Alice de BRAUER

est directeur de la politique industrielle Environnement.

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Un axe stratégique pour Renault

Comment définit-on le développement durable chez Renault ?

Alice de Brauer. Il existe de nombreuses définitions de ce concept. Celle qui me semble la plus pertinente est celle de la World Commission on Environment and Development qui, dès 1987, définissait le développement durable comme « satisfaisant les besoins de la génération actuelle sans priver les générations futures de la possibilité de satisfaire leurs propres besoins. »

Quand cette notion a-t-elle pris de l’importance dans votre groupe ?

Chez nous, comme dans d’autres grandes entreprises, ce sont les personnes en charge de l’environnement qui se sont intéressées les premières à ce concept. Notre activité de constructeur automobile est essentielle pour la société car elle est facteur de mobilité. Mais elle a aussi un impact. Et sa pérennité, car Renault ancre son existence dans le long terme, passe par l’intégration optimale des trois « piliers » du développement durable.

Le chemin ne s’est pas fait en un jour. Dans les années quatre-vingt, la prise de conscience par les Etats et la société civile des risques que faisait courir le développement économique à l’environnement des pays émergents, a en effet été déterminante. Avec l’internationalisation des marchés et de leurs investissements, l’ensemble des acteurs a compris l’importance des décalages potentiels entre le développement économique mondial et l’harmonisation des règles sociales ou environnementales. Les entreprises, acteurs majeurs du développement économique, ont révisé leurs stratégies et ont mieux intégré à leurs décisions les impacts humains et écologiques. Les années quatre-vingt-dix ont vu se développer dans le monde un très grand nombre d’initiatives et de réflexions sur ce thème.

Renault a fait ce chemin : traditionnellement, notre groupe prenait en compte les dimensions économiques et sociales des problèmes ; depuis 1995, il intègre la dimension environnementale. Aujourd’hui, la direction générale de notre groupe a la conviction prospective très profonde qu’il n’y aura pas de pérennité pour une entreprise sans développement durable. Le comité développement durable de Renault compte une dizaine de membres de très haut niveau avec un reporting systématique au président. Avant même la loi sur les nouvelles régulations économiques, Louis Schweitzer a décidé d’intégrer les données environnementales et sociales dans le rapport d’activité 2002 attesté par les commissaires aux comptes.
En matière d’information vers le grand public Renault a été pionnier dans l’industrie automobile avec son site « http://www.developpement-durable.renault.com» à partir de 2001 et son rapport environnement dès 1997.

Qu’est-ce que cela veut dire, concrètement ?

Nous nous efforçons d’avoir une philosophie générale et de fixer des objectifs concrets qui s’appliquent dans le monde entier. Ainsi, dans notre usine de Curitiba, au Brésil, nous avons opté, dès la construction de l’unité de carrosserie, pour un procédé de peinture hydrosoluble, des installations d’usinage sans rejets dans les eaux, une ergonomie optimale des postes de travail.

En Roumanie, nous avons installé un atelier de coupe de façon à limiter les consommations de matériaux et les rejets d’éléments polluants. A Bursa, en Turquie, et dans notre usine de Maubeuge qui produit le Kangoo, nous avons travaillé au recyclage des eaux de ruissellement et à leur réutilisation dans le processus industriel de nos installations. Puisque l’eau est un bien rare, nous avons recours à des techniques très pointues pour recycler la ressource utilisée pour le refroidissement des composants pendant le processus de soudure… Toutes ces initiatives ont vocation à être reproduites dans l’ensemble des sites industriels de Renault.

Un tel choix stratégique a un coût. Or, l’automobile est un marché fortement concurrentiel…

Notre objectif est de trouver des équilibres. Nous savons que, progressivement, l’entreprise ne sera pas jugée uniquement sur sa performance financière. Elle sera aussi regardée par ses actionnaires, clients ou partenaires sur sa capacité à être pérenne. Ce qui veut dire sa capacité à faire des choix rentables et durables, à être attractive pour les nouveaux talents, à assurer son développement international de façon harmonieuse et à prendre en compte les impacts environnementaux et sociaux sur l’ensemble du cycle de vie des produits.

En général, dans l’entreprise, on évalue des coûts en fonction de plans, un investissement s’amortit sur cinq ou six ans. Pour ce qui est du développement durable, on ne réfléchit pas à l’échelle d’une année ! Mais nous ne pouvons pas nous permettre de menacer notre compétitivité, surtout sur un marché aussi difficile que l’automobile. Ce n’est pas parce que l’on ne dispose pas de solution technologique immédiate qu’il faut refuser de regarder les questions qui seront inéluctables à moyen et long terme comme les émissions de CO2, la diminution des ressources pétrolières ou la rareté de l’eau potable.

Prenez l’exemple des économies d’énergie : c’est une action de très longue haleine et la consommation des véhicules a beaucoup baissé, ce qui est désormais un vrai argument commercial. Ainsi, notre Clio 1.5 dCi a une consommation moyenne de 4,3 l/100 km. De plus, une voiture achetée aujourd’hui pollue beaucoup moins qu’il y a quinze ans, ce qui résulte d’une action très en amont des constructeurs. Là encore, notre Clio 1.5 dCi peut se targuer d’être parmi les véhicules les moins polluants avec 110 g de CO2/km.

Il y aura à terme un impact de plus en plus important de critères sociétaux dans les décisions d’achat, il faut que l’entreprise s’y prépare, y compris en investissant. Cela fait l’objet d’un vrai consensus au sein du management supérieur de Renault.

Comment intégrez-vous la notion de développement durable « au jour le jour » dans l’entreprise ?

