Roger MAQUAIRE

est chef économiste de Saint-Gobain, vice-président de l’Afede (Association française des économistes d’entreprise), et président du Club de l’amélioration de l’habitat (CAH).

Eric LAGANDRÉ

est directeur technique adjoint de l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (Anah).

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Le cycle de la rénovation du logement ancien

En 1978, à l’heure où la France mettait en chantier plus de 450 000 logements, le VIIe Plan affichait une priorité nouvelle : l’« amélioration qualitative de l’habitat ». L’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat, récemment créée (1971), voyait sa mission renforcée. Au cours des années qui suivirent, tandis que la construction neuve décélérait, l’amélioration-entretien du logement montait progressivement mais régulièrement en puissance (+ 1 % l’an en volume sur la période 1990-2002).

Le marché de l’amélioration-entretien pèse aujourd’hui 45 milliards d’euros TTC, plus que le neuf (40 milliards d’euros TTC), plus que les ventes d’automobiles aux particuliers (31 milliards d’euros TTC). C’est un segment important de l’économie française.

Longtemps, les entreprises l’ont considéré comme un marché de complément. Ils lui ont assigné un rôle contracyclique. Lorsque l’activité ralentissait dans le neuf, on se repliait sur ce créneau, plus prenant en termes de relations avec une clientèle souvent non professionnelle, plus risqué en termes de paiement et d’imprévus techniques.

Les fluctuations suivent celles du PIB

Aujourd’hui, le marché a conquis son autonomie. Le baromètre de l’entretien-rénovation, enquête trimestrielle menée auprès des entreprises du Bâtiment, nous montre que, depuis 1994 au moins (date de création de l’outil), le cycle d’activité de l’entretien-rénovation s’est calé sur celui du PIB et suit celui de la construction neuve.

Cette concordance n’a rien d’étonnant : le marché est large et hétérogène. Quoi de commun entre les travaux de bricolage d’un particulier et l’opération de quasi-reconstruction engagée par un promoteur ? Il n’est pas surprenant que les fluctuations d’un ensemble agrégeant des opérations et comportements aussi distincts, rejoignent naturellement celles de l’activité économique nationale.

L’amplitude des fluctuations cycliques du marché a été forte au cours des dernières années. Entre le premier et le quatrième trimestre 2000, le volume d’affaires du marché a crû d’environ 10 % chaque trimestre (par rapport au même trimestre de l’année précédente). Selon la Fédération Française du Bâtiment, la conjoncture n’explique qu’un tiers de cette progression ; la tempête de la fin 1999 est à l’origine d’un autre tiers, les mesures de relance mises en œuvre par les pouvoirs publics, et notamment la baisse de la TVA, apportent le complément.

Ces fluctuations auraient pu être plus vives encore si le marché n’écrêtait pas une part de la demande. En effet, d’importants goulets d’étranglement brident l’offre. Certains patrons d’entreprises de petite taille perçoivent parfois l’accroissement de leur activité comme un facteur de risque supplémentaire et l’encadrement de collaborateurs plus nombreux comme une tâche d’autant plus ingrate que les difficultés de recrutement de personnel persistent. Ces réticences quasi-culturelles à développer leur activité peuvent les conduire à reporter une partie des travaux demandés et les amener à l’annulation d’une autre part.

Dans l’ensemble hétérogène « amélioration de l’habitat », les sociétés de HLM et les personnes morales, perçues individuellement comme des donneurs d’ordre importants, ne représentent que 10 % du marché. Ce sont essentiellement les décisions des personnes physiques qui font l’activité du secteur. Cette catégorie d’acteurs commande à elle seule 91 % des travaux engagés (81 % pour les propriétaires occupants et 10 % pour les autres bailleurs personnes physiques).

Une croissance tendancielle « faite » par les ménages

En conséquence, les ménages « font » le marché. Les facteurs bien connus qui déterminent leur consommation et ceux de la demande immobilière résidentielle expliquent bien l’évolution cyclique du secteur. Celle-ci nous paraît relativement stabilisée.

Il ne nous paraît, en revanche, pas utopique d’espérer un renforcement de la croissance tendancielle du secteur, en tenant compte, d’une part, de la nécessité pour l’État de concentrer ses moyens sur l’offre de logements destinés aux personnes à revenus modestes, sur le traitement des quartiers les plus dégradés et sur la qualité environnementale des logements, d’autre part, des fortes contraintes budgétaires qui vont peser dans les mois à venir sur la dépense publique.

