Michel MOUILLART

est économiste et professeur à l’université Paris-Ouest.

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Le cycle du logement

Le secteur du logement a connu un cycle d’une ampleur exceptionnelle entre 1985 et 1994. Ce cycle s’est manifesté, dans un premier temps, par une progression rapide des valeurs (les prix des logements ou leurs loyers dans les grandes agglomérations, principalement), par une expansion remarquable de l’activité (accroissement de la construction mais aussi, et cela était nouveau, du nombre des transactions dans l’ancien) et une augmentation très forte du volume des crédits accordés aux ménages. Puis, à cette phase d’expansion a succédé une période de baisse des valeurs, de récession des marchés, de gonflement excessif des stocks détenus par les promoteurs.

La phase ascendante du cycle aura duré de l’ordre de cinq à six années, de 1985 à 1990, et la phase descendante de l’ordre de quatre ans, de 1991 à 1994. La crise des années quatre-vingt-dix aura alors été violente, d’autant plus d’ailleurs qu’elle a concerné en même temps la plupart des secteurs de l’immobilier et qu’elle a fait suite à des années d’une euphorie exceptionnelle en France, au regard des évolutions constatées jusqu’alors. Elle a en outre été observée dans tous les pays de l’OCDE, tant dans l’immobilier résidentiel que dans le non-résidentiel, même si l’amplitude du cycle a pu varier selon les pays : plus accentuée à Barcelone, à Berlin, à Madrid ou à Stockholm, qu’à Paris et à Londres, par exemple !

Comment les économistes prennent-ils en compte cette question du cycle, fondamentale pour le secteur de la construction et la satisfaction des besoins en logements, notamment ? Comment intégrer cette dimension essentielle dans une réflexion sur le pilotage des politiques du logement ? Quelles conséquences en tirer sur la sortie du cycle actuel ? Autant de questions qui ne peuvent que préoccuper toute intelligence prévoyante.

Une réalité fragile

La théorie des cycles économiques constitue un classique des cours de dynamique de la croissance1, avec notamment l’inévitable distinction entre :

  • le cycle de Kitchin, cycle des affaires de l’ordre de trois ans,
  • le cycle de Juglar, cycle économique traditionnel d’une durée de huit à neuf ans observé, à quelques détails près, dans la plupart des pays industriels,
  • et le cycle de Kondratieff, d’une durée de cinquante ans et dont chaque phase ascendante est liée à une découverte technique majeure.

Le secteur du logement ne semble pas à l’écart de cette dynamique singulière. Bien au contraire, toutes les recherches statistiques appliquées confirment la réalité d’un cycle du logement :

  • on peut par exemple illustrer, dans le cas de la France, l’existence d’un cycle de la construction non aidée depuis à peu près le milieu des années soixante. Les interventions publiques ayant longtemps gommé l’expression de ce cycle sur le niveau global de la construction et laissé croire que ce secteur était à l’abri des aléas du marché
  • on peut de même identifier un cycle de crédit. Et aussi un cycle de l’ancien qui jusqu’au milieu des années quatre-vingt n’a été que de type Kitchin pour se fondre dans le Juglar depuis : c’est la célèbre boucle « prix-activité » présentée dès la fin des années quatre-vingt pour l’ensemble du marché français dans le modèle Despina puis adaptée graphiquement quelques années plus tard au marché parisien et qui n’exprime rien d’autre que la forme réduite d’un système d’équations aux différences premières (Le théorème de Liapounov, éditions de Moscou, 1963)
  • sans oublier le cycle de la promotion immobilière, si caractéristique de l’importance des délais de production et des erreurs d’anticipation des promoteurs dans l’explication du phénomène. Ni même celui de l’épargne-logement, dont les caractéristiques ont toujours eu une portée considérable sur le secteur du logement.

Il est vrai que depuis Martin Nadaud, maçon de la Creuse devenu député de la IIe République, le lien entre secteur de la construction et activité économique est reconnu : « Quand le bâtiment va, tout va » (1849). Et d’ailleurs, au-delà des effets multiplicateurs et de structuration de l’activité économique exercés par l’investissement-logement que la théorie keynésienne a mis en avant dans les recommandations de politique économique qui firent les « trente glorieuses », on observe aujourd’hui dans certains pays (les Etats-Unis, par exemple) que le cycle de l’immobilier est en avance de l’ordre de deux à trois trimestres sur celui du PIB : les ménages y sont en effet à peu près toujours les premiers bénéficiaires des baisses des taux d’intérêt décidées en bas de cycle !

