Guy HASCOET

est responsable de l’Académie du développement durable et ancien ministre.

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Ne pas laisser galvauder le concept

Pour un précurseur du développement durable, longtemps isolé, le développement de ce concept doit éviter certains écueils.

Trois ans après la parution du rapport de madame Bro Brundtland en 1987, aucun éditeur français ne voulait prendre le risque de publier ce rapport « sans avenir  », arrivé en France grâce au courage d’un éditeur québécois et de quelques pionniers importateurs.

Quand en 1991, je sollicitai le Conseil de la communauté urbaine de Lille pour adhérer au réseau des villes pour le développement durable, ma surprise ne fut pas que l’on me dise « oui » mais que, représentant cette collectivité au sein de ces instances, je devrai attendre quatre ans avant de n’être plus le seul représentant français ! A Alboorg, en 1994, lors de la signature de la charte des villes pour le développement durable, la délégation Ch’ti représentait la moitié de la délégation française…

Pourtant, dès 1992, les grands réseaux institutionnels avaient compris la portée de l’événement, j’allais dire de l’avènement : un nouveau paradigme faisait son apparition après vingt ans de tâtonnements, « du penser globalement et agir localement » issu de la conférence de Stockholm en 1972, slogan cher aux écologistes, apparaissait enfin un concept global interpellant l’ensemble des acteurs qui fabriquent par leurs décisions cumulées la réalité de nos sociétés humaines, invitant à trouver la convergence entre l’environnement, l’économique et le social. Il aura fallu dix ans pour que cette démarche concerne un grand nombre de collectivités et d’entreprises.

L’efficacité écologique a rendez-vous avec l’efficacité économique. La responsabilité sociale et sociétale des entreprises est venue progressivement compléter le tableau au point d’arriver aujourd’hui à une approche d’ensemble devenue cohérente.

Trois risques majeurs

Le premier risque pour le développement durable est bien sûr que les stratégies publiques ou privées n’envisagent l’agitation autour de ce thème que comme une manière de se mettre en conformité avec l’air du temps, en recourant à une communication de surface, à peu de frais. Si l’efficacité est dans la convergence, tricher revient à retarder le moment où une entité, qu’elle soit collectivité ou entreprise, engage un processus continu d’amélioration de ses services, de ses process, de ses produits, de ses relations et inductions sur l’ensemble des parties prenantes concernées par son activité ou ses choix. Une application volontariste permet amélioration et « gains de productivité », notamment sur tous les flux.

Le deuxième risque est de voir se développer un concept de développement durable « light ». Les tendances destructrices de l’environnement qui ont présidé à la commande onusienne faite à madame Brundtland ne sont pas des vues de l’esprit. Aussi, une démarche positive doit-elle porter sur la recherche de l’authenticité, et envisager progressivement l’introduction des changements utiles, cohérents dans le cadre de ce projet de civilisation. Tout ce qui est possible doit être fait. Le seul débat qui vaille est le rythme du changement et sa conduite.

Le troisième risque est que chacun tente de tirer « la couverture » à soi. Que les ONG environnementalistes ne cherchent pas à comprendre les mécanismes socio-économiques, que les « sociaux  » s’appuient, par trop, sur la responsabilité sociale pour mieux éluder la question environnementale et qu’enfin, le monde économique ne digère le concept à sa manière, en écartant les sujets qui pourraient fâcher.

Société sans mémoire

Nous vivons dans des sociétés occidentales où les évolutions socio-économiques ont été possibles grâce au frottement de trois sphères dont les organisations respectives ont contribué à leur manière, au « progrès » commun. La révolution industrielle a fait naître de fait, la revendication sociale. La recherche d’autonomie et de sécurité dans le travail et dans la vie tout court, a fait naître le secteur des coopératives, des mutuelles et des associations, secteur de l’économie sociale et solidaire. Enfin, la sphère publique a su progressivement construire une régulation, organiser la redistribution, permettant de maintenir la cohérence, évitant sans doute à cette « chenille sociétale » des déchirements et des tumultes plus grands que ceux qu’elle a connus.

La tendance curieuse de ce début de siècle est de nier ce passé, cette pluralité et les rôles constructifs (sic) joués respectivement par ces trois sphères, moteurs d’une évolution s’appuyant sur une pluralité des démarches économiques. La tentation de notre époque de nier notre propre histoire est sous-tendue par une idéologie à visée hégémonique ou totalitaire. La négation de l’autre s’accompagne de la volonté non dissimulée de le voir disparaître.

Et le risque existe toujours qu’une ignorance ne passe pour une modernité, relayée puissamment par un pôle médiatique éloigné et peu soucieux de savoir au service de quelle cause il s’est rangé. Or, il ne faut jamais oublier le vieil adage qui dit « qu’une société sans mémoire est une société sans avenir ».

Cette réalité des sociétés développées du Nord est encore plus prégnante et plus cruelle à l’endroit des sociétés du Sud où bien souvent, la sphère publique, d’une insigne faiblesse, est menacée de disparition quand on lui demande de réduire sa place et son poids au nom de règles imposées par les sociétés dites développées. L’existence balbutiante des formes collectives dans l’organisation des communautés de base, y compris économiques, qui composent ces sociétés, ne peut, loin s’en faut, compenser cette faiblesse. Il ne faut jamais oublier que le budget du Mali équivaut à celui d’un de nos grands Conseils régionaux.