Nous sommes partis de choses simples : l’industrie automobile intègre de nombreux métiers (motoriste, designer, etc.) et fabrique un produit très complexe. A la différence de certaines sociétés étrangères, nous avons considéré qu’il valait mieux « apprendre  » le développement durable aux différents métiers plutôt que l’inverse. Pas question pour nous de faire du développement durable une « affaire de sorciers » !

Nous avons donc constitué un réseau de personnes, en commencant par les responsables environnement, afin d’ouvrir la voie. Au début, on entrait un peu dans ce réseau comme on entre en religion, mais, progressivement, les choses ont évolué. L’intérêt du réseau, c’est qu’il permet de mobiliser de nombreuses personnes à un moment donné ; il suppose aussi un management transversal assez différent mais complémentaire du management hiérarchique.

Les membres du réseau s’efforcent de trouver la méthode permettant d’intégrer les principes du développement durable dans ce qui est usuel dans chaque métier.

Ainsi, 46 usines Renault à travers le monde ont obtenu la qualification Iso 14001 en une année, en respectant des règles de certification identiques et souvent plus contraignantes que celles des pays d’implantation. Dans la même ligne nous travaillons actuellement avec la norme SA 8000 pour ce qui relève du domaine social. Mais il est des domaines encore plus difficiles : en matière de recyclage des automobiles en fin de vie, il n’y avait rien d’usuel ; tout était à imaginer ! Nous avons abouti à la conception d’un atelier pilote de démontage des véhicules de toutes marques afin d’expérimenter les meilleures pratiques de recyclage possibles.

Renault a ainsi développé un atelier d’étude du démontage des véhicules en fin de vie afin d’optimiser ces opérations. Multi-constructeurs, cette unité unique en France nous a notamment permis de déposer des brevets sur des outils comme un système de récupération des vitrages.

Dans le domaine industriel nous avons divisé par deux en six ans le poids total de nos déchets d’emballages.

Vous êtes en permanence dans un processus de recherche à long terme et de conception de prototypes.
Quels sont vos axes de travail ?

Nos recherches portent beaucoup sur la consommation des véhicules, leurs émissions, leur pérennité, leur sécurité, le recours à des énergies alternatives, à des matériaux nouveaux… Chaque véhicule qui sort bénéficie d’un progrès. Ainsi notre nouvelle Mégane 2 est recyclable à 95 % tout en étant la meilleure du marché dans sa gamme en matière de sécurité. Avec elle, Renault est le seul constructeur européen à disposer d’une gamme de cinq véhicules ayant eu un classement cinq étoiles aux tests Euro NCAP.

En fait, vous devez accepter l’incertitude quand vous travaillez au développement durable. Or nos produits sont très complexes – il faut dix à quinze ans pour qu’une voiture soit produite en grande série –, et font l’objet de contraintes de sécurité très importantes… De plus, ils sont commercialisés sur un marché extrêmement volatile !

Le travail de prospective est fondamental. Nous devons nous faire une idée de l’évolution du monde. La voiture qui est vendue aujourd’hui arrivera au stade du recyclage dans douze à quinze ans ! Nous devons anticiper cela. Nous imaginons donc des scénarios ; nous cherchons à avoir une vision du monde sur le long terme. Cela n’a rien d’une mode !

L’éthique constitue une dimension du développement durable…

Nous avons un code de déontologie que nous mettons à jour tous les cinq ans. Il est communiqué à l’ensemble du personnel mais aussi à nos fournisseurs et à nos partenaires afin qu’ils connaissent nos règles de déontologie. La communication est un élément essentiel dans une stratégie de développement durable et nous devons pouvoir nous engager vis-à-vis des tierces parties. De plus en plus, nous évoluons vers des préoccupations sociétales, la qualité de vie, les relations avec les tiers…

Cela peut aller assez loin : quand nous nous installons dans un pays, nous veillons à notre rôle en matière de développement et de transfert de connaissances. Au Brésil, nous avons veillé à la construction d’écoles, au choix des professeurs. En Roumanie, nous avons monté un centre de formation pour nos fournisseurs. En France, nous avons réalisé des kits sur la sécurité automobile que le ministère de l’Education nationale distribue dans les écoles… Nous organisons également, cette fois à l’échelle européenne, un concours d’affiches sur le thème de la sécurité, avec les écoles primaires et les collèges.

Le développement durable est difficile à mesurer. Comment pensez-vous évaluer votre politique ?

Depuis peu, nous disposons d’indicateurs environnementaux homogènes pour nos établissements du monde entier. Ainsi, en 2003, les indicateurs sont validés par le cabinet Ernst & Young. Ce qui ne nous empêche pas de continuer à beaucoup travailler sur des indicateurs qui nous permettront de mesurer encore plus précisément nos progrès en matière de développement durable. En particulier, nous devrons imaginer des indicateurs qui croisent les trois domaines du développement durable. La tâche est d’autant plus ardue que nous tenons à ce que ces indicateurs soient vérifiables par des experts indépendants. Il faut aussi compter sur les évaluations faites par des organismes de rating pour les investisseurs. Actuellement le groupe Renault figure parmi les entreprises leaders dans le domaine.

Il faut aussi s’ouvrir au dialogue avec des associations représentant les différents aspects de la société civile car l’engagement dans le développement durable ne peut se faire seul. Nous participons à de nombreuses organisations dans ce sens, comme le World Business Council for Sustainable Development et l’initiative Mobility 2030, pour une mobilité durable. L’évaluation se fera aussi par les méthodes de management qui vont à leur tour progresser, sous l’impulsion des normes internationales. Comme dans le domaine de la qualité, de l’environnement industriel, nous souhaitons conserver un positionnement de leader dans les domaines de l’éco-conception ou encore du management du développement durable.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/un-axe-strategique-pour-renault.html?item_id=2518
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