est directeur de la recherche et des relations institutionnelles de Vigeo.
Mieux évaluer la dimension sociale du développement durable
La notion de responsabilité
sociale (RSE) semble s’affirmer comme une expression emblématique
des enjeux du développement durable au niveau de l’entreprise.
A première vue, cette notion pourrait ressembler à des eaux
neuves tirées d’un vieux puits. La question du rôle
de l’entreprise dans la société traverse les époques,
mais ne se résume évidemment pas à une abstraction.
Outre ses finalités de marché, pour la réalisation
desquelles l’entreprise doit se conformer à diverses lois,
elle est confrontée, sur un plan pratique, à des attentes
sociétales qui ne sont pas toutes ni partout inscrites dans le
droit. Sans donc être nouveau, ce problème se pose de façon
complexe dans le contexte de la globalisation.
Les entreprises, et les multinationales
en particulier, ont accru à la fois leur pouvoir financier, leur
capacité de création de richesse et d’innovation, leur
pouvoir d’influence culturelle et politique, mais aussi leur capacité
de nuisance environnementale, sociale et sociétale. A l’inverse,
dans ce même contexte, c’est aussi la vulnérabilité
des entreprises et des marchés qui s’accroît, en lien
avec les phénomènes de dumping et de dérives affectant
les droits humains et sociaux fondamentaux, les conditions d’attribution
des marchés, les conditions de travail, les atteintes à
la biodiversité et au milieu naturel, etc.
Certains dirigeants d’entreprise
et gérants de capitaux ont bien compris que des opportunités
sérieuses s’ouvrent à ceux d’entre eux qui, sans
attendre des réglementations contraignantes, intègrent activement,
comme on le ferait d’un investissement stratégique, les dimensions
sociales, sociétales et environnementales dans leurs politiques
globales. De telles prises de conscience s’inscrivent dans un processus
mondial.
Nouveaux thèmes
Après que les préoccupations
environnementales eurent façonné, dans les années
soixante-dix et quatre-vingt, les premières définitions
du développement durable, d’autres thèmes montent en
puissance, par exemple : la transparence du gouvernement d’entreprise
aux fins d’assurer la protection des droits des épargnants
et l’efficience des marchés ; le respect des droits de l’homme
sur les lieux de travail et dans la société ; la valorisation
des ressources humaines et le renforcement du dialogue social ; l’information
et la protection des droits du client ainsi que l’intégration
des facteurs sociaux et environnementaux dans la sélection et la
relation avec les fournisseurs, les sous et les co-traitants.
Ces sujets recouvrent des demandes
sociales et des attentes culturelles largement relayées par les
conventions et les principes directeurs énoncés par les
institutions internationales et défendues par les organisations
de la société civile.
L’entrée en scène
des gérants de capitaux qui, en faisant évoluer le modèle
américain des fonds éthiques, s’orientent vers la valorisation
dans la sélection de leurs portefeuilles des entreprises ayant
un profil socialement responsable, constitue à cet égard
un fait nouveau et majeur. On comptait quatre fonds de ce type en Europe
au début des années quatre-vingt. Ils sont près de
trois cents actuellement.
La mise en place de l’épargne
salariale en France, la tendance mondiale à la constitution de
fonds de retraite gérés en capitalisation avec la participation
de représentants des syndicats, l’activisme des actionnaires
minoritaires dans les assemblées générales des grandes
entreprises, ont vocation à renforcer le poids des indicateurs
sociaux, environnementaux et sociétaux jusqu’ici tenus pour
secondaires. Cette évolution sollicite la capacité des managers
à « lever le nez » au-dessus de la dernière
ligne du bilan financier. Ils sont attendus sur leur capacité à
gérer la complexité, en sachant que la meilleure façon
de valoriser les intérêts des propriétaires de l’entreprise
c’est de savoir valoriser, de façon tangible et optimale,
simultanément et durablement, toute la chaîne qui va des
intérêts des salariés aux tiers intérêts
des parties prenantes que sont les clients, les fournisseurs, les riverains,
etc.
Mesurer la responsabilité sociale de
l’entreprise ?
