est économiste et professeur à l’université Paris-Ouest.
Le cycle du logement
Le secteur du logement a connu
un cycle d’une ampleur exceptionnelle entre 1985 et 1994. Ce cycle
s’est manifesté, dans un premier temps, par une progression
rapide des valeurs (les prix des logements ou leurs loyers dans les grandes
agglomérations, principalement), par une expansion remarquable
de l’activité (accroissement de la construction mais aussi,
et cela était nouveau, du nombre des transactions dans l’ancien)
et une augmentation très forte du volume des crédits accordés
aux ménages. Puis, à cette phase d’expansion a succédé
une période de baisse des valeurs, de récession des marchés,
de gonflement excessif des stocks détenus par les promoteurs.
La phase ascendante du cycle aura
duré de l’ordre de cinq à six années, de 1985
à 1990, et la phase descendante de l’ordre de quatre ans,
de 1991 à 1994. La crise des années quatre-vingt-dix aura
alors été violente, d’autant plus d’ailleurs qu’elle
a concerné en même temps la plupart des secteurs de l’immobilier
et qu’elle a fait suite à des années d’une euphorie
exceptionnelle en France, au regard des évolutions constatées
jusqu’alors. Elle a en outre été observée dans
tous les pays de l’OCDE, tant dans l’immobilier résidentiel
que dans le non-résidentiel, même si l’amplitude du
cycle a pu varier selon les pays : plus accentuée à Barcelone,
à Berlin, à Madrid ou à Stockholm, qu’à
Paris et à Londres, par exemple !
Comment les économistes
prennent-ils en compte cette question du cycle, fondamentale pour le secteur
de la construction et la satisfaction des besoins en logements, notamment
? Comment intégrer cette dimension essentielle dans une réflexion
sur le pilotage des politiques du logement ? Quelles conséquences
en tirer sur la sortie du cycle actuel ? Autant de questions qui ne peuvent
que préoccuper toute intelligence prévoyante.
Une réalité fragile
La théorie des cycles économiques
constitue un classique des cours de dynamique de la croissance1,
avec notamment l’inévitable distinction entre :
- le cycle de Kitchin, cycle des affaires de l’ordre de trois ans,
- le cycle de Juglar, cycle économique traditionnel d’une durée
de huit à neuf ans observé, à quelques détails
près, dans la plupart des pays industriels,
- et le cycle de Kondratieff, d’une durée de cinquante ans et
dont chaque phase ascendante est liée à une découverte
technique majeure.
Le secteur du logement ne semble
pas à l’écart de cette dynamique singulière.
Bien au contraire, toutes les recherches statistiques appliquées
confirment la réalité d’un cycle du logement :
- on peut par exemple illustrer, dans le cas de la France, l’existence
d’un cycle de la construction non aidée depuis à peu
près le milieu des années soixante. Les interventions publiques
ayant longtemps gommé l’expression de ce cycle sur le niveau
global de la construction et laissé croire que ce secteur était
à l’abri des aléas du marché
- on peut de même identifier un cycle de crédit. Et aussi un
cycle de l’ancien qui jusqu’au milieu des années quatre-vingt
n’a été que de type Kitchin pour se fondre dans le
Juglar depuis : c’est la célèbre boucle « prix-activité
» présentée dès la fin des années quatre-vingt
pour l’ensemble du marché français dans le modèle
Despina puis adaptée graphiquement quelques années plus
tard au marché parisien et qui n’exprime rien d’autre
que la forme réduite d’un système d’équations
aux différences premières (Le théorème de
Liapounov, éditions de Moscou, 1963)
- sans oublier le cycle de la promotion immobilière, si caractéristique
de l’importance des délais de production et des erreurs d’anticipation
des promoteurs dans l’explication du phénomène. Ni
même celui de l’épargne-logement, dont les caractéristiques
ont toujours eu une portée considérable sur le secteur du
logement.
Il est vrai que depuis Martin
Nadaud, maçon de la Creuse devenu député de la IIe République, le lien entre secteur de la construction et activité
économique est reconnu : « Quand le bâtiment va, tout
va » (1849). Et d’ailleurs, au-delà des effets multiplicateurs
et de structuration de l’activité économique exercés
par l’investissement-logement que la théorie keynésienne
a mis en avant dans les recommandations de politique économique
qui firent les « trente glorieuses », on observe aujourd’hui
dans certains pays (les Etats-Unis, par exemple) que le cycle de l’immobilier
est en avance de l’ordre de deux à trois trimestres sur celui
du PIB : les ménages y sont en effet à peu près toujours
les premiers bénéficiaires des baisses des taux d’intérêt
décidées en bas de cycle !
