est conseiller maître à la Cour des Comptes et président de l'Institut national de la consommation (INC). Ancien directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), il a présidé de 2000 à 2003 le Conseil national de l’alimentation et coprésidé en 2002 le débat public sur les OGM.
Consommer durable ?
Qui ne souscrirait à
l’idée du développement durable ? Tous les Français,
ou une immense majorité d’entre eux, peuvent certainement
y adhérer et souhaiter qu’elle s’inscrive dans les faits.
Peut-on pour autant penser que
« consommer durable » puisse être, au-delà d’un
slogan, une motivation significative d’achat, guider les comportements
de consommation, et cela assez fortement pour infléchir les modes
de production et contribuer réellement au développement
durable ?
L’idée peut séduire.
Dans une économie fondée sur le marché, la demande
des consommateurs ne joue-t-elle pas toujours un rôle déterminant
?
Le succès croissant de
l’agriculture biologique, de produits et services affichant des préoccupations
éthiques, ou encore les expériences de bio-habitat peuvent
paraître montrer que la voie est ouverte au concept plus général
de consommation durable. La réalité est moins simple. Pour
éviter les déceptions, mieux vaut aller un peu plus loin
dans la réflexion.
Un concept complexe
Si l’on interrogeait les
Français, sans doute constaterait-on que beaucoup ne connaissent pas l’expression « développement durable
», qu’une plus forte partie encore ne comprend pas les termes
« consommer durable » et qu’une très large majorité
perçoit encore moins ce qu’ils peuvent recouvrir concrètement.
Cette méconnaissance ne
tient pas seulement à la relative nouveauté des termes ou
à une insuffisance de l’information. Elle vient d’abord
de ce que l’expression n’est pas directement compréhensible.
Elle tient aussi à ce que le concept en lui-même ne va pas
de soi. Il est complexe : chercher à acheter des produits qui répondent
aux besoins du consommateur sans compromettre les capacités d’achat
des générations ultérieures. Il recouvre des objectifs
composites : il s’agirait d’acheter des produits qui respectent
à la fois l’environnement, les principes éthiques,
les droits sociaux fondamentaux. Percevoir la signification exacte des
termes « consommation durable » est donc difficile. La difficulté
est encore plus grande pour un consommateur de déterminer, au moment
de son achat, lequel des produits entre lesquels il a le choix, va le
plus dans le sens du développement durable.
Le consommateur assimile en permanence
de nouveaux termes, de nouvelles connaissances, tout le passé récent
le montre. Mais il a besoin de repères clairs.
Un label ?
L’idée peut alors
venir de créer un label « développement durable »
qui signalerait les produits ou services particulièrement respectueux
de cet ensemble de préoccupations.
Ce projet a parfois été
évoqué, mais il n’est lui-même pas simple.
Sous peine de n’avoir qu’une
image brouillée, un tel label devrait se fonder sur des critères
suffisamment homogènes, quel que soit le type de produit ou de
service susceptible de le porter. Or, l’extrême diversité
des produits et des services, le fait que pour certains l’enjeu environnemental
est le plus fort, que pour d’autres c’est l’enjeu social,
rendent peu vraisemblable que l’on puisse dégager des critères
et surtout une hiérarchie de ces critères qui vaillent pour
tous les champs de la consommation.
En outre, ajouter un signe distinctif
supplémentaire risque d’alimenter la confusion résultant
actuellement de la présence de signes déjà très
nombreux, notamment pour les produits alimentaires : appellations d’origine
contrôlée, labels agricoles, agriculture biologique, indications
géographiques de provenance, certification de conformité.
Enfin, un signe de qualité
ne repose pas seulement sur des définitions techniques. Il est
aussi une construction sociale : il repose sur le consensus explicite
ou tacite entre les producteurs d’une part, entre eux et les consommateurs
d’autre part, pour reconnaître une qualité particulière
à un produit lorsqu’il répond à un ou des critères
spécifiques, par exemple une garantie sur l’origine géographique
pour les vins d’appellation d’origine. Un tel consensus est
plus difficile pour une notion comme le développement durable,
qui recouvre des critères multiples, parfois difficilement mesurables
ou contrôlables, et dont certains reposent sur des choix d’ordre
moral, donnant nécessairement lieu à des appréciations
ou hiérarchisations différentes selon les individus.
Pour ne pas s’engager sur
de fausses pistes et pour que la belle idée de la consommation
durable ne soit pas tôt ou tard reléguée au rang de
fausse bonne idée, quelles voies peut-on donc suggérer ?
Le rôle de l’Etat et des entreprises
En premier lieu, il faut clarifier
les idées. D’une part, le concept global de développement
durable ne doit pas effacer chacune de ses grandes composantes, car ce
sont celles qui, seules, peuvent lui donner un contenu concret et perceptible.
