Jérome MICHON

est professeur à l'ESTP (Ecole spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l'industrie).

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Marchés publics : le défi de l'harmonisation européenne

Un rapprochement des règles applicables à la commande publique est entrepris depuis plusieurs années au sein de l’Union européenne. La diversité des réglementations auxquelles les entrepreneurs doivent faire face demeure malgré tout une réalité.

Certains pays membres de l’Union européenne, de tendance anglo-saxonne, ne disposaient pas de règles propres aux relations contractuelles entre le secteur public et privé ; d’autres, plutôt de tendance latine, avaient un long passé juridique de droit de la commande publique. Souhaitant contribuer à une libre concurrence au sein de l’espace communautaire et à un meilleur accès des opérateurs économiques aux opportunités de marchés publics, l’Europe a adopté plusieurs dispositifs successifs en faveur d’une « harmonisation » des règles juridiques existant au sein des États membres.

Que l’on ne s’y trompe pas : il s’agit bien d’une harmonisation et nullement d’une volonté d’uniformité de la réglementation à laquelle doivent faire face les entrepreneurs. Les deux nouvelles directives européennes du 31 mars 2004, l’une de portée générale (n° 2004-18), l’autre sectorielle et visant les activités de réseaux de transports, d’énergie, d’eau et de services postaux (n° 2004-17), toutes deux entrées en vigueur le 1er février 2006, ont marqué une nouvelle étape dans ce processus d’harmonisation. En effet (voir page suivante), il n’a jamais existé autant de textes juridiques réglementant la commande publique au sein des États membres de l’Union européenne que depuis ces dix dernières années.

S’il semble y avoir unanimité sur les principes généraux applicables aux marchés publics – transparence, concurrence, égalité de traitement et non-discrimination –, il est clair qu’il n’existe pas d’uniformité des règles internes auxquelles les entrepreneurs doivent faire face.

Multitude de seuils d’ouverture à la concurrence

La présentation de toutes les différences procédurales serait trop longue. On s’arrêtera donc sur un point qui est cher à la Commission européenne et à la Cour de justice des communautés européennes et qui concerne le seuil à partir duquel une ouverture à la concurrence s’impose. Les arrêts Telaustria et Ben Mousten ont précisé qu’un « degré de publicité adéquat » devait être respecté dès le premier euro. Or la réalité des textes normatifs propres à tel ou tel pays est parfois toute autre.

Ainsi, en Autriche, des achats directs sont possibles en dessous de 20 000 euros. Au Danemark, s’agissant des marchés de travaux, des règles s’imposent dès le premier euro et la procédure négociée est systématiquement envisageable en dessous du seuil de 270 000 euros ; mais, s’agissant des marchés de fournitures et de services, aucune condition procédurale ne s’impose en dessous de 70 000 euros. En Estonie, les règles procédurales s’imposent essentiellement à partir de 19 000 euros en fournitures ou services et de 255 000 euros en travaux. En Pologne, un seuil à 60 000 euros a été fixé, avec une distinction en termes de moyens d’ouverture à la concurrence qui se traduit notamment par la publication d’un avis dans le Bulletin polonais des marchés publics uniquement à partir de ce seuil de 60 000 euros. Au Portugal, un seuil à 2 000 euros a été fixé : en dessous de ce seuil, aucune procédure formelle ne s’impose ; mais au-delà de celui-ci, une ouverture progressive à la concurrence est prévue : en travaux, la simple consultation de trois entrepreneurs suffit entre 2 000 et 10 000 euros, une procédure négociée est systématiquement possible entre 10 000 et 16 000 euros, une procédure restreinte est possible entre 16 000 et 125 000 euros, et au-delà l’appel d’offres s’impose ; en services et fournitures, aucune procédure ne s’impose en dessous de 20 000 euros, sauf la consultation de cinq candidats (entre 10 000 et 20 000 euros), de trois candidats (entre 5 000 et 10 000 euros), ou de deux candidats (entre 2 000 et 5 000 euros).
La simple consultation d’un certain nombre de candidats prédéfinis ne revient pas juridiquement à la publication d’un avis d’appel à la concurrence : c’est la différence entre une simple « mise en concurrence », avec des soumissionnaires potentiels présélectionnés par l’acheteur public, et une véritable « publicité » dont la connaissance est accessible par tout entrepreneur ou prestataire.

Cette comparaison entre différents pays membres de l’Union européenne, souligne les différences de degré d’ouverture à la concurrence selon que le marché est régi par telle ou telle réglementation. En termes de procédures, la quasi-totalité des États membres ont adopté le triptyque : appel d’offres ouvert, procédure restreinte, marché négocié. à cela s’ajoute parfois une procédure plus souple encore, en dessous de tel ou tel seuil.

Des initiatives de dématérialisation

Les nouvelles directives européennes du 31 mars 2004 sont particulièrement imprégnées de la nouvelle logique de dématérialisation de la commande publique. Il faut distinguer deux aspects : d’une part, l’outil électronique qui rend plus accessibles les avis de publicité à chaque entrepreneur potentiel et, d’autre part, la dématérialisation à proprement parler qui permet la remise d’une offre électronique ou l’organisation d’enchères électroniques. Le premier aspect ne suscite aucune réticence des opérateurs économiques, a contrario du second.

De nombreux États membres n’ont pas adopté la moindre législation particulière sur la dématérialisation de la commande publique. C’est le cas en Belgique (même si les autorités encouragent la dématérialisation), à Chypre (par-delà une réflexion lancée en 2005), ou encore en Lettonie, aux Pays-Bas, en Grèce (outre une absence de réglementation, aucune pratique réelle ne peut être relevée dans ce pays). En République tchèque, aucune règle particulière n’a été adoptée, même si des annonces sont mises en ligne sur un site officiel1. Idem au Danemark, avec un portail marchés publics créé en janvier 2002 sous l’autorité du ministère de la Science, des Technologies et de l’Innovation.

Par contre, dans d’autres pays membres, des initiatives ont été prises. En Allemagne, la dématérialisation est encadrée par une législation nationale, que l’on peut trouver dans une ordonnance et plusieurs Codes dont le Code civil s’agissant de l’équivalence entre l’écrit et un support électronique. En Italie, un important dispositif réglementaire existe en ce domaine, avec une compétence particulière du Consip SpA (« Concessionaria Servizi Informativi Pubblici », cf. site Internet2). En Lituanie, une nouvelle loi sur les marchés publics a été adoptée le 1er mars 2003 et favorise le commerce électronique en marchés publics. En Autriche, des enchères électroniques sont possibles au-delà du seuil de 40 000 euros.

Par ailleurs, en Finlande, de nombreuses initiatives sont prises autour du site Julma et du journal « Julkiset Hankinnat ». En Irlande, une politique nationale de dématérialisation a été lancée en avril 2002, après l’adoption de plusieurs dispositions particulières dès 1999. Au Portugal, l’Unidade de Missa Inovaçao e Conhecimento (Mission pour l’Innovation et la connaissance, dépendant directement du président du Conseil des ministres), dirige un programme national en faveur de la dématérialisation des procédures de marchés publics. En Slovénie, d’importantes initiatives sont prises depuis près de dix ans et devraient aboutir à un système national de dématérialisation dans les prochains mois.


http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-10/marches-publics-le-defi-de-l-harmonisation-europeenne.html?item_id=2730
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