Yves ROBIN

est chef du service économique et statistique au ministère de l’Equipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer.

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Le cycle de la construction

Selon le dicton, « quand le Bâtiment va, tout va » ! Souvent vérifiée dans le passé, cette affirmation a toutefois connu quelques exceptions de taille. Il n’y a d’ailleurs rien d’étonnant à cela : le secteur du Bâtiment et des Travaux publics – ou plus précisément, celui de la construction pour prendre son appellation actuelle – a un rôle économique très spécifique dont on essaiera d’expliquer ici les causes macroéconomiques.

Les produits de la construction ont la particularité d’être, en quasi-totalité, des biens d’investissement. En effet, alors que l’investissement (la formation brute de capital fixe, pour reprendre la terminologie des comptes nationaux) n’a représenté que de 17 % à 25 % de l’ensemble du produit intérieur brut (PIB) au cours des cinquante dernières années, les travaux de construction sont à plus de 95 % l’objet de formation brute de capital fixe (FBCF). La construction est donc un bien d’investissement par excellence. Mieux : la FBCF est constituée pour plus de la moitié de produits de la construction et ils en ont même représenté près de 70 % dans les années soixante. Le Bâtiment et les Travaux publics sont donc les biens d’investissement par excellence.

Dès lors, rien d’étonnant que l’adage se vérifie aussi régulièrement : lorsque l’économie française se porte bien, elle investit et la demande de travaux de construction se fait plus intense.

L’investissement, moteur de la croissance

L’investissement est la composante à la fois la plus dynamique et la plus volatile de la croissance. En effet, au cours des cinquante dernières années, la croissance annuelle de l’économie française a été en moyenne de 3,6 %. Mais cette période n’est pas homogène et il convient de distinguer les années qui vont de l’après-guerre à 1974 (les « trente glorieuses ») et les vingt-cinq années suivantes. La croissance a, en effet, été en moyenne de 4,9 % entre 1950 et 1974 alors qu’elle n’est plus que de l’ordre de 2,1 % depuis 1975.

En général, les variations autour de ces valeurs centrales n’ont pas été d’une ampleur considérable : l’écart type autour de ces deux valeurs (4,9 % jusqu’en 1974 et 2,1 % depuis 1975) n’est que de 1,3 % environ, et seules les quelques années de récession (1958-1959, 1973-1974, 1993) ou de forte reprise (1960, 1962, 1976 et 1988-1989) échappent nettement à cette norme. Cette rupture brutale du rythme de la croissance n’est d’ailleurs pas sans lien avec celle de l’investissement : jusqu’en 1974, la FBCF représentait entre 21 % et un peu plus de 25 %, sa part allant en augmentant. Celle-ci a ensuite fortement reculé, jusqu’au milieu des années quatre-vingt, avant de se stabiliser.

Evolutions du produit intérieur brut
et de l'investissement (FBCF)

En % de croissance par an



En revanche, l’investissement connaît des variations beaucoup plus amples : avant 1974, sa croissance est, en moyenne, de 6,8 % contre 0,9 % au cours des vingt-cinq années suivantes (et une moyenne de 4 % sur les cinquante années considérées). Il est, de plus, très volatil. Ses fluctuations autour de sa valeur moyenne sont de 2,6 points, en moyenne, au cours des « trente glorieuses  » mais de 4 points au cours de la seconde période. Ainsi, alors que la formation brute de capital fixe n’avait jamais connu de recul au cours des années 1950 à 1974, elle connaîtra de très fréquentes baisses au cours des vingt-cinq années suivantes (cf. graphique ci-dessus).

Les variations de la FBCF expliquent d’ailleurs assez bien les périodes de récession et de forte croissance qu’a connues l’économie française : toutes les années de faible croissance ou de récession sont des années où la FBCF a fortement reculé ; en sens inverse, presque chaque fois – surtout dans les années récentes – que la croissance a été forte, l’investissement en a été un élément important.

La part de la construction dans l’investissement

Cette évolution de l’investissement s’explique, pour une bonne partie, par l’importance qu’a la construction dans l’investissement.

