Yannick JADOT

est directeur des campagnes de Greenpeace France.

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Développement durable.com ?

Pour Greenpeace, décideurs politiques et économiques ont développé le marché de la communication autour du développement durable, quitte à vider ce concept de son contenu. Si de nombreux facteurs semblent favorables à une mobilisation sur ce thème, l’organisation écologiste estime que les Etats sont défaillants.

Un an s’est écoulé depuis le sommet de Johannesburg sur le développement durable et le désormais célèbre discours du président de la République, Jacques Chirac, avertissant : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre. L’humanité souffre. Elle souffre de mal-développement, au Nord comme au Sud, et nous sommes indifférents. La Terre et l’humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. »

Le constat est implacable, les responsabilités montrées du doigt. La tonalité de ce discours nous renvoie plus de trente ans en arrière, à la fin des années soixante. Déjà, à cette époque, de nombreux experts soulignent la gravité des dégradations causées par les activités humaines à l’environnement. Le modèle industriel n’est pas soutenable en l’état. Le concept d’éco-développement définit alors un nouveau rapport entre économie, social et environnement : l’économie a pour vocation de satisfaire les besoins essentiels des populations (éducation, santé, alimentation, culture…). Les modèles de production et de consommation au Nord doivent être profondément revus pour respecter les ressources finies de la planète les investissements dans les pays du Sud doivent être massifs. C’est sur cette base que se réunit en 1972 la conférence de Stockholm sur l’environnement et le développement.

Vingt ans après, le sommet de Rio constate, une fois de plus, le caractère non soutenable du développement économique. Le développement durable succède à l’éco-développement. Mais il ne s’agit plus cette fois de savoir pourquoi et pour qui l’on produit des richesses, mais comment l’économie devrait intégrer le capital social et le capital naturel dans sa fonction de production.

La société était au cœur de l’éco-développement, l’économie et la croissance perpétuelle sont au cœur du développement durable. Malgré les compromis de Rio, l’espoir est grand pourtant parmi les écologistes, avec un signal d’alarme à la résonance mondiale et surtout la perspective de conventions internationales sur le climat, la biodiversité, la désertification et les forêts. Depuis, les beaux discours se sont succédés mais les Etats ont failli à leur mission : en dépit de l’augmentation des richesses, la pauvreté s’accroît et la destruction de l’environnement s’accélère. L’incapacité des Etats à fonder leur action sur la base des principes fondateurs du développement durable – le principe de précaution, le principe pollueur-payeur et le principe d’équité – le prouve.

Un principe de précaution difficile à mettre en œuvre

La communauté internationale peine terriblement à appliquer le principe de précaution : l’administration Bush, sous la pression des firmes pétrolières, rejette le protocole de Kyoto et refuse d’assumer la responsabilité des Etats-Unis, premier émetteur au monde de gaz à effet de serre. En dépit de la tempête de 1999, des inondations de 2002 et de la canicule de 2003, le gouvernement français refuse d’opérer une rupture avec des décennies de soutien massif aux énergies fossiles et au nucléaire (qui n’a de durable que les déchets radioactifs) pour donner la priorité aux énergies renouvelables jusqu’ici méprisées et pourtant seules à même de lutter contre les changements climatiques.

D’un autre côté, pourtant, le protocole de Carthagène sur la biosécurité est enfin entré en vigueur le 11 septembre 2003. Ce traité international, qui régit le commerce des OGM, inscrit pour la première fois dans le droit international le principe de précaution et donc la capacité des Etats à refuser d’importer des OGM s’ils considèrent qu’il existe un risque, même potentiel, pour la santé et l’environnement. L’Europe peut légalement, sur cette base, maintenir un moratoire sur l’importation et la mise en culture des OGM, répondant en cela à l’incertitude scientifique qui continue de peser sur leurs conséquences sanitaires et environnementales et au rejet croissant des consommateurs.

Absence de sanctions

Le principe pollueur-payeur rencontre encore plus de difficultés de mise en œuvre. Les Etats ont confirmé à Johannesburg qu’ils déléguaient sans contrepartie au marché et aux entreprises la régulation des sociétés et l’avenir de la planète. L’environnement est devenu une marchandise, les perspectives financières sur les marchés de l’eau ou des déchets sont considérables. Avec la perception de plus en plus aiguisée de l’opinion publique de la réalité de la dégradation de l’environnement, de ses conséquences dans la vie quotidienne comme pour l’avenir de la planète, s’est aussi développé un marché de la communication autour du développement durable qui touche à la fois les responsables politiques et les décideurs économiques, quitte à vider de son contenu le concept de développement durable et à le rendre complètement opaque. C’est le syndrome « développement-durable.com » !

