Laurent GHEKIÈRE

est délégué auprès de l'Union européenne de l'Union sociale pour l'habitat.

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Une offre insuffisante de logements urbains à l’échelle européenne

L’émergence d’une nouvelle crise du logement dans les villes de l’Union européenne pose de nombreux problèmes aux États membres, tant en matière de lutte contre l’exclusion que de ségrégation spatiale, avec pour conséquence une érosion inquiétante de leur cohésion sociale.

L’évolution de la question du logement en Europe relève de la conjonction de nombreux facteurs agissant de façon interactive. Parmi ces facteurs figurent la concentration des emplois dans les centres urbains et la flexibilité accrue des emplois, ce qui suppose une plus grande mobilité professionnelle mais également une précarisation des revenus, ainsi que l’exclusion durable du marché du travail de groupes de populations.

Une question permanente

Malgré une profonde évolution de l’environnement économique européen de ces trente dernières années, la question du logement reste un problème de société d’une grande actualité et d’une réelle acuité dans l’Union européenne. La nature même des problèmes du logement a cependant profondément évolué, accompagnant ainsi les mutations économiques et sociales que l’Europe a connues et continue de connaître.

Cette situation est le fruit de la conjonction de nombreux facteurs agissant de façon interactive.

La concentration des emplois dans les centres urbains s’est accentuée. Elle s’est accompagnée d’une concentration des populations dans ces centres et d’une extension urbaine souvent mal maîtrisée. La pression sur l’offre de logements et sur l’offre foncière s’est traduite par une augmentation rapide des prix des logements et, plus spécifiquement, des loyers. Dans certaines métropoles européennes telles Londres, Madrid, Barcelone ou Lisbonne, la notion de bulle immobilière est de nouveau mise en avant. La mobilité de la main-d’œuvre se traduit dans certains pays, comme au Royaume-Uni, en Irlande, en Suède et en Allemagne, par une désertification de régions entières et, par conséquent, par une offre de logements surabondante inexploitée et, par ailleurs, par une concentration de la demande de logements dans les zones urbaines attractives.

La flexibilité accrue du marché du travail s’est accompagnée d’une précarisation des emplois par le développement d’emplois temporaires et de l’intérim. Ainsi, les périodes d’activité sont de plus en plus ponctuées de périodes d’inactivité, fragilisant la régularité des revenus des ménages face à des dépenses en logement permanentes et croissantes. Dans les pays les plus touchés par cette précarisation de l’emploi, notamment au Royaume-Uni, en Irlande, en Espagne, mais également en Belgique, l’expulsion de ménages insolvables est en augmentation, en secteur locatif comme en accession à la propriété, par surendettement.

Par ailleurs, l’exclusion durable du marché du travail de groupes de populations en raison de leur niveau de qualification ou de leur spécialisation dans des activités délocalisées, suppose qu’une prise en charge par la collectivité soit assurée, tant du point de vue de la réinsertion et de la qualification que de la solvabilisation par des revenus de transfert affectés ou non au logement. L’importance des flux migratoires et de l’immigration alimente la demande, contribue à renforcer la pression sur l’offre de logements et pose plus généralement la question de l’inadaptation du parc de logements existants à la nature des besoins des populations immigrées.

L’évolution du tissu familial, notamment par l’accroissement du nombre des divorces, l'augmentation des ménages monoparentaux, l’allongement de la période de cohabitation parentale, contribuent également à maintenir la demande à un niveau élevé face à une offre souvent inadaptée et insuffisamment renouvelée. Enfin, le vieillissement de la population suppose l’adaptation physique de l’offre de logements existants à la nature des besoins, mais aussi la mise en place de structures de services permettant le maintien à domicile.

Des évolutions structurelles

Cette profonde évolution de la demande, tant quantitative que qualitative, ne saurait être spontanément satisfaite par une offre de logements contrainte par les exigences de concentration dans les zones urbaines, par la flambée consécutive des valeurs foncières et la lenteur structurelle de son adaptation physique. La question de l’émergence d’une nouvelle crise urbaine du logement à l’échelle européenne est donc posée. Elle crée de nombreux problèmes aux États membres de l’Union européenne, tant en matière de lutte contre l’exclusion que de ségrégation spatiale, et induit une érosion inquiétante de leur cohésion sociale.