Deux types de cycles

Ce n’est pas pour autant, cependant, que les théories économiques ont clairement expliqué (voire établi) la réalité des cycles. Au-delà des observations sur la longueur des cycles immobiliers, la « théorie » distingue deux types de cycles :

  • ceux qui seraient le résultat d’un choc exogène, monétaire ou réel suivant les auteurs. Dans tous les cas, il s’agit de « cycle à l’équilibre », un processus de déséquilibres successifs venant alors permettre le retour à l’équilibre et les mouvements des grandeurs économiques concernées ne faisant que refléter les comportements d’optimisation des agents économiques. C’est l’approche qui se retrouve autant dans la tradition keynésienne du déséquilibre et qui va justifier, en général, la nécessité d’une intervention publique régulatrice du marché (puisque ce cycle est associé à une grande rigidité de l’offre, aux pratiques des acteurs et à des mouvements de prix qui provoquent toujours des distorsions dans les rendements des actifs et retardent les corrections de marché nécessaires à l’évitement du cycle). C’est cette même approche que l’on retrouve chez les auteurs de la nouvelle économie classique, si peu ouverte à toute intervention de l’Etat, et qui « montrent » que des chocs sur une économie à l’équilibre (des dépenses gouvernementales, bien sûr, mais aussi des perturbations dans la productivité du travail) suffisent à provoquer des fluctuations cycliques plus ou moins marquées

Le cycle du crédit

  • ceux qui seraient l’expression d’une dynamique endogène, telle une bulle par exemple ou le cycle de l’investissement. Le déroulement de ce cycle est bien connu par les économistes : l’enchaînement des causes et des phases de ce cycle a été largement analysé. Fruit de l’instabilité naturelle des marchés, des erreurs d’anticipation des agents économiques… il est déterminé par la dynamique particulière de toute décision d’investir.

Mais au-delà de ces analyses, la réalité des cycles est fragile, comme toutes les recherches économétriques « rigoureuses » ont pu l’établir : l’existence d’un cycle est rarement prouvée, elle relève d’ailleurs plus d’un artefact au sens statistique du terme (le « fameux » effet Slutky qui montra, il y a plus de soixante ans, qu’une composition habile de perturbations purement aléatoires permettait de construire des courbes semblables à des cycles).

Source : Michel Mouillart (Septembre 2003).

Un outil de pilotage des politiques publiques

Faute d’une véritable théorie du cycle, les économistes s’accordent donc sur une approximation pour dénommer des mouvements plus ou moins réguliers, d’amplitude variable caractérisant l’activité des marchés et faisant alterner suivant une certaine régularité des phases d’expansion et de récession des volumes et des valeurs.

Derrière ce qu’on appelle un cycle du logement, c’est donc la référence à l’existence d’une certaine volatilité de l’activité et des valeurs, loin de celle des « fondamentaux » de l’économie, qui prime. Elle exprime alors le comportement d’acteurs du marché qui décident très largement par mimétisme, dans un univers à information limitée, ne disposant que rarement de tous les éléments nécessaires pour décider et agir.

Comprendre pourquoi et comment une phase d’expansion s’achève et cède la place à une récession des marchés, prévoir éventuellement le moment à partir duquel le retournement des marchés paraît inévitable est alors essentiel.

L’analyse de la crise des années quatre-vingt-dix par exemple, souligne le rôle de quelques variables fondamentales, essentielles pour le retournement du cycle :

  • l’incidence de l’internationalisation des mouvements de capitaux : outre le jeu des investissements étrangers, les perspectives ouvertes par la construction européenne avaient laissé croire à certains que Paris et l’Ile-de-France pouvaient constituer une véritable alternative à Londres et à Francfort. Cela permettant alors de justifier la libéralisation des diverses procédures d’agrément… et ayant amplifié le désordre des marchés
  • les évolutions du système de financement du logement : dès la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix, la France est passée d’un système de financement de l’économie et du logement largement administré, à un système dans le marché auquel la plupart des acteurs n’était guère préparée. L’allègement des contraintes (levée de l’encadrement du crédit, déspécialisation des établissements…) a permis un élargissement considérable des possibilités d’accès au crédit, mais dans des conditions souvent peu propices à la consolidation durable de l’expansion (engagement excessif des prêteurs, accroissement de parts de marché à tout prix…)
  • la hausse des prix a été trop rapide, trop forte dans les grandes agglomérations. Et comme dans la plupart des pays de l’OCDE, cette hausse a été facilitée par l’amélioration des conditions d’emprunt accordées aux ménages (baisse des taux d’intérêt, allongement de la durée des emprunts…)
  • la réaction des pouvoirs publics face à la crise a été tardive et limitée : autant en raison d’un mauvais diagnostic, que du fait de l’absence d’une véritable volonté d’intervention (la stratégie de l’autorégulation du marché) et de l’insuffisance des moyens mobilisés (la primauté de la maîtrise des déficits publics et de la hausse des dépenses gouvernementales sur la lutte contre le chômage et l’amélioration des conditions de vie).

Le repérage du point auquel le secteur se trouve dans le déroulement du cycle peut donc constituer un outil de pilotage des politiques publiques : autant pour atténuer les conséquences que cela a sur l’activité des entreprises du secteur et sur la situation des marchés du logement que pour assurer une couverture satisfaisante des besoins en logements.

