Président de la chambre du droit des sociétés au tribunal de commerce de Paris.
Vous avez dit "développement ?"
Je suis, de naissance, un fervent
partisan du développement.
Quand on est né, comme
moi, en 1943, qu’on a vu dans son enfance la misère des bas
quartiers de nos villes, la pauvreté des campagnes, le dénuement
des personnes âgées ; quand on a pu apprécier,
année après année, l’apport de chacune des «trente
glorieuses» en termes de confort, de sécurité et même
tout simplement d’alimentation et d’habillement ; quand
on a mesuré autour de soi les bienfaits du développement,
comment ne pas éprouver un attachement viscéral à
tout ce qui permet d’encourager le développement et de le
maintenir sur la durée ?
Une notion aussi bienfaisante
que celle du développement ne devrait rencontrer que des partisans.
Chacun sait que c’est le développement qui nous a permis de
dépolluer nos rivières, bien plus propres aujourd’hui
qu’il y a cinquante ans, de développer de nouvelles sources
d’énergie, d’améliorer l’air de nos villes,
d’atténuer les pollutions des véhicules. Souvenons-nous
de ce qu’étaient le bruit et la pollution automobile à
Paris dans les années soixante, ou l’environnement des centrales
au charbon !.
Sourde hostilité
Or, malgré tous ces bienfaits évidents,
la notion même de développement rencontre aujourd’hui,
chez certains, une sourde hostilité. A l’idée qu’on
remplace un champ de blé par un lotissement de maisons individuelles
dans lequel les enfants pourront jouer et les adultes jardiner, combien
d’oppositions ! Devant un projet de route qui permettra à
nombre de travailleurs de gagner un temps précieux dans leur trajet
quotidien, quelle levée de boucliers ! Face à de nouvelles
semences ou à un projet de nouvelle usine qui permettront de gagner
en productivité et en qualité, et donc d’améliorer
le niveau de vie, que d’agitations pour bloquer tout développement
!
Les opposants invoquent souvent le risque de pollution.
C’est un argument fallacieux auquel il ne faut pas se laisser prendre.
Il y a longtemps que, grâce aux études d’impact, obligatoires
depuis 1976, les usines modernes savent maîtriser leurs rejets,
que les routes nouvelles sont bien intégrées dans le paysage,
et que les architectes et urbanistes savent réaliser des projets
à taille humaine.
Ne nous laissons pas non plus arrêter par l’argument
selon lequel il faut économiser l’espace. L’espace est
d’abord fait pour que l’homme y soit heureux, et dans notre
pays qui dispose de la densité la plus faible d’Europe, il
y a toute la place pour desserrer les activités humaines et ouvrir
largement de nouvelles zones pour l’habitation.
Motivations égoïstes
Non, les vraies motivations des opposants au développement
sont ailleurs.
Il s’agit d’abord, chez la plupart d’entre
eux, d’un refus du devoir d’hospitalité. On refuse, par
égoïsme, le nouveau voisin. Qu’il aille ailleurs !
Not in my backyard, pas dans mon jardin ! disent les Anglo-Saxons.
Ce manque d’hospitalité est un travers que, à vrai
dire, nous partageons tous et qu’il faut combattre résolument.
Il y a ensuite chez les opposants au développement,
tous ceux qui, revenant aux vieilles traditions païennes, préfèrent
la nature aux personnes. Pour eux, la tentation malthusienne est toujours
bien présente. Ils considèrent les humains comme trop nombreux,
oubliant que chacun de ces humains est une personne, qui a sa valeur,
et qui vaut bien plus que tous les éléments naturels.
Pour la plupart d’entre eux, l’opposition au
développement est une question d’idéologie. La meilleure
preuve en est qu’aucun argument rationnel n’a de prise sur eux.
Chacun peut voir, par exemple, que le développement, et notamment
la mondialisation des échanges, ont permis de mieux nourrir, mieux
vêtir, mieux soigner, mieux éduquer les six milliards d’hommes
qui habitent la planète aujourd’hui, et qui vivent mieux que
leurs parents lorsqu’ils n’étaient qu’un milliard.
Et pourtant, qui l’admet ?
Prenons des exemples plus concrets. Le programme nucléaire,
mis en place il y a bientôt trente ans grâce à l’obstination
Michel d’Ornano, dont j’ai été longtemps le collaborateur,
nous permet de produire depuis trois décennies, et sans problème,
l’énergie la plus propre, la plus sûre et la plus rentable
qu’on ait jamais connue. Qui, parmi ceux qui se réclament
de la nature, le reconnaît ?
