Les cycles économiques : présentation et analyse
Les économies contemporaines
de marchés sont caractérisées par deux phénomènes
: une tendance de long terme à la croissance et des fluctuations
plus ou moins importantes de l’activité autour de cette tendance.
Les cycles économiques recouvrent une succession plus ou moins
régulière de phases d’expansion et de phases de récession.
L’expansion va classiquement d’un point bas de l’activité
à un point haut et, inversement, la récession d’un
point haut à un point bas.
Les cycles ont depuis longtemps
passionné les économistes. Toutefois, dans les années
1950-1970, on a pu se demander si les cycles ne tendaient pas à
s’atténuer au bénéfice d’une croissance
plus régulière. A l’inverse, depuis lors, les préoccupations
sur les cycles sont revenues sur le devant de la scène.
Identification des cycles économiques
C. Juglar (1862) est le premier
à avoir mis en évidence des cycles de moyenne période,
d’une durée de neuf à dix ans, portant sur l’activité
et les prix. Les travaux ultérieurs ont illustré d’autres
types de cycles généraux. En 1923, J. Kitchin a identifié
des cycles mineurs, d’une durée approximative de quarante
mois, et compris en quelque sorte à l’intérieur du
cycle Juglar. A la même époque, N. Kondratieff a de son côté
mis à jour, à partir de la fin du XVIIIe siècle,
des cycles longs d’une durée comprise entre cinquante et soixante
ans. J. Schumpeter a tenté d’expliquer les cycles longs par
des vagues d’innovation et a proposé d’emboîter
cycle long, cycle Juglar et cycle Kitchin.
Les travaux sur les cycles sont
particulièrement redevables des études statistiques menées
aux Etats-Unis par le Bureau national de la recherche économique
(NBER). Celui-ci continue de distinguer, parmi les indicateurs de l’activité
économique, les séries qui sont en avance, celles qui sont
en coïncidence et celles qui sont en retard par rapport au cycle
général.
Traditionnellement, la mise en
évidence du cycle, pour un indicateur tel que le produit intérieur
brut, s’opère grâce à un calcul des déviations
par rapport à la tendance ou trend (voir graphique ci-dessous).
On observe aux Etats-Unis et en Europe un cycle moyen d’une durée
d’environ dix ans, la cyclicité de l’économie
américaine étant plus prononcée.
Cycles globaux européens et américains
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En % du trend
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Source : Economie et
statistique, n° 359-360, 2002, p. 87.
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Il est intéressant d’observer
que pour l’Europe, en dehors du cycle moyen qui s’explique par
l’investissement, on peut aussi faire apparaître un cycle court
d’une durée de trois ans qui s’interprète par
les fluctuations de stocks et qui est apparenté au cycle Kitchin.
Le cycle Kondratieff, de son côté,
a pu donner une clé de lecture pour la phase d’expansion des
« trente glorieuses », tandis que 1973 a inauguré une
phase de baisse de longue période. Dans ce dernier cas la crise,
qui est habituellement considérée comme un moment du cycle,
celui du renversement de la croissance vers le bas, peut devenir une crise
systémique, aboutissant à une rupture fondamentale, comme
l’atteste le cas de l’économie japonaise.
Le cycle étant identifié,
il reste à l’interpréter. A cet égard, deux
explications concurrentes se présentent, selon que le cycle est
appréhendé par des mécanismes internes, endogènes
au système, ou au contraire par des chocs exogènes.
Cycles et mécanismes endogènes
Selon une première voie
d’analyse, toute économie comporte des mécanismes déséquilibrants,
qui rendent le cycle inéluctable, indépendamment de tout
choc extérieur. On en donnera ici deux interprétations.
La première, présentée
en 1939, est celle de l’oscillateur de P. A. Samuelson (prix Nobel
1970). Elle est fondée sur deux mécanismes, le multiplicateur
et l’accélérateur. Selon le multiplicateur, tout accroissement
d’un élément de la demande globale, par exemple l’investissement,
suscite des revenus qui sont partiellement redépensés et
qui sont à l’origine d’une nouvelle augmentation de la
demande (d’un montant moindre). En définitive, l’accroissement
total de la demande est un multiple de l’accroissement initial d’investissement.