Deux types de cycles
Ce n’est pas pour autant,
cependant, que les théories économiques ont clairement expliqué
(voire établi) la réalité des cycles. Au-delà
des observations sur la longueur des cycles immobiliers, la « théorie
» distingue deux types de cycles :
- ceux qui seraient le résultat d’un choc exogène,
monétaire ou réel suivant les auteurs. Dans tous les cas,
il s’agit de « cycle à l’équilibre »,
un processus de déséquilibres successifs venant alors permettre
le retour à l’équilibre et les mouvements des grandeurs
économiques concernées ne faisant que refléter les
comportements d’optimisation des agents économiques. C’est
l’approche qui se retrouve autant dans la tradition keynésienne
du déséquilibre et qui va justifier, en général,
la nécessité d’une intervention publique régulatrice
du marché (puisque ce cycle est associé à une grande
rigidité de l’offre, aux pratiques des acteurs et à
des mouvements de prix qui provoquent toujours des distorsions dans les
rendements des actifs et retardent les corrections de marché nécessaires
à l’évitement du cycle). C’est cette même
approche que l’on retrouve chez les auteurs de la nouvelle économie
classique, si peu ouverte à toute intervention de l’Etat,
et qui « montrent » que des chocs sur une économie
à l’équilibre (des dépenses gouvernementales,
bien sûr, mais aussi des perturbations dans la productivité
du travail) suffisent à provoquer des fluctuations cycliques plus
ou moins marquées
Le cycle du crédit
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- ceux qui seraient l’expression d’une dynamique endogène,
telle une bulle par exemple ou le cycle de l’investissement. Le déroulement
de ce cycle est bien connu par les économistes : l’enchaînement
des causes et des phases de ce cycle a été largement analysé.
Fruit de l’instabilité naturelle des marchés, des erreurs
d’anticipation des agents économiques… il est déterminé
par la dynamique particulière de toute décision d’investir.
Mais au-delà de ces analyses,
la réalité des cycles est fragile, comme toutes les recherches
économétriques « rigoureuses » ont pu l’établir
: l’existence d’un cycle est rarement prouvée, elle relève
d’ailleurs plus d’un artefact au sens statistique du terme (le
« fameux » effet Slutky qui montra, il y a plus de soixante
ans, qu’une composition habile de perturbations purement aléatoires
permettait de construire des courbes semblables à des cycles).
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Source : Michel Mouillart (Septembre 2003). |
Un outil de pilotage des politiques publiques
Faute d’une véritable
théorie du cycle, les économistes s’accordent donc
sur une approximation pour dénommer des mouvements plus ou moins
réguliers, d’amplitude variable caractérisant l’activité
des marchés et faisant alterner suivant une certaine régularité
des phases d’expansion et de récession des volumes et des
valeurs.
Derrière ce qu’on
appelle un cycle du logement, c’est donc la référence
à l’existence d’une certaine volatilité de l’activité
et des valeurs, loin de celle des « fondamentaux » de l’économie,
qui prime. Elle exprime alors le comportement d’acteurs du marché
qui décident très largement par mimétisme, dans un
univers à information limitée, ne disposant que rarement
de tous les éléments nécessaires pour décider
et agir.
Comprendre pourquoi et comment
une phase d’expansion s’achève et cède la place
à une récession des marchés, prévoir éventuellement
le moment à partir duquel le retournement des marchés paraît
inévitable est alors essentiel.
L’analyse de la crise des
années quatre-vingt-dix par exemple, souligne le rôle de
quelques variables fondamentales, essentielles pour le retournement du
cycle :
- l’incidence de l’internationalisation des mouvements
de capitaux : outre le jeu des investissements étrangers, les perspectives
ouvertes par la construction européenne avaient laissé croire
à certains que Paris et l’Ile-de-France pouvaient constituer
une véritable alternative à Londres et à Francfort.
Cela permettant alors de justifier la libéralisation des diverses
procédures d’agrément… et ayant amplifié
le désordre des marchés
- les évolutions du système de financement du logement
: dès la fin des années quatre-vingt et au début
des années quatre-vingt-dix, la France est passée d’un
système de financement de l’économie et du logement
largement administré, à un système dans le marché
auquel la plupart des acteurs n’était guère préparée.
L’allègement des contraintes (levée de l’encadrement
du crédit, déspécialisation des établissements…)
a permis un élargissement considérable des possibilités
d’accès au crédit, mais dans des conditions souvent
peu propices à la consolidation durable de l’expansion (engagement
excessif des prêteurs, accroissement de parts de marché à
tout prix…)
- la hausse des prix a été trop rapide, trop forte
dans les grandes agglomérations. Et comme dans la plupart des pays
de l’OCDE, cette hausse a été facilitée par
l’amélioration des conditions d’emprunt accordées
aux ménages (baisse des taux d’intérêt, allongement
de la durée des emprunts…)
- la réaction des pouvoirs publics face à la crise
a été tardive et limitée : autant en raison d’un
mauvais diagnostic, que du fait de l’absence d’une véritable
volonté d’intervention (la stratégie de l’autorégulation
du marché) et de l’insuffisance des moyens mobilisés
(la primauté de la maîtrise des déficits publics et
de la hausse des dépenses gouvernementales sur la lutte contre
le chômage et l’amélioration des conditions de vie).
Le repérage du point auquel
le secteur se trouve dans le déroulement du cycle peut donc constituer
un outil de pilotage des politiques publiques : autant pour atténuer
les conséquences que cela a sur l’activité des entreprises
du secteur et sur la situation des marchés du logement que pour
assurer une couverture satisfaisante des besoins en logements.
