Nicole NOTAT

est présidente-directrice générale de Vigeo (www.vigeo.com).

Fouad BENSEDDIK

est directeur de la recherche et des relations institutionnelles de Vigeo.

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Mieux évaluer la dimension sociale du développement durable

La notion de responsabilité sociale (RSE) semble s’affirmer comme une expression emblématique des enjeux du développement durable au niveau de l’entreprise. A première vue, cette notion pourrait ressembler à des eaux neuves tirées d’un vieux puits. La question du rôle de l’entreprise dans la société traverse les époques, mais ne se résume évidemment pas à une abstraction. Outre ses finalités de marché, pour la réalisation desquelles l’entreprise doit se conformer à diverses lois, elle est confrontée, sur un plan pratique, à des attentes sociétales qui ne sont pas toutes ni partout inscrites dans le droit. Sans donc être nouveau, ce problème se pose de façon complexe dans le contexte de la globalisation.

Les entreprises, et les multinationales en particulier, ont accru à la fois leur pouvoir financier, leur capacité de création de richesse et d’innovation, leur pouvoir d’influence culturelle et politique, mais aussi leur capacité de nuisance environnementale, sociale et sociétale. A l’inverse, dans ce même contexte, c’est aussi la vulnérabilité des entreprises et des marchés qui s’accroît, en lien avec les phénomènes de dumping et de dérives affectant les droits humains et sociaux fondamentaux, les conditions d’attribution des marchés, les conditions de travail, les atteintes à la biodiversité et au milieu naturel, etc.

Certains dirigeants d’entreprise et gérants de capitaux ont bien compris que des opportunités sérieuses s’ouvrent à ceux d’entre eux qui, sans attendre des réglementations contraignantes, intègrent activement, comme on le ferait d’un investissement stratégique, les dimensions sociales, sociétales et environnementales dans leurs politiques globales. De telles prises de conscience s’inscrivent dans un processus mondial.

Nouveaux thèmes

Après que les préoccupations environnementales eurent façonné, dans les années soixante-dix et quatre-vingt, les premières définitions du développement durable, d’autres thèmes montent en puissance, par exemple : la transparence du gouvernement d’entreprise aux fins d’assurer la protection des droits des épargnants et l’efficience des marchés ; le respect des droits de l’homme sur les lieux de travail et dans la société ; la valorisation des ressources humaines et le renforcement du dialogue social ; l’information et la protection des droits du client ainsi que l’intégration des facteurs sociaux et environnementaux dans la sélection et la relation avec les fournisseurs, les sous et les co-traitants.

Ces sujets recouvrent des demandes sociales et des attentes culturelles largement relayées par les conventions et les principes directeurs énoncés par les institutions internationales et défendues par les organisations de la société civile.

L’entrée en scène des gérants de capitaux qui, en faisant évoluer le modèle américain des fonds éthiques, s’orientent vers la valorisation dans la sélection de leurs portefeuilles des entreprises ayant un profil socialement responsable, constitue à cet égard un fait nouveau et majeur. On comptait quatre fonds de ce type en Europe au début des années quatre-vingt. Ils sont près de trois cents actuellement.

La mise en place de l’épargne salariale en France, la tendance mondiale à la constitution de fonds de retraite gérés en capitalisation avec la participation de représentants des syndicats, l’activisme des actionnaires minoritaires dans les assemblées générales des grandes entreprises, ont vocation à renforcer le poids des indicateurs sociaux, environnementaux et sociétaux jusqu’ici tenus pour secondaires. Cette évolution sollicite la capacité des managers à « lever le nez » au-dessus de la dernière ligne du bilan financier. Ils sont attendus sur leur capacité à gérer la complexité, en sachant que la meilleure façon de valoriser les intérêts des propriétaires de l’entreprise c’est de savoir valoriser, de façon tangible et optimale, simultanément et durablement, toute la chaîne qui va des intérêts des salariés aux tiers intérêts des parties prenantes que sont les clients, les fournisseurs, les riverains, etc.

Mesurer la responsabilité sociale de l’entreprise ?