Aujourd’hui, les organismes génétiquement
modifiés peuvent apporter aux cultures vivrières des progrès
similaires à ce que la greffe apportait autrefois, c’est-à-dire
des végétaux plus robustes, mieux adaptés au climat,
plus nourrissants, économisant l’effort des paysans et poursuivant
les traditions millénaires d’amélioration des cultures
par la main humaine. Pourquoi les refuser, sinon par idéologie ?
Attention au principe de précaution
On pourrait multiplier les exemples de ces refus obstinés
du progrès, imperméables à toute démonstration.
On pourrait les traiter à la légère, comme un aimable
folklore, mais c’est impossible pour qui connaît les besoins
de développement qui existent encore aujourd’hui, non seulement
en Afrique ou en Asie, mais aussi autour de nous, au bout de la rue ou
dans le quartier voisin.
C’est pour cette raison qu’il faut rejeter
énergiquement ce vocable de développement durable. D’abord,
il est le fruit d’une bien mauvaise traduction. Le mot anglais, comme
souvent dans cette langue, est plus riche, plus volontariste aussi. To
sustain, cela veut dire soutenir, au sens où on peut soutenir un
effort, mais cela veut dire aussi garder vivant. C’est une expression
plus dynamique, qui n’a pas ce côté immobiliste et conservateur
de l’adjectif durable. Durable, cela fait penser à ces équipements
rustiques, à ces vêtements inusables qui nous étaient
imposés dans notre enfance, à cette économie sans
imagination qui nous a si longtemps paralysés. Développement
durable, c’est en fait, chez beaucoup, le symbole du conservatisme
quand ce n’est pas de la régression.
Et surtout, l’expression développement durable
est devenue une arme pour arrêter le développement. Un emballage
sympathique, qui réjouira la table familiale ? Halte-là,
au nom du développement durable, même si le recyclage fait
des progrès tous les jours. Une nouvelle gravière ?
Interdite, même si la baisse de coût des granulats qu’elle
permettrait faciliterait le logement de milliers de candidats à
la propriété, et même si sa transformation future
en plan d’eau ferait l’agrément de nombreux citadins.
Encore pourrait-on vivre avec le développement
durable s’il ne s’alliait de façon redoutable avec une
autre notion, aussi néfaste : le principe de précaution.
Je suis, de naissance, un adversaire déterminé du principe
de précaution. Qui, au nom de ce principe, aurait donné
naissance en 1943 ? Mais sans vouloir personnaliser outre mesure,
comment peut-on croire qu’avec le principe de précaution on
aurait inventé le vaccin, la pénicilline, l’avion ou
l’électricité ? Seuls des fous volants, des pionniers
ont permis tous ces progrès.
Ne me faites pas dire qu’il ne faut pas être
prudent, qu’il ne faut pas mesurer les conséquences de ses
projets, que les autorités n’ont pas un devoir de contrôle.
J’ai participé avec enthousiasme à la mise en place
des grandes lois de protection de l’environnement des années
soixante-dix, qui toutes étaient fondées sur l’idée
d’une maîtrise de la nature par l’homme, d’une gestion
maîtrisée des ressources. Mais toutes ces lois étaient
orientées vers le développement, indispensable compte tenu
de tous les besoins encore insatisfaits.
Ce que je veux dire, c’est que le fait d’ériger
le principe de précaution en principe constitutionnel revient à
donner aux adversaires du développement une arme redoutable. On
imagine que c’est une règle sympathique fondée sur
de bons sentiments. Certes, mais à la disposition des fanatiques
opposants au développement, elle permettra à n’importe
lequel d’entre eux de faire arrêter par le juge n’importe
quel projet, fût-il positif pour le bien-être futur de milliers
de nos concitoyens.
Rappelons-nous M. Kalachnikov : il a inventé
une arme robuste pour défendre sa grande patrie agressée.
Cette arme est aujourd’hui dans les mains de tous les intégristes.
Ne donnons pas à nos intégristes des armes contre le développement
et le progrès. Nous avons encore trop besoin du développement.
Développement durable, certes, mais d’abord développement.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/vous-avez-dit-quotdeveloppement-nbsp-quot.html?item_id=2500
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