Les parts de la construction
dans l'ensemble de l'investissement (FBCF)

En %

Jusqu’au milieu des années soixante-dix, les travaux de construction représentaient environ les deux tiers de l’ensemble de la FBCF. Leur part diminue ensuite assez régulièrement, pour ne plus représenter que la moitié en fin de période.

Le graphique ci-dessus illustre très bien ce qui s’est passé : la rupture intervenue au milieu des années soixante-dix est due principalement à la baisse considérable de la formation brute de capital fixe en logements, dont la part passe d’un tiers à un quart de la FBCF pendant les années soixante-dix et quatre-vingt, et se stabilise ensuite.
La construction n’en continue pas moins à être l’élément essentiel de l’investissement, tant par son importance que par le rôle déterminant qu’elle joue, en général, dans la conjoncture. Comme le montre le graphique en haut de la page suivante, les travaux de construction, régulièrement en léger retrait par rapport à l’ensemble de la FBCF, définissent clairement les phases de croissance et de récession de l’investissement, dont on a vu précédemment qu’il déterminait, à titre essentiel, les fluctuations de l’ensemble de l’économie française.

Clientèles et ouvrages différents

Les travaux que commandent les ménages portent avant tout sur leurs logements. Ils sont d’ailleurs les principaux clients des entreprises de construction en la matière. En 2000, près de 90 % des travaux de construction neuve ou d’entretien-amélioration de maisons individuelles et près d’un tiers des travaux sur des logements en immeubles collectifs étaient commandés par des ménages. Les autres commanditaires importants de travaux sur des logements sont des sociétés : organismes HLM et promoteurs immobiliers.

Les entreprises autres que les organismes HLM et les promoteurs immobiliers ont recours aux entreprises de construction pour des travaux portant avant tout sur du bâtiment non résidentiel. Elles réalisent 60 % de la commande en la matière, le reste étant, pour l’essentiel, le fait des administrations. Leur commande de travaux publics est moins importante et résulte, pour une grande partie, des entreprises publiques et établissements publics à caractère industriel ou commercial.

Les administrations, enfin, sont principalement clientes d’ouvrages de travaux publics et de bâtiments non résidentiels, leurs dépenses étant consacrées, à parts à peu près égales, à ces deux types d’ouvrages.

Le comportement des entreprises en matière de commandes de travaux (il s’agit essentiellement de bâtiments non résidentiels) est très en phase avec la conjoncture économique, à l’exception de la fin des années quatre-vingt et du début de la décennie suivante, où l’investissement des entreprises a connu une phase de forte croissance plus longue que celle des autres secteurs. Il en va assez largement de même pour les ménages.

En revanche, l’investissement des administrations publiques est relativement peu cyclique. Bien sûr, on observe un certain lien entre l’évolution globale de la conjoncture et celle des investissements des administrations en ouvrages de construction, mais ce lien n’apparaît pas très fortement.

Diversité des évolutions de la construction

Il ne faut donc pas s’attendre à ce que l’on observe des comportements très marqués en matière de construction. En effet, cette appellation regroupe des travaux de natures diverses : logements, bâtiments non résidentiels et ouvrages de travaux publics, pour des maîtres d’ouvrage eux-mêmes assez différents.
Leur seul point commun est qu’il s’agit de biens d’investissement, dont les maîtres d’ouvrage passent commande lorsque la conjoncture est favorable aux investissements. Cela suppose :

  • pour les entreprises, qu’il y ait un besoin important d’extension de capacités de production ;
  • pour les ménages, qu’il y ait une visibilité à un terme suffisamment long de l’évolution de leurs revenus ;
  • pour les administrations, qu’elles disposent de marges de financement suffisantes.

Evolutions de la construction
et de l'ensemble de l'investissement (FBCF)

En % de croissance par an



Evolutions de l'ensemble
de l'investissement (FBCF) et de celui des entreprises
et des ménages en ouvrages de construction

En % de croissance par an

Tous ces facteurs contribuent à faire de la construction un secteur à l’activité assez cyclique, très liée aux fluctuations conjoncturelles que connaît l’ensemble de l’économie française.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/le-cycle-de-la-construction.html?item_id=2502
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