Aussi, quand au nom des logiques dont j’évoquais l’absurdité et le caractère anti-économique de fait, on contraint ces peuples à appliquer des règles qui visent expressément à faire reculer la sphère publique et à empêcher la naissance de l’économie sociale et solidaire, il y a crime de lèse-développement durable.

Nécessaire pédagogie

Si nous revenons à la question d’une pédagogie du développement durable, il apparaît clairement que le risque peut se résumer par une intégration séparée des trois sphères, trois autismes et le refus partagé d’aller au contact des deux autres sphères, de chercher à instruire une lecture partagée de l’histoire de nos sociétés, d’en comprendre les ressorts, les phases successives et de projeter les rôles respectifs des différentes sphères dans une vision cohérente additionnelle des qualités de chacune.

Bien loin de la tentation totalitaire, le développement durable suppose la compréhension de l’autre, la conduite d’une lecture partagée des contraintes, des éléments d’avenir, de l’adaptation des rôles, dans la recherche d’un nouveau « contrat social ».

Cette volonté de contact permanent entre ces différentes sphères m’a conduit à imaginer la naissance de l’Académie du développement durable et humain sous forme de société coopérative d’intérêt collectif, seule forme juridique (adoptée en 2001 à l’initiative du secrétariat d’Etat à l’Economie solidaire) dans notre droit qui permet une participation au capital de toutes les sortes d’acteurs privés, publics ou collectifs existant dans le droit français.

Aujourd’hui en France, le thème du développement durable est porteur et porté. Après avoir fait son apparition dans de nombreux textes de lois de 1997 à 2002 (Loaddt, SRU, NRE notamment), il est aujourd’hui soutenu fortement par les plus hautes instances lors des conférences internationales.

Une formation adaptée

Les évolutions rapides des paramètres écologiques, la prise de conscience plus large aujourd’hui, permettent d’affirmer que les esprits disponibles pour agir sont nombreux, que le souhait de participer à cette mutation est réellement répandu. Mais l’ignorance de ce qui peut se faire et de ce qui se fait, parfois depuis des décennies déjà, est tout aussi importante.

C’est dans cet espace que l’Académie veut se placer : comme un intervenant de la formation professionnelle capable de préparer sur mesure, de manière modulaire, souple, des parcours de formation en direction des acteurs, qu’ils soient stratèges, à la tête d’une direction qui doit décliner des orientations, ou techniciens amenés à changer de gestes ou à s’approprier une nouvelle technique.

Nous avons choisi de proposer une vue large et interactive du concept. Au nom de la complémentarité des trois sphères publique, privée et sociétale, des contradictions Nord /Sud, nous présentons des modules sur le développement durable, le développement local, les relations Nord/Sud et l’économie sociale et solidaire. Ces thèmes sont complémentaires souvent et sûrement interactifs. Nous nous appuyons sur un réseau d’intervenants nombreux, dans toute la France, mobilisables au gré des besoins et des demandes, provenant des collectivités, des entreprises, des universités ou des ONG.

Combien de sociétés ou d’organisations continuent de dépenser inutilement des sommes considérables, pour des besoins satisfaits dans un cadre archaïque ? Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui justifieront de ne pas faire, faute de budget…

Nous disposons de solutions dans de nombreux domaines. Encore faut-il les connaître. La préparation des gens de métier, la prise de responsabilité de tous pour permettre le franchissement des seuils de marché à des solutions innovantes ; la capacité de structurer une démarche pour effectuer des achats responsables ; ne plus prélever l’eau ; produire son énergie ; changer sa logistique ; modifier ses emballages ; se soucier de la répartition de la valeur ajoutée dans la chaîne des sous-traitances… les changements utiles à toutes les parties susceptibles d’être engagées sont là, à portée de décision. L’expérience montre que seule l’impulsion déclinée dans toutes les responsabilités, dans tous les niveaux de responsabilité, peut entraîner fortement, notamment dans les très grands organigrammes.

Si, dans un premier temps, les formations délivrées par l’Académie le seront de manière classique, l’ambition est, par la mutualisation d’une production de modules multimédias, de tendre progressivement à des formations en ligne, à distance. L’objectif ultime est de pouvoir accompagner individuellement les personnes en composant des parcours « à la carte ». Ceci permettra d’être plus fin dans l’approche tout en traitant les grands nombres pour accélérer le processus.

Le dispositif comprendra aussi un système d’information groupant, sur trente champs d’initiatives, des milliers de références avec l’analyse des raisons des succès et des insuccès. Ce système est réalisé en partenariat avec différentes ONG et différentes équipes universitaires.

Le développement durable est un projet évolutionnaire. Tous ceux qui prétendent en être les propagateurs doivent avoir cette idée en tête et revendiquer l’exigence qui s’y rattache.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/ne-pas-laisser-galvauder-le-concept.html?item_id=2519
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