Car les « réserves » de développement du marché sont nombreuses :

  • Le recours au crédit y est encore limité : 25 % seulement des dépenses totales de rénovation sont réalisées à crédit (le plus souvent à court terme) et ce ratio, qui progresse avec le niveau de la dépense, n’atteint que 33 % pour les grosses opérations (de 7 622 à 15 240 euros). A titre de comparaison, 49 % des dépenses automobiles sont financées à crédit.

En revanche, le niveau des taux hypothécaires joue un rôle essentiel, quoique décalé, sur l’activité rénovation. Pourquoi ? Parce qu’il conditionne le volume des transactions dans l’ancien. Or, ce sont les accédants récents (depuis moins de quatre ans) qui consomment le plus de « rénovation ». Leur dépense moyenne en travaux de ce type est 1,5 fois supérieure à celle de l’ensemble des propriétaires et accédants.

  • La logique de « consommation plaisir », forte sur le marché des biens dits supérieurs, ceux dont l’élasticité consommation-revenu est supérieure à l’unité (services, culture, loisirs, électronique…) progresse sur ce marché. Le profil des dépenses des ménages par tranche de revenus montre un fort potentiel de croissance dans ce sens. Mais aujourd’hui, c’est encore trop largement par nécessité qu’on effectue des travaux d’amélioration-entretien dans le logement. La vétusté, la saleté, une défaillance ou une détérioration sont cités comme les facteurs déclenchants de 39 % du montant total des travaux de rénovation. L’élasticité des dépenses d’entretien-rénovation (au revenu disponible des ménages) demeure faible et inférieure à l’unité. Sans évolution de ce paramètre, compte tenu d’hypothèses moyennes de progression du pouvoir d’achat des ménages, les dépenses d’entretien-rénovation évolueraient au mieux de 1,5 à 2 % l’an à l’horizon 2008. Mais l’attachement croissant des Français à la qualité de leur logement milite pour une hypothèse plus favorable.

Produit intérieur brut et rénovation du logement (France)
(Croissance en valeur par rapport au même trimestre de l'année précédente)

  • Le développement du taux de propriété est encore faible en France, comparé au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. Son augmentation à terme pourrait soutenir l’activité entretien.
  • Les mises aux normes réglementaires ou techniques vont induire de nombreux travaux pour répondre notamment aux exigences issues des contraintes de développement durable et aux engagements internationaux de la France. Le logement va devoir, par exemple, diminuer les rejets de gaz à effet de serre liés au chauffage (l’habitat dans son ensemble émet plus de 17 % des rejets de gaz à effet de serre).
    Cela devrait conduire les propriétaires du parc de logements existants à d’importants progrès en matière de performances thermiques des bâtiments, pour éviter que l’écart ne se creuse trop avec les logements neufs et répondre à ces nouveaux impératifs. Les pouvoirs publics s’apprêtent à prendre les mesures nécessaires en la matière. Ces travaux représentent d’ores et déjà une dépense annuelle des ménages de l’ordre de  6 milliards d’euros TTC.
  • Une promotion de l’offre plus volontariste, de la part des nouvelles générations d’entrepreneurs et d’artisans, appuyée par une distribution de matériaux de construction encore mieux adaptée à la diversité et aux spécificités de ce marché, paraît de plus en plus probable et pourrait conduire à des affectations budgétaires des ménages plus favorables à l’habitat.

On notera, pour finir, que la valorisation du patrimoine immobilier résidentiel n’est pas uniquement une question franco-française. Elle se pose à la plupart des grands pays européens. Ceci est de nature à stimuler les dynamiques de structuration des filières, et à accélérer l’intégration verticale de certains sous-secteurs, comme l’équipement de la cuisine ou la fenêtre…

On le voit, le marché de l’amélioration de l’habitat ancien est bien un marché d’avenir, en constante évolution pour s’adapter à des perspectives prometteuses et répondre à des défis majeurs : améliorer le cadre de vie de nos concitoyens, tout en créant des emplois non délocalisables et en contribuant pour l’avenir à la préservation de notre planète dans la lutte contre l’effet de serre.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2003-11/le-cycle-de-la-renovation-du-logement-ancien.html?item_id=2509
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