Jean-François LE GRAND

est sénateur et président du Conseil général de la Manche.

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L’exemple de la Manche

Le gouvernement a marqué sa volonté de donner au développement durable une dimension majeure et l’adoption de la stratégie nationale de développement durable va orienter son action dans l’ensemble de ses politiques. Dans un effort de plus grande solidarité entre les générations et entre les territoires, chaque action publique doit être examinée à la fois dans sa dimension économique, sociale et environnementale, prenant en compte ses conséquences à moyen et long termes et pas seulement ses effets à court terme.
Le rôle du gouvernement en la matière est d’éclairer, de montrer la direction et d’aider les initiatives à se développer et non de « normer » les actions. Le développement durable est en effet l’affaire de tous. C’est dans ce contexte que nous, les élus locaux, nous devons nous mobiliser et agir ensemble pour la promotion d’un développement durable de notre territoire.

La stratégie nationale demande une participation de l’ensemble des acteurs dans leur diversité, à l’image des forces vives de notre pays. Sa mise en œuvre ne peut en effet être que facilitée si les futurs acteurs en sont aussi les coauteurs. La participation est au cœur de la problématique du développement durable, elle en constitue le principe d’action, la clé principale. Le développement durable ne peut pas se décréter ; il doit résulter d’une mobilisation de tous permettant à chacun d’agir.

L’expérience de Natura 2000

Si je prends l’exemple de l’application de la directive européenne Natura 2000, c’est tout simplement parce qu’ayant été « missionné » à ce sujet par la commission des affaires économiques du Sénat, j’ai une vision assez globale et détaillée des attentes et des difficultés qu’un tel objectif à long terme peut engendrer.

L’objectif de Natura 2000 ? C’est avant tout de préserver la biodiversité, c’est-à-dire, en termes simples, qu’il s’agit de ne pas laisser disparaître les espèces végétales ou animales existant encore aujourd’hui. Pour atteindre cet objectif, il faut à la fois protéger les espèces, et cela a été l’objectif de la directive « oiseaux » de 1979 et, parallèlement, protéger leur habitat.

Pourquoi sauver la biodiversité ? Et bien tout simplement parce qu’il s’agit d’un enjeu essentiel pour la survie de l’espèce humaine. Tout affaiblissement de la diversité biologique menace autant notre sécurité alimentaire que notre énergie, que les ressources naturelles, en médicaments par exemple, que la photosynthèse, la production d’oxygène. Cet appauvrissement aurait des conséquences sur la santé humaine et sur l’ensemble de nos activités économiques ou culturelles. Aucun des facteurs constituants de notre vie quotidienne ne serait épargné. Maintenir la biodiversité, c’est tout simplement garantir la survie des générations futures.

Une fois l’objectif défini, il reste à déterminer les moyens d’y parvenir. Cela suppose une méthodologie ; appliquer une méthodologie nécessite des acteurs et c’est cet ensemble-là que l’on appelle Natura 2000.

Pour assurer le succès de cette entreprise, il est nécessaire de replacer Natura 2000 au cœur d’un aménagement partagé et concerté de nos territoires. C’est-à-dire œuvrer à son appropriation locale, en promouvant la concertation et l’information en toute transparence des gestionnaires et des ayants droit des territoires concernés. En ce qui concerne la désignation des sites (d’intérêt communautaire), il est impératif que leur délimitation physique soit clairement identifiée et se traduise par un affichage en mairie, voire par une transmission aux chambres consulaires.

Le document (Docob) définit les moyens à mettre en œuvre pour atteindre l’objectif, les mesures à prendre pour gérer l’espace dans l’esprit de l’objectif. Il doit être un document consensuel et dire ce qu’il est, ne rien cacher de ce qu’il comporte.

S’agissant de la procédure d’élaboration de ces documents d’objectifs, elle fait appel à un comité de pilotage dont la composition très large associe des représentants des collectivités territoriales intéressées et de leurs groupements, des représentants des exploitants agricoles, des forestiers, des propriétaires mais aussi des organismes consulaires, des concessionnaires d’ouvrages publics ou encore des représentants des activités de tourisme et de protection de la nature. On s’aperçoit que lorsqu’un Docob est réussi, c’est toujours au bénéfice d’une très forte implication des collectivités territoriales qui font de Natura 2000 un outil d’aménagement et de mise en valeur de leur territoire.

C’est pourquoi, je pense que la présidence du comité de pilotage doit être confiée aux collectivités territoriales, à charge pour elles de définir le bon échelon de compétence qui peut varier selon la taille du site, sa diversité et son organisation territoriale. Le choix de l’opérateur reviendrait alors au comité de pilotage qui suit l’élaboration du Docob. En revanche, il est nécessaire que l’approbation et son évaluation, tous les six ans, restent de la compétence de l’Etat, qui est le seul comptable de ses engagements européens.

On le voit bien, il est nécessaire de réfléchir à ce qui doit être fait pour protéger et mettre en valeur notre patrimoine naturel, à l’instar de ce qui se fait pour notre patrimoine architectural.

Cette préoccupation d’ordre général est une ambition du Conseil général de la Manche qui a décidé de s’engager dans une politique environnementale cohérente, volontariste et novatrice. Pour ce faire il était nécessaire de trouver un outil transversal permettant d’harmoniser, de simplifier et de mettre en cohérence les interventions tant de l’Etat et du Département que celles des organisations professionnelles et associations.

