de
durée qu’elle a autorisé. Il y a quinze ans, au contraire,
les taux d’intérêt étaient élevés
(environ 10 % en nominal et 7 % en réel entre 1986 et 1988) et
ils ont commencé à augmenter dès 1988.
Evolution 1995-2002 du prix
des logements anciens en Europe(base
100 en 1995)
|
|
|
Source : Fédération hypothécaire
européenne. |
Une autre différence importante
entre la situation d’alors et la conjoncture présente, c’est
l’extension géographique de la hausse des prix. En 1986-1990,
la flambée des prix était circonscrite à quelques
zones où les tensions sont récurrentes (le cœur de
l’agglomération parisienne, la Côte d’Azur…).
De la fin 1994 (point de départ des indices Insee-Notaires) au
premier trimestre 2003, le prix des maisons en province a crû de
65 % et celui des appartements parisiens de 32 % seulement. Il est vrai
que le « réveil » de la province a précédé
celui de Paris. En se limitant aux deux dernières années,
on observe un ralentissement du prix des maisons mais une belle concordance
entre la hausse des prix des appartements à Paris (20,7 %) et en
province (20,5 %).
Le retour de la bulle ?
La Fnaim relève en outre
une vive accélération de la hausse au premier semestre 2003 :
+ 17, 5 % en un an. Celle-ci est deux fois plus forte pour les appartements
que pour les maisons et les disparités régionales se creusent.
L’Ile-de-France prend la tête (+ 25 %) devant le Sud-Est (+
24 %) et le Sud-Ouest (+ 23 %). En outre, le nombre de transactions est
en léger recul (- 4 % pour les appartements en un semestre).
Le parallélisme avec l’évolution
1989-1991 pourrait inquiéter : le ratio prix / revenu est en effet
le même. Cependant l’écart des taux d’intérêt
est considérable et leur remontée, inévitable, ne
les ramènera pas autour de 10 %. L’indicateur de solvabilité
de la demande, que calcule aussi la Fnaim, est également en baisse
depuis un an. Il reste toutefois élevé (146,5, base 100
en 1992).
On définit une bulle sur
un actif par l’existence d’un écart entre son prix de
marché et sa valeur théorique, définie comme la somme
des revenus futurs actualisés attendus par l’investisseur.
De façon très simplifiée, on met en évidence
une bulle immobilière lorsque la hausse des prix est supérieure
à celle des loyers, corrigée de la variation des taux d’intérêt
réels.
Les ordres de grandeur des hausses
de prix constatées ces dernières années laissent
toutefois rarement place au doute (voir graphique ci-contre). La présence
d’une bulle spéculative est probable au Royaume-Uni et aux
Pays-Bas.
Le cas de l’Espagne a fait
l’objet d’un examen attentif par la Caisse des dépôts 3 :
jusqu’à la mi-1999, la hausse des loyers et la baisse des
taux expliquent l’envolée des prix, plus difficilement depuis.
Identifier les bulles n’est
pas un simple passe-temps d’économiste : tôt ou tard,
elles éclatent, provoquant un recul plus ou moins brutal des prix
avec des dégâts collatéraux sur les organismes de
crédit et des chocs en retour sur l’investissement et la consommation.
L’absence de concentration géographique des hausses de prix,
jusqu’à la période récente, laissait à
penser que nous n’étions pas, en France, en présence
d’une bulle spéculative. Cependant, le niveau atteint par
la hausse des prix au premier semestre 2003 en France devient inquiétant :
la baisse des taux n’explique plus l’écart entre la
hausse des prix (+ 24 %) et celle des loyers (+ 10 %).
- Prix des logements, produits financiers immobiliers et gestion des risques, Jacques Friggit, Economica, septembre 2001 ; voir aussi L’Observateur de l’immobilier n° 43, juillet 1999 et nos 49-50, juin 2001.
- Les récentes tendances des prix de l’immobilier résidentiel dans la zone euro, Bulletin mensuel de la BCE, mai 2003.
- Hausse des prix de l’immobilier dans plusieurs pays européens : attention danger ?, Lettre économique de la Caisse des dépôts, n° 146, décembre 2002.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/le-cycle-des-prix-des-logements-en-europe.html?item_id=2507
© Constructif
Imprimer
Envoyer par mail
Réagir à l'article