Mais peut-on pour autant éviter
« le cycle » ? Pour beaucoup d’économistes, les
tenants du cycle endogène et les théoriciens de la nouvelle
économie classique, il n’y a par nature rien à faire
et il convient surtout de laisser faire les choses : le cycle fait partie
de la respiration naturelle de l’économie. Pour d’autres,
les économistes keynésiens notamment, une volonté
publique peut et doit venir atténuer les aspects négatifs
du cycle dans sa phase récessive notamment (et même pour
certains, corriger les effets indésirables de la phase d’expansion : l’envolée des valeurs, par exemple) : les interventions
contracycliques de la dépense publique, bien sûr, mais aussi
une solide connaissance des mécanismes du marché et la préservation,
voire le développement d’un système de financement
(les circuits) à l’abri des fluctuations les plus brutales
des marchés monétaire et financier (le rôle que le
circuit de l’épargne-logement a pu jouer par le passé).
Quel avenir pour le cycle du logement ?
Au terme de cette réflexion,
et même si le cycle n’existe pas, il est clair que l’ouverture
d’une nouvelle phase récessive des marchés du logement
inquiète les observateurs. Après près de huit années
d’une expansion plus ou moins rapide et régulière,
la probabilité d’un retournement de conjoncture semble élevée : celui-ci confirmerait ainsi l’intérêt que les économistes
peuvent porter à un tel concept, même flou et difficile à
identifier.
Il est clair qu’au cours
des dernières années, le secteur du logement a surpris la
plupart des observateurs par la résistance remarquable de ses volumes
d’activité (la production de crédits, les transactions
dans l’ancien… voire même le niveau de la construction),
dans un contexte de croissance ralentie : surtout depuis deux années
avec la remontée rapide du chômage, la dégradation
sensible du moral des ménages et la contraction rapide du volume
des aides publiques au logement.
La conjonction de chocs exogènes,
nombreux maintenant, paraît alors de nature à amorcer une
phase récessive : la réforme des prêts conventionnés
tout d’abord, comme cela avait déjà été
le cas au début des années quatre-vingt-dix la réforme
de l’épargne-logement encore, comme cela avait encore été
le cas alors la rigueur budgétaire et la remise en cause des
aides à l’accession à la propriété…
comme alors ! La liste est remarquable tant par sa longueur que par sa
similitude avec celle qui pouvait être dressée au début
des années quatre-vingt-dix.
Et le choc le plus décisif
devrait être porté par la remontée des taux d’intérêt,
c’est là aujourd’hui le risque majeur pour le cycle :
- pendant à peu près cinq à six ans, la reprise
du cycle immobilier a échappé à la « bulle
» tant redoutée : la hausse des prix était restée
modérée et le niveau des taux d’intérêt
attractif constituait un puissant facteur de soutien de l’expansion
des marchés
- depuis deux années cependant, la hausse s’est accélérée
jusqu’à devenir irraisonnable : près de 25 % d’augmentation
des prix des appartements anciens, France entière, sur un an entre
juin 2002 et juin 2003, par exemple. Le niveau des taux et l’allongement
de la durée des emprunts ont, comme au début des années
quatre-vingt-dix (avec une intensité beaucoup plus forte, en fait),
alimenté cette « bulle » que l’OCDE redoutait
tant pour la stabilité des économies
- lorsque la reprise économique mondiale va se consolider,
les banques vont se retourner progressivement vers les actifs risqués.
Jusqu’alors, leur prudence les avait plutôt incitées
à investir dans les titres publics (abondants compte tenu de l’ampleur
des déficits et des techniques nouvelles de leur monétisation).
Les déficits existants devraient alors provoquer, à l’avenir,
une (forte ?) progression des taux jusqu’alors différée
par les techniques de monétisation et l’abondance de liquidités
bon marché.
La hausse des taux longs fera
dans ce cas très probablement exploser la « bulle »
des prix, dans des conditions comparables à ce qui s’était
observé au début des années quatre-vingt-dix. Elle
devrait en outre se trouver associée à une raréfaction
relative des ressources de financement à disposition des ménages : la reprise provoquera un relèvement de la demande de crédits
de la part des entreprises détournant (partiellement) les banques
du financement de l’immobilier résidentiel.
Tous les ingrédients seront
alors réunis, vers le printemps (ou au plus tard au début
de l’été) 2004, pour un retournement certainement assez
dur du cycle du logement. Si le diagnostic est juste, cela prouvera que
la prévision est certes un exercice difficile, mais qui peut aussi
être utile. On comprendra mal alors que rien ne soit venu entraver
le déroulement naturel du cycle.
Bibliographie
- Quand l’économie mondiale repartira, Patrick Artus, Flash Recherche, CDC - IXIS, n° 2002-06, 14 janvier 2003.
- La crise immobilière des années 1980-1990, Observateur de l’Immobilier n° 41-42, mai 1999.
- Prix des logements et activité économique, Perspectives économiques, OCDE, n° 68, 2000.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/le-cycle-du-logement.html?item_id=2504
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