Le fait qu’il n’existe
pas de définition normative de la RSE ne signifie pas qu’il
n’existe pas de critères pour la mesurer. Les entreprises
possèdent en général leurs propres tableaux de bord
et sont nombreuses à mettre en place, seules ou avec l’aide
de prestataires spécialisés, des baromètres sociaux,
des enquêtes de satisfaction et de fidélisation des clients,
des outils de mesure de la sécurité, des certifications
de la qualité. Elles aspirent, et c’est normal, à mettre
en valeur leurs résultats et leurs progrès.
En face, les investisseurs et
les gérants d’actifs ont un souci accru de disposer de données
précises, qualifiées et comparables sur les risques sociaux,
environnementaux et les positionnements sociétaux de l’entreprise.
Les actionnaires et les autres parties prenantes – clients, fournisseurs,
syndicats, associations de consommateurs – portent eux aussi un intérêt
accru à de telles informations. C’est entre ces trois univers,
celui de l’entreprise, celui de ses partenaires financiers et celui
de ses parties prenantes au sens large, que la notation sociale intervient.
La notation sociale est en partie
une réponse aux besoins non assumés par la notation financière
classique. On sait aujourd’hui que l’information financière
ne raconte pas toute l’histoire, qu’elle ne suffit pas à
éclairer les risques et les perspectives de l’entreprise.
Toute la question est de savoir en référence à quoi
et comment peut s’effectuer une mesure de la responsabilité
sociale.
Deux générations de notation
Schématiquement, les processus
de notation se rattachent à deux générations distinctes.
La première, se réclamant
explicitement de choix éthiques, apporte aux investisseurs et aux
gérants de capitaux qui le souhaitent des produits de veille, d’analyse
ou de benchmark leur permettant d’exclure de leurs sélections
des entreprises en raison de la nature de leurs produits (alcool, tabac,
jeux, armements, expériences sur les animaux, pollution, etc.)
ou de leurs lieux d’activité (droits humains, pollutions).
La seconde génération
se réfère à une conception positive du développement
durable. Elle fournit des produits d’évaluation et de classement
à partir de critères valorisant les résultats des
entreprises au regard d’un ou de plusieurs thèmes de responsabilité
sociale1. L’enjeu fondamental, en particulier
pour la seconde génération des agences de notation, est
celui de la clarté des méthodes et de l’acceptabilité
des critères utilisés.
La notation sociale, pour être
crédible et utile, a en effet besoin d’être opposable
aux entreprises évaluées, intelligible aux investisseurs
et aux financiers que ces entreprises souhaitent intéresser, et
légitime au regard des parties prenantes concernées par
l’entreprise en question. Ces conditions requièrent un référentiel
qui soit lui-même opposable. Celui-ci ne peut s’appuyer que
sur des références normatives légitimes et de portée
universelle. Or ces références ont précisément
le mérite d’exister à travers l’ensemble des Conventions,
Recommandations et Principes directeurs énoncés par les
institutions internationales légitimes, l’ONU, l’OIT,
l’OCDE, par les instruments régionaux comme ceux de l’Union
européenne, et par les conventions sectorielles. Ces instruments
énoncent des principes et des objectifs fondamentaux qui sont des
principes d’action transposables en critères précis.
Une méthode de notation rigoureuse permet de construire des indicateurs,
et de les « scorer » en tenant compte des caractéristiques
et des lieux d’implantation des entreprises sous revue.
Transparence et objectivité
La multiplication des codes de
conduite, des chartes éthiques, des certificats et des labels environnementaux,
sociaux ou de qualité technique des produits et des processus a
montré, quoi qu’on puisse penser des limites de ces outils,
l’importance de conjuguer « savoir-faire » et «
faire savoir ». A l’heure de l’économie de la réputation,
les paramètres immatériels – ce que les Anglo-Saxons
appellent le « goodwill » – peuvent en effet représenter
une part considérable de la valorisation financière de l’entreprise.
Cette valeur immatérielle ne se construit pas que par de la communication.
Elle est inextricablement liée aux attentes de la société.
Le concept de responsabilité
sociale, comme exercice managérial tangible et mesurable, apporte
au développement durable une dimension de réalisme et d’objectivité.
- Vigeo retient six domaines de RSE : clients-fournisseurs, droits humains, envionnement,
engagement sociétal, gouvernement d’entreprise, ressources humaines.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/mieux-evaluer-la-dimension-sociale-du-developpement-durable.html?item_id=2520
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