Quant à l’accélérateur, il montre que si les
capacités de production sont pleinement utilisées, un accroissement
de la demande globale entraîne un investissement induit, qui est
lui-même très sensible au rythme de variation de la demande
globale. Il suffit par exemple, dans la version la plus simple, que celle-ci
augmente moins vite pour que l’investissement induit diminue.
Au total, l’oscillateur de
Samuelson montre que des fluctuations de l’activité économique
peuvent être entretenues pour des valeurs données du multiplicateur
et de l’accélérateur. Cette construction a du reste
été intégrée, en 1950, à l’analyse
de la croissance par J. R. Hicks (prix Nobel 1972), les fluctuations de
l’activité étant encadrées entre un plafond
de croissance de plein emploi et un plancher déterminé par
le niveau minimum de l’investissement.
Ces mécanismes sont bien
vérifiés en pratique. Tel est le cas de la récession
française de 1993. La baisse de l’investissement et des exportations
a alors suscité un mécanisme cumulatif de contraction de
l’activité. Ce sont la relance des exportations et le restockage
qui permettront une reprise en 1994.
Une seconde interprétation
des mécanismes endogènes du cycle peut être tirée
du modèle de R. M. Goodwin (1967). Celui-ci a cherché à
expliquer les cycles à partir des interactions salaires-profits-chômage.
En expansion, la croissance se ralentit en raison de la diminution du
chômage qui tend à faire croître le taux de salaire
réel plus vite que la productivité. Il s’ensuit une
augmentation de la part des salaires dans la production, ainsi qu’une
baisse du taux de profit, qui induit un ralentissement des investissements
et, par suite, de la production.
Inversement, la reprise a lieu
grâce à la restauration du taux de profit, qui est obtenue
en raison du développement du chômage. A long terme, les
fluctuations s’opèrent autour de certaines valeurs correspondant
à un taux de profit, un taux de chômage et un partage salaires-profits
constants. Cette construction séduisante, malgré certaines
difficultés, a paru adaptée à bon nombre de pays
dans les années 1950-1970, où les déséquilibres
structurels, nationaux et internationaux étaient moins grands qu’aujourd’hui.
L’auteur a du reste proposé de la réinterpréter
en 1990.
Cycles et mécanismes exogènes
A l’opposé des analyses
précédentes, les interprétations reliant cycles et
mécanismes exogènes sont fondées sur l’idée
selon laquelle les économies de marchés sont fondamentalement
stables, les cycles apparaissant du fait de chocs extérieurs au
système. Les chocs peuvent être divers. On pense, par exemple,
au premier et au second choc pétroliers, au contre-choc pétrolier,
etc. Ce courant d’analyse qui a des origines lointaines, correspond
aujourd’hui à une critique vigoureuse des politiques keynésiennes
qui préconisaient un soutien de la demande globale. On en donnera
ici deux illustrations représentées respectivement par un
choc monétaire et un choc de productivité.
Le premier est bien souligné
par le courant monétariste inauguré dès les années
cinquante et soixante par M. Friedman (prix Nobel 1976). Selon cette ligne
de pensée, si la Banque centrale réduit par exemple la masse
monétaire pour lutter contre les tensions inflationnistes de l’économie,
les effets sur l’activité apparaîtront avec des décalages
qui sont à la fois mal connus et instables. Compte tenu de tous
les délais, il est très possible que l’action des autorités
monétaires se fasse sentir, alors que l’économie est
déjà sortie des tensions inflationnistes. Dès lors,
la politique monétaire peut se révéler procyclique
et non contracyclique. Selon certains travaux, aux Etats-Unis, entre 1948
et 1997, sept récessions sur neuf seraient provoquées par
les mesures anti-inflationnistes prises par les pouvoirs publics.
Ces idées ont été
reprises dans les années soixante-dix, dans un contexte plus large,
par R. Lucas (prix Nobel 1995), père de la « nouvelle économie
classique », en intégrant les anticipations rationnelles
des agents. Ces derniers sont censés évaluer correctement
les effets que les autorités attendent d’une politique économique.
Les instruments budgétaires pour soutenir la conjoncture ne sont
pas opératoires. Ils n’entraînent que des effets d’éviction
des dépenses privées au profit des dépenses publiques.