Certaines de ces composantes, comme le commerce éthique ou le commerce
équitable, sont déjà des univers à eux seuls,
nécessitant chacun des approfondissements importants et un ensemble
d’actions difficiles. La notion de développement durable permet
de tisser une trame entre les diverses actions, de leur donner une cohérence,
d’accroître leur sens, de les faire converger en une politique
d’ensemble. Mais elle est plus une inspiration générale
qu’un concept opératoire. Il en est de même pour la
consommation durable.
D’autre part, consommer durable
ne saurait être le moteur fondamental du développement durable.
Le consommateur individuel n’est pas aujourd’hui en situation
de jouer un rôle prépondérant. L’Etat a nécessairement
un rôle essentiel. Parce qu’en déterminant la fiscalité,
il agit directement sur les prix, donc sur un élément primordial
dans le choix des consommateurs. Et aussi parce que sa place est centrale
dans des domaines essentiels pour le développement et la consommation
durables comme les transports, l’énergie et l’habitat.
Le rôle des entreprises est également capital, à l’évidence
: pour ne citer qu’un exemple, c’est de leur capacité
à mettre sur le marché des voitures propres qui répondent
davantage aux besoins des consommateurs, par exemple en termes de rayon
d’autonomie, que dépend le développement de ce nouveau
marché, et non de la seule existence d’une demande potentielle.
Place aux organisations de consommateurs
A trop mettre en avant le rôle
des consommateurs et une responsabilité qu’ils ne sont pas
totalement en mesure d’exercer, on risquerait de susciter leur méfiance.
En revanche, et en second lieu,
les organisations de consommateurs doivent être considérées
comme des acteurs importants et à qui une juste place doit être
réservée. Le dialogue entre les entreprises et elles, dans
les organismes de normalisation par exemple, celui entre les pouvoirs
publics et elles, sont essentiels pour prendre en considération
les attentes des consommateurs, ce qui est indispensable au succès
des politiques engagées.
En troisième lieu, et ce
peut être l’un des objets de ce dialogue avec l’Etat et
les entreprises, il faut chercher à intégrer la préoccupation
du développement durable dans les signes déjà existants
de qualité ou d’identification des produits et services, les
enrichir de ces nouvelles aspirations de la société. Ne
devrait-il pas être naturel que les cahiers des charges des appellations
d’origine contrôlées intègrent progressivement
de telles préoccupations, puisque leur image repose notamment sur
la perpétuation de leurs modes de production ? De même, ne
serait-il pas logique que les labels agricoles, signes d’une qualité
supérieure, tiennent compte de cette composante importante de la
qualité qu’est aujourd’hui, pour beaucoup de consommateurs,
le respect de critères d’environnement ? Dans cette même
perspective, une réflexion sur l’agriculture raisonnée
serait aussi souhaitable et les retards dans sa montée en charge
devraient fournir l’occasion de cette réflexion nouvelle.
Et ce qui est vrai pour les produits alimentaires et pour l’agriculture
peut aussi l’être pour des labels qui existent dans d’autres
secteurs, comme celui du Bâtiment.
Vouloir développer la notion
de « consommer durable » suppose aussi de miser sur l’information
et cela de deux manières : d’une part, mettre en œuvre
des actions d’éducation et d’information des consommateurs
d’autre part, encourager les entreprises à diffuser davantage
d’information sur la conformité de leur processus de production
à ces nouvelles aspirations. Au-delà des dispositions prévues
par la loi sur les nouvelles régulations économiques pour
les sociétés cotées, il faudrait chercher à
stimuler la diffusion de telles informations par les entreprises, selon
un cadre normalisé et avec la garantie d’une certification
des informations diffusées.
S’engager dans ces voies
suppose que le développement durable soit un axe de politique de
la consommation, et c’est d’autant plus possible que les organisations
de consommateurs sont prêtes à s’engager dans cette
voie.
S’engager dans la voie d’une
consommation durable, c’est s’engager dans une démarche
longue et progressive qu’il faut dès le départ affirmer
comme telle. C’est une démarche qui suppose le réalisme
et la modestie, pour éviter qu’un décalage excessif
entre le discours et les réalisations compromette sa crédibilité.
C’est aussi une démarche qui suppose la rigueur dans l’information
diffusée aux consommateurs. C’est enfin une démarche
qui doit s’inscrire dans toute la mesure du possible, dans un cadre
européen et international.
A ces conditions, « consommer
durable » peut progressivement devenir une composante significative
du développement durable.
Bibliographie
- « 60 millions de consommateurs », numéro découverte « Consommer durable », juin-juillet 2003. www.60millions-mag.com
- « 60 millions de consommateurs », « Guide vert du consommateur », juillet-août 2001.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/consommer-durable.html?item_id=2514
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