C’est pour cela que nous avons élaboré en 2002 la charte départementale de l’environnement qui comprend un diagnostic environnemental de la Manche, un plan d’intervention sur cinq ans avec des objectifs quantitatifs clairs et un outil de suivi sur les cinq années de sa réalisation.

La position stratégique de la Manche

La Manche est un ponton. Près de 30 % du trafic maritime mondial passent au large et nous sommes par ailleurs au milieu de ce grand axe atlantique qui va de Bayonne jusque vers le Benelux, l’Allemagne et bien au-delà vers le Nord. L’objectif, dans le cadre d’un développement durable des transports, est simple : permettre que cette position stratégique devienne une réelle chance pour le département de la Manche.

La route maritime devient une alternative incontournable, dès lors que nous arrivons à saturation des autres modes de transport : ferroviaire, aérien ou routier. En septembre 2001, la Commission européenne a présenté un livre blanc intitulé « La politique européenne des transports à l’horizon 2010, l’heure des choix ». Ce document fait apparaître que le transport maritime à courte distance jouera un rôle déterminant pour diminuer l’augmentation vertigineuse du transport routier. La commission a donc introduit la notion d’autoroutes de la mer. Le port de Cherbourg a pour ambition de s’inscrire dans cette volonté, en créant un véritable « hub roulier », qui permettra de relier plusieurs lignes de trafic en Europe. Nous avons, forts de cela, délibérément orienté l’avenir de Cherbourg sur les nouveaux modes de transports maritimes qui sont les transports à grande vitesse transatlantiques ou le « sea short shipping » évoluant lui aussi sur un mode rapide.

Le « hub roulier  », le développement des activités fluvio-maritimes, mais aussi, tout simplement, le cabotage rapide constituent le projet manchois.
D’ores et déjà, plus de 30 % du trafic de marché venant de la péninsule ibérique et allant vers le Royaume-Uni ou l’Irlande transitent par Cherbourg. L’accroissement de notre zone de chalandise, en incorporant les pays de l’Afrique du Nord par exemple, ne fera que conforter le caractère stratégique du port de Cherbourg dans cette nouvelle culture du transport maritime.

Intégrer le réseau routier européen

Par ailleurs, les autoroutes quadrillent la France et tendent à devenir européennes. La Manche s’emploie donc logiquement à s’intégrer à ce nouveau réseau. Deux grands axes routiers frôlent ou pénètrent actuellement notre département. Au nord, Paris-Caen-Cherbourg (A13 et RN13), au sud l’autoroute des estuaires (A84) qui relie l’Europe du Nord à celle du Sud en longeant la façade maritime. Un gain de temps considérable, par exemple, pour les habitants du Benelux, du Bassin parisien ou de la Bretagne et du Sud-Ouest qui veulent venir chez nous. Ce pourrait être parfait, mais il suffit de regarder la carte de la Manche pour réaliser qu’il manque un élément capital à cet ensemble : une liaison de type autoroutier entre ces deux axes pour désenclaver le centre de la Manche et le port de Cherbourg et lui permettre de devenir un ponton sur la mer de la Manche, notamment dans le cadre de l’arc atlantique. D’où la nécessité de construire une liaison autoroutière nord-sud, entre la RN13 à quatre voies Cherbourg-Paris et l’A84 des estuaires.

Pour ce faire, le département a pris à son compte le financement et la construction du secteur central de cette autoroute, les 18 kilomètres du contournement de Saint-Lô. 76 millions d’euros ont été engagés dans l’opération. Cet aménagement du réseau routier est la base de notre développement économique, pour rendre notre département accessible. Il nous permet de travailler dès maintenant au développement du port de Cherbourg. Mais cette situation nouvelle, si elle nous ouvre des perspectives économiques, sociales et touristiques, crée également des besoins nouveaux. L’augmentation des flux de circulation impose de disposer d’un réseau routier interne et transversal capable d’y répondre, pour aujourd’hui et les années qui viennent. Le Conseil général a mis en œuvre une politique routière globale et prospective répondant à ces impératifs. Depuis dix ans le département de la Manche a investi plus d’un milliard de francs (150 millions d’euros) dans son réseau routier.

Pour conclure, c’est en orientant notre action dans une perspective à long terme et dans le souci des générations à venir, c’est en ayant une vision élargie et globale du monde qui nous entoure que nous assurerons l’attractivité et la différenciation de notre territoire.

Pour y arriver, nous devons maintenir un équilibre très fort entre l’économie et l’environnement, l’économie et le social, le social et l’environnement, et c’est là la vraie définition du développement durable.

Dans toute œuvre humaine, la réussite passe par l’implication des acteurs. C’est vrai pour la définition de l’objectif : un projet n’est bon que s’il est partagé par tous. C’est vrai dans la mise en œuvre des moyens pour atteindre l’objectif : c’est à nous, gens du terrain, qu’il appartient de porter et vivre notre territoire. En nous impliquant dans la sauvegarde ou le maintien de leurs paysages, dans la mise en valeur des richesses naturelles de leurs territoires, nous rendrons aux habitants la fierté d’être d’ici.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/l-exemple-de-la-manche.html?item_id=2511
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