Mais peut-on pour autant éviter « le cycle » ? Pour beaucoup d’économistes, les tenants du cycle endogène et les théoriciens de la nouvelle économie classique, il n’y a par nature rien à faire et il convient surtout de laisser faire les choses : le cycle fait partie de la respiration naturelle de l’économie. Pour d’autres, les économistes keynésiens notamment, une volonté publique peut et doit venir atténuer les aspects négatifs du cycle dans sa phase récessive notamment (et même pour certains, corriger les effets indésirables de la phase d’expansion : l’envolée des valeurs, par exemple) : les interventions contracycliques de la dépense publique, bien sûr, mais aussi une solide connaissance des mécanismes du marché et la préservation, voire le développement d’un système de financement (les circuits) à l’abri des fluctuations les plus brutales des marchés monétaire et financier (le rôle que le circuit de l’épargne-logement a pu jouer par le passé).

Quel avenir pour le cycle du logement ?

Au terme de cette réflexion, et même si le cycle n’existe pas, il est clair que l’ouverture d’une nouvelle phase récessive des marchés du logement inquiète les observateurs. Après près de huit années d’une expansion plus ou moins rapide et régulière, la probabilité d’un retournement de conjoncture semble élevée : celui-ci confirmerait ainsi l’intérêt que les économistes peuvent porter à un tel concept, même flou et difficile à identifier.

Il est clair qu’au cours des dernières années, le secteur du logement a surpris la plupart des observateurs par la résistance remarquable de ses volumes d’activité (la production de crédits, les transactions dans l’ancien… voire même le niveau de la construction), dans un contexte de croissance ralentie : surtout depuis deux années avec la remontée rapide du chômage, la dégradation sensible du moral des ménages et la contraction rapide du volume des aides publiques au logement.

La conjonction de chocs exogènes, nombreux maintenant, paraît alors de nature à amorcer une phase récessive : la réforme des prêts conventionnés tout d’abord, comme cela avait déjà été le cas au début des années quatre-vingt-dix la réforme de l’épargne-logement encore, comme cela avait encore été le cas alors la rigueur budgétaire et la remise en cause des aides à l’accession à la propriété… comme alors ! La liste est remarquable tant par sa longueur que par sa similitude avec celle qui pouvait être dressée au début des années quatre-vingt-dix.

Et le choc le plus décisif devrait être porté par la remontée des taux d’intérêt, c’est là aujourd’hui le risque majeur pour le cycle :

  • pendant à peu près cinq à six ans, la reprise du cycle immobilier a échappé à la « bulle » tant redoutée : la hausse des prix était restée modérée et le niveau des taux d’intérêt attractif constituait un puissant facteur de soutien de l’expansion des marchés
  • depuis deux années cependant, la hausse s’est accélérée jusqu’à devenir irraisonnable : près de 25 % d’augmentation des prix des appartements anciens, France entière, sur un an entre juin 2002 et juin 2003, par exemple. Le niveau des taux et l’allongement de la durée des emprunts ont, comme au début des années quatre-vingt-dix (avec une intensité beaucoup plus forte, en fait), alimenté cette « bulle » que l’OCDE redoutait tant pour la stabilité des économies
  • lorsque la reprise économique mondiale va se consolider, les banques vont se retourner progressivement vers les actifs risqués. Jusqu’alors, leur prudence les avait plutôt incitées à investir dans les titres publics (abondants compte tenu de l’ampleur des déficits et des techniques nouvelles de leur monétisation). Les déficits existants devraient alors provoquer, à l’avenir, une (forte ?) progression des taux jusqu’alors différée par les techniques de monétisation et l’abondance de liquidités bon marché.

La hausse des taux longs fera dans ce cas très probablement exploser la « bulle » des prix, dans des conditions comparables à ce qui s’était observé au début des années quatre-vingt-dix. Elle devrait en outre se trouver associée à une raréfaction relative des ressources de financement à disposition des ménages : la reprise provoquera un relèvement de la demande de crédits de la part des entreprises détournant (partiellement) les banques du financement de l’immobilier résidentiel.

Tous les ingrédients seront alors réunis, vers le printemps (ou au plus tard au début de l’été) 2004, pour un retournement certainement assez dur du cycle du logement. Si le diagnostic est juste, cela prouvera que la prévision est certes un exercice difficile, mais qui peut aussi être utile. On comprendra mal alors que rien ne soit venu entraver le déroulement naturel du cycle.

  1. Voir aussi l’article de Jean-Jacques Granelle

Bibliographie

  • Quand l’économie mondiale repartira, Patrick Artus, Flash Recherche, CDC - IXIS, n° 2002-06, 14 janvier 2003.
  • La crise immobilière des années 1980-1990, Observateur de l’Immobilier n° 41-42, mai 1999.
  • Prix des logements et activité économique, Perspectives économiques, OCDE, n° 68, 2000.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/le-cycle-du-logement.html?item_id=2504
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