Le fait qu’il n’existe pas de définition normative de la RSE ne signifie pas qu’il n’existe pas de critères pour la mesurer. Les entreprises possèdent en général leurs propres tableaux de bord et sont nombreuses à mettre en place, seules ou avec l’aide de prestataires spécialisés, des baromètres sociaux, des enquêtes de satisfaction et de fidélisation des clients, des outils de mesure de la sécurité, des certifications de la qualité. Elles aspirent, et c’est normal, à mettre en valeur leurs résultats et leurs progrès.

En face, les investisseurs et les gérants d’actifs ont un souci accru de disposer de données précises, qualifiées et comparables sur les risques sociaux, environnementaux et les positionnements sociétaux de l’entreprise. Les actionnaires et les autres parties prenantes – clients, fournisseurs, syndicats, associations de consommateurs – portent eux aussi un intérêt accru à de telles informations. C’est entre ces trois univers, celui de l’entreprise, celui de ses partenaires financiers et celui de ses parties prenantes au sens large, que la notation sociale intervient.

La notation sociale est en partie une réponse aux besoins non assumés par la notation financière classique. On sait aujourd’hui que l’information financière ne raconte pas toute l’histoire, qu’elle ne suffit pas à éclairer les risques et les perspectives de l’entreprise. Toute la question est de savoir en référence à quoi et comment peut s’effectuer une mesure de la responsabilité sociale.

Deux générations de notation

Schématiquement, les processus de notation se rattachent à deux générations distinctes.

La première, se réclamant explicitement de choix éthiques, apporte aux investisseurs et aux gérants de capitaux qui le souhaitent des produits de veille, d’analyse ou de benchmark leur permettant d’exclure de leurs sélections des entreprises en raison de la nature de leurs produits (alcool, tabac, jeux, armements, expériences sur les animaux, pollution, etc.) ou de leurs lieux d’activité (droits humains, pollutions).

La seconde génération se réfère à une conception positive du développement durable. Elle fournit des produits d’évaluation et de classement à partir de critères valorisant les résultats des entreprises au regard d’un ou de plusieurs thèmes de responsabilité sociale1. L’enjeu fondamental, en particulier pour la seconde génération des agences de notation, est celui de la clarté des méthodes et de l’acceptabilité des critères utilisés.

La notation sociale, pour être crédible et utile, a en effet besoin d’être opposable aux entreprises évaluées, intelligible aux investisseurs et aux financiers que ces entreprises souhaitent intéresser, et légitime au regard des parties prenantes concernées par l’entreprise en question. Ces conditions requièrent un référentiel qui soit lui-même opposable. Celui-ci ne peut s’appuyer que sur des références normatives légitimes et de portée universelle. Or ces références ont précisément le mérite d’exister à travers l’ensemble des Conventions, Recommandations et Principes directeurs énoncés par les institutions internationales légitimes, l’ONU, l’OIT, l’OCDE, par les instruments régionaux comme ceux de l’Union européenne, et par les conventions sectorielles. Ces instruments énoncent des principes et des objectifs fondamentaux qui sont des principes d’action transposables en critères précis. Une méthode de notation rigoureuse permet de construire des indicateurs, et de les « scorer » en tenant compte des caractéristiques et des lieux d’implantation des entreprises sous revue.

Transparence et objectivité

La multiplication des codes de conduite, des chartes éthiques, des certificats et des labels environnementaux, sociaux ou de qualité technique des produits et des processus a montré, quoi qu’on puisse penser des limites de ces outils, l’importance de conjuguer « savoir-faire » et « faire savoir ». A l’heure de l’économie de la réputation, les paramètres immatériels – ce que les Anglo-Saxons appellent le « goodwill » – peuvent en effet représenter une part considérable de la valorisation financière de l’entreprise. Cette valeur immatérielle ne se construit pas que par de la communication. Elle est inextricablement liée aux attentes de la société.

Le concept de responsabilité sociale, comme exercice managérial tangible et mesurable, apporte au développement durable une dimension de réalisme et d’objectivité.

  1. Vigeo retient six domaines de RSE : clients-fournisseurs, droits humains, envionnement, engagement sociétal, gouvernement d’entreprise, ressources humaines.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/mieux-evaluer-la-dimension-sociale-du-developpement-durable.html?item_id=2520
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