L’affaiblissement du lien social par la spécialisation des territoires, la progression de l’exclusion par la précarisation concomitante du logement et de l’emploi, le rejet croissant du politique et de l’institutionnel au profit du repli communautaire, contribuent en effet à altérer le sentiment d’appartenance à une seule et même communauté et le partage de valeurs communes. Pourtant, la cohésion sociale européenne ne saurait se réduire à la juxtaposition de territoires socialement spécialisés, communautarisés et repliés sur eux-mêmes autour d’une identité territoriale caractérisée par des conditions de vie, d’habitat et d’intégration spécifiques.

Les conditions d’accès au logement, d’habitat et de développement équilibré des territoires sont aujourd’hui au cœur de la préservation de la cohésion sociale européenne et de la paix sociale face à un éclatement du marché de l’emploi ne permettant plus de reproduire les liens sociaux existants. Or, cette crise du logement est, pour partie, la conséquence directe du désengagement progressif des gouvernements en matière de politique du logement, par la réduction des budgets publics, la privatisation du logement public ou social et la dérégulation des marchés locatifs, que ce soit dans les pays en transition ou dans les autres États membres.

Les politiques en cause

Les politiques de libéralisation des marchés locatifs, de privatisation ou de réduction de l’offre de logements sociaux conduites dans de nombreux États membres ont clairement fait la preuve de leur incapacité à faire face durablement aux défis en présence. La pression accrue sur les finances publiques conduit in fine à renforcer le rôle des mécanismes de régulation par le marché dans le domaine du logement et du développement urbain, par la contraction des budgets publics et l’affaiblissement de l’intervention directe sur le niveau de l’offre, notamment l’offre de logements sociaux et accessibles. De même, les politiques foncières et d’aménagement du territoire ne contribuent plus à canaliser l’étalement urbain et la spécialisation des territoires résultant du renforcement du rôle des mécanismes de marché et du jeu de l’offre et de la demande.

Or, les coûts pour la collectivité d’une non-politique du logement sont bien supérieurs à ceux d’une politique dynamique du logement s’inscrivant dans la durée, la continuité, l’implication de l’ensemble des acteurs et l’adaptabilité à l’évolution des besoins. Il convient donc de maintenir et de développer des politiques dynamiques de logement fondées sur les solidarités, équitables et équilibrées quant aux actions conduites en direction de la demande et de l’offre, et fondées sur le rôle de l’État en tant que garant de la cohésion sociale et de la mise en œuvre effective des droits sociaux fondamentaux.

Le devenir des politiques du logement représente un défi d’autant plus grand pour l’Europe que la territorialisation des problèmes est croissante en raison de leur ancrage dans le développement des villes européennes et, plus globalement, dans l’aménagement du territoire européen. Les politiques du logement les plus pertinentes sont celles qui ont su s’adapter à la territorialisation des problèmes par des mesures appropriées visant à renforcer le rôle des pouvoirs locaux, tout en préservant l’exigence de solidarité et l’indispensable engagement des États. Car trop souvent, la décentralisation s’est accompagnée d’un désengagement de l’État et d’un renoncement à assurer son devoir de solidarité nationale à travers le logement, comme en Italie, par exemple.

Les politiques du logement qui ont su concilier la nécessité d’actions plus intégrées touchant à la fois à l’exclusion, à la discrimination et au renouvellement urbain se sont instaurées progressivement et doivent être soutenues.

Une nécessaire intervention publique

Mais ces politiques intégrées ne doivent pas conduire à renoncer au renforcement d’interventions publiques directes ou indirectes sur les marchés du logement et sur les causes structurelles de la crise. Elles doivent poursuivre la recherche d’un équilibre entre la solvabilisation des ménages et l’incitation à la création d’une offre nouvelle de logements accessibles, entre la promotion d’une offre de logements sociaux de qualité et une régulation de l’offre de logements privés, entre une incitation au renouvellement de l’offre et des mesures coercitives en matière de politique foncière, d’offre nouvelle de logements et de mixité sociale.