Les entreprises qui s’engagent sincèrement à faire évoluer les modes de production dans le sens de la soutenabilité sont malheureusement noyées dans la masse des entreprises dont le développement durable n’est qu’un exercice de communication qui permet d’habiller, sans les changer, des activités socialement et écologiquement prédatrices. Pour celles-ci, seules les démarches volontaires sont acceptables et elles refusent tout régime contraignant de responsabilité pour les dégâts sociaux, sanitaires ou environnementaux qu’elles peuvent générer.

Au niveau international, les démarches du type « global compact » font de plus en plus sourire les initiés. Au niveau français, malgré les discours récurrents sur les « entreprises voyous », la démarche est identique. Le gouvernement français a, en juin dernier, saboté le projet de directive européenne sur la responsabilité environnementale voté par le Parlement européen qui, pour la première fois, tentait de créer un cadre juridiquement contraignant de responsabilité.

Dans le même ordre d’idée, à la fin septembre 2003, le président Chirac, le Premier ministre Blair et le chancelier Schröder ont cosigné une lettre adressée au président de la Commission européenne pour lui demander de supprimer la principale disposition du projet de nouvelle politique chimique européenne. Celle-ci conduirait « simplement », si elle était adoptée, à responsabiliser les entreprises sur les molécules chimiques qu’elles mettent sur le marché, grâce à une procédure d’évaluation du risque.

Le problème de l’inéquité

L’accroissement des disparités sociales entre le Nord et le Sud, et au sein des sociétés, confirme à quel point l’inéquité est la règle. Cette situation explique en partie la « rébellion » des pays du Sud, à Cancun lors de la conférence de l’OMC, refusant un nouveau compromis euro-américain en matière de gouvernance commerciale. La guerre en Irak, engagée malgré l’opinion publique internationale, le droit et l’ONU, relève aussi d’une logique de mainmise, à des fins mercantiles, sur des ressources naturelles de plus en plus rares, au détriment de l’équité, de la justice et de la protection de la planète. Un Américain pourra-t-il durablement consommer vingt-cinq fois plus d’énergie qu’un Indien ou qu’un Africain, alors que deux milliards d’individus dans le monde n’ont pas accès à l’électricité ?

Le développement durable est l’affaire de tous. Loin de nous l’idée d’en exclure les entreprises qui ont une responsabilité considérable en la matière, proportionnée à la place qu’elles occupent dans la société, et pour laquelle elles doivent pouvoir rendre des comptes. Mais Greenpeace considère que les Etats ont la responsabilité première dans la défense de l’intérêt général. Le constat dressé plus haut est attristant car il souligne l’état préoccupant de la planète qui souffre d’un développement pour le moins brutal. Cependant, tous les facteurs d’un possible changement sont réunis : l’opinion publique est avertie, les contraintes techniques sont maîtrisées ou maîtrisables, les ressources financières existent. Seule manque la volonté politique pour passer d’une ambition souvent affichée à la réalisation. Après Johannesburg, après l’Irak, après Cancun, il existe un espace politique international pour prendre une initiative forte en la matière.

Après le traumatisme de la canicule de cet été, cet espace existe au niveau national. C’est à ce passage à l’acte, sans délai, que nous invitons les décideurs politiques et les acteurs économiques.

Bibliographie

  • Johannesburg : en finir avec le développement brutal. 21 raisons de perdre patience. Greenpeace France, Paris, 2002.
  • De nouvelles solidarités pour une autre mondialisation, in « Dix pas dans le nouveau siècle » de Stéphane Hessel, Seuil, 2002.
  • L’OMC ne peut fonder seule la gouvernance internationale, in « Le nouvel Etat du monde, les idées forces pour comprendre les nouveaux enjeux internationaux », La Découverte & Syros, Paris, 2002.
  • Les agricultures du Sud et l’OMC : 11 fiches pour comprendre, anticiper, débattre, Solagral, Paris, 2001.
    Documents Greenpeace consultables sur www.greenpeace.fr
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/developpement-durablecom.html?item_id=2515
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