Les fluctuations sont provoquées par des chocs de politique monétaire
qui induisent chez les agents des perceptions provisoirement erronées
des variations de prix, ce qui les conduit à prendre de mauvaises
décisions d’offre et de demande. Dès qu’ils se
sont rendu compte de leurs erreurs, ils ajustent leurs plans en sens inverse.
Une théorie des cycles réels
Certains tenants du courant de
la nouvelle économie classique se sont démarqués
de cette vision monétaire du cycle et ont construit, dans les années
quatre-vingt, une théorie du cycle fondée sur des chocs
réels, ce qui a donné lieu à une nouvelle interprétation,
dite théorie des cycles réels. En cas de choc de productivité
positif, le salaire réel s’accroît. De ce fait, les
employés sont incités à travailler davantage, ce
qui entraîne une augmentation de la production et de l’investissement.
Mais cette expansion rencontre des limites. L’augmentation du stock
de capital fait baisser progressivement sa productivité et, par
ailleurs, les employés qui ont beaucoup accru le nombre d’heures
travaillées souhaitent ultérieurement disposer de plus de
loisirs. Il s’ensuit dès lors un retournement de la conjoncture
vers le bas.
Cette théorie des cycles
réels est très célèbre actuellement dans le
monde des économistes, même si elle soulève un certain
nombre de critiques. De fait, certains tests ont pu montrer que 70 % de
la variabilité de l’activité américaine d’après-guerre
était reproduite avec des chocs technologiques. Une illustration
récente de l’importance de cette variable est la place prise
par les industries liées aux nouvelles technologies de l’information,
qui ont contribué pour plus d’un tiers à la croissance
de l’économie américaine entre 1995 et 1998.
Economies interdépendantes
Faut-il absolument choisir entre
explications endogènes et analyses exogènes du cycle ? Sans
doute est-il utile de distinguer l’origine des chocs et les mécanismes
de transmission du cycle. Mais, dans la pratique des conjonctures observées,
variables monétaires, financières et réelles interfèrent
généralement, d’autant que les économies sont
de plus en plus interdépendantes compte tenu de la globalisation
des marchés.
Les anticipations ont naturellement
un rôle fondamental dans le cycle. Celles-ci sont susceptibles de
faire apparaître des phénomènes de bulles, c’est-à-dire
des écarts cumulatifs entre les prix observés des actifs
(valeurs mobilières, etc.) et leur valeur fondamentale (donnée
par la valeur actuelle des revenus futurs), qui s’observent à
l’occasion d’une intense spéculation. Il suffit par exemple
qu’un nombre important d’agents croient que la baisse des prix
des actifs se produira pour qu’elle intervienne effectivement («
prophéties auto-réalisatrices »). Mais si la théorie
tente d’expliquer les bulles, celles-ci ne sont vérifiables
qu’a posteriori… une fois qu’elles ont explosé et
que le pays qui les subit est tombé dans la déflation.
On touche certainement ici aux
limites des analyses du cycle. Les économistes ont certes, aujourd’hui,
des instruments de prévision de la conjoncture, en l’occurrence
les indicateurs avancés déjà cités, les enquêtes
qualitatives d’opinion et les modèles. Mais le retournement
des anticipations qui caractérise la crise restera toujours malaisé
à prévoir.
Bibliographie
- La croissance européenne perturbée par un cycle de courte période, G. Bentoglio, J. Fayolle, M. Lemoine, « Economie et statistique », nos 359-360, 2002, 83-100.
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- Quel crédit accorder à la nouvelle économie américaine ?, R. Duval, Economie et statistique, n°339-340, 2000,9/10,15-44.
- Crises et récessions économiques, M. Flamant, J. Singer-Kerel, Que sais-je ?
- Economie contemporaine, Analyse et diagnostics, J.D. Lecaillon, J.M. Le Page, C. Ottavj, De Boeck Université, Bruxelles, 2001, 231-245.
- Théories et controverses, E. Bosserelle, Le cycle Kondratieff, Masson, 1994.
- Théories macroéconomiques, Fondements et controverses, M. Devoluy, Masson, 1993.
- L’économie mondiale, CEPII, La Découverte, Repères, édition annuelle.
- Is the business cycle obsolete ?, Bronfenbrenner M. (edited by) John Wiley and Sons, New-York, 1969.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/les-cycles-economiques-presentation-et-analyse.html?item_id=2501
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