Aussi convient-il de dynamiser ces politiques du logement, compte tenu de la permanence des problèmes et des changements sociodémographiques, de l’intensification des flux migratoires en Europe, et de son indissociable lien avec les politiques de protection sociale et les politiques d'aménagement urbain. Cette évolution est d’autant plus nécessaire que les exigences de développement durable, tant en matière d'urbanisme et de transport qu’en matière énergétique, ne peuvent que s’intensifier dans l’avenir et contribuer à peser sur les orientations des politiques publiques.

S’il n’est pas possible de définir une seule voie pour la modernisation des politiques du logement, il faut rappeler, en revanche, un certain nombre de principes que les États membres se doivent de respecter :

  • Bien de première nécessité par excellence, le logement ne saurait être considéré comme un simple produit ou bien marchand. En tant que droit fondamental, son accès doit être garanti pour tous et seule une politique dynamique du logement structurée et durable peut conduire à atteindre l’objectif d’universalité de son accès.
  • Compte tenu de la pression s’exerçant sur les budgets publics, les politiques du logement doivent veiller à une allocation optimale des ressources publiques. L’efficacité économique et sociale des actions engagées doit faire l’objet d’évaluations régulières, notamment quant à leur impact effectif sur l’accessibilité de l’offre de logements et la solvabilisation de la demande.
  • L’équité des mesures mises en œuvre doit guider les politiques du logement, y compris en matière d’intervention sur l’offre, pour laquelle des contreparties doivent accompagner les mesures incitatives en direction des opérateurs privés.
  • La dimension territoriale des politiques du logement doit être menée à bien par une adaptation locale des instruments d’intervention à la nature des besoins et des situations.
  • Enfin, la bonne gouvernance des politiques du logement doit être assurée par une association de l’ensemble des acteurs parties prenantes, y compris des habitants et de leurs associations.

Bien que l’organisation territoriale des États membres dispose d’une grande richesse de situations, l’implication des pouvoirs régionaux et locaux est aujourd’hui indispensable dans le cadre d’une claire répartition des compétences et des responsabilités. Toutefois, cette indispensable décentralisation des politiques du logement ne doit pas conduire les États à se désengager et à remettre en cause le principe de solidarité.

La reconnaissance du droit au logement est le fondement premier des politiques du logement, elle doit tendre vers son application effective, vers un accès universel au logement garanti pour tous, en privilégiant la prévention de l’exclusion à l’expulsion et en garantissant le relogement dans un logement permanent et salubre sans discrimination.

Quelle approche européenne ?

Le Conseil européen de Lisbonne de juin 2000 a adopté une stratégie européenne d’inclusion sociale et a érigé en objectif commun aux États membres la mise en œuvre de politiques du logement visant à permettre à chacun d’accéder à un logement décent et aux services qui y sont liés. La reconduction à mi-parcours de ces objectifs ne peut être que saluée. La constitution au sein du Parlement européen d’un inter­groupe sur les questions urbaines et de logement et l’adoption d’une Charte européenne du logement par le Parlement sont un signal positif. La prise en considération du logement en tant qu’élément à part entière de la politique de cohésion de l’Union européenne et du modèle social européen va également dans ce sens. L’éligibilité du logement et du logement social aux fonds structurels communautaires pour la période 2007-2013 témoigne également de la prise de conscience des liens existant entre le renforcement de la cohésion sociale de l’Union européenne et la situation du logement des citoyens européens. Dans un récent rapport, la Commission européenne s’est inquiétée de l’impact de la bulle immobilière sur la stabilité financière de la zone euro et la croissance par la captation excessive du pouvoir d’achat des ménages. Dans le cadre de l’année européenne de la mobilité, la question des freins à la mobilité professionnelle inhérente aux dysfonctionnements des marchés immobiliers est également posée par la Commission dans ses lignes directives pour l’emploi. Une première prise de conscience à l’échelle européenne des liens existant entre développement économique, emploi, cohésion sociale et territoriale et la question du logement qu’il conviendrait de conforter dans l’avenir.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-10/une-offre-insuffisante-de-logements-urbains-a-l-echelle-europeenne.html?item_id=2741
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Mutations économiques et crise du logement : Une offre insuffisante de logements urbains à l’échelle européenne. L’émergence d’une nouvelle crise du logement dans les villes de l’Union européenne pose de nombreux problèmes aux États membres.