Alain BEAUJARD

est commissaire divisionnaire, responsable du service information-sécurité à la préfecture de police de Paris.

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Penser « sûreté »

La prévention des actes de malveillance devra être de plus en plus intégrée dans l’aménagement, la conception et la construction de bâtiments. La mise en place d’un plan de sûreté associant très en amont évaluation de l’environnement, dispositifs techniques et humains semble un bon moyen d’y parvenir.

Quelle est la distinction entre sûreté et sécurité d’un bâtiment ?

Alain Beaujard - La sûreté recouvre la lutte contre tous les actes de malveillance susceptibles d’avoir un impact sur le bâtiment avec l’intention de nuire, qu’il s’agisse de vandalisme ou de violence urbaine, par exemple. La sécurité a trait à l’ensemble des circonstances accidentelles de nature à porter atteinte aux personnes ou aux biens de façon involontaire, l’incendie par exemple.

Le domaine de la sûreté inclut une composante irrationnelle car il relève parfois de réactions psychologiques, comme dans le cas de braqueurs qui renoncent in extremis à cambrioler une banque parce qu’ « ils ne le sentent pas ». Nous sommes donc souvent dans le « ressenti », ce qui compte tout à fait dans la réflexion sur la prévention à mettre en œuvre. Et si, aujourd’hui, il y a des obligations en matière de sécurité d’un bâtiment, il y en aura demain pour la sûreté. La sûreté va prendre de plus en plus d’importance pour la conception et la construction de bâtiments. Ne serait-ce que parce que la normalisation européenne va dans ce sens et se traduira dans le futur par une évolution des procédures et des obligations qui auront un impact sur la construction.

La première des responsabilités en matière de sûreté d’un bâtiment incombe-t-elle au maître d’ouvrage ?

Oui. Lorsqu’il construit un bâtiment ou lance une opération d’aménagement, il doit apprécier les risques potentiels propres aux différents espaces et à l’environnement du terrain ou du bâtiment, de façon à voir ce qui peut nuire à la zone de construction.

Pour le bâtiment lui-même, il doit prendre en compte l’ensemble des ouvrants, aussi bien en toiture qu’en sous-sol, en répertoriant et protégeant tout ce qui peut permettre une introduction de l’extérieur vers l’intérieur. Il doit aussi évaluer la disposition des espaces intérieurs. Il faut savoir que, parfois, la seule présence d’une hôtesse dans un hall d’accueil peut suffire à décourager un délinquant potentiel !

En fait, le promoteur doit déterminer la typologie des actes malveillants possibles sur son site, et pour cela, il doit se faire aider par des spécialistes, qui sont encore trop rares en France. Il doit toutefois se garder du « tout technologique ».
En effet, si des choix techniques comme des contrôles d’accès ou des vitrages de sécurité ont un impact certain pour la prévention des actes de malveillance, une prévention technologique massive peut entraîner un refus de la part des usagers, voire un effet négatif pour la sécurité des personnes. Aujourd’hui, les délinquants vont toujours plus loin. Prenez l’exemple du home jacking : ils vont dérober les clés de voiture au domicile des personnes, sans hésiter éventuellement à les malmener afin de voler leur véhicule et leurs valeurs…

Certaines mesures sont quand même dissuasives…

Oui, bien sûr. A commencer par un plan de sûreté réalisé très en amont de la construction d’un bâtiment, car une bonne appréciation des risques au départ est essentielle pour la suite. Il est en effet très important de concevoir l’aménagement des abords, des voies de circulation ou de l’éclairage au sein d’une opération de façon à limiter les risques d’agression. Mais pour bien les imaginer, j’insiste, il faut avoirréalisé une projection intellectuelle de l’environnement futur.
Le plan de sûreté doit donc prévoir les actes de malveillance possibles, mais aussi le niveau de résistance de la cible face à l’attaque (comment le bâtiment réagira-t-il face à un acte de malveillance ?) et fixer un plan de défense associant des mesures techniques (caméras de vidéo-surveillance, par exemple) et un dispositif humain (effectifs affectés à la sécurité). Il faut trouver un juste équilibre entre le «technologique» (que réclament souvent les sociétés d’assurances) et l’humain : la technologie doit avant tout permettre la signalisation d’un acte délictueux en temps réel et l’information des enquêteurs. Souvent, plus l’équipement est sophistiqué, plus le risque qu’il soit mis hors circuit est grand… Il est donc important de bien concevoir et mettre en œuvre le plan de défense.

Quels sont les objectifs à viser en cas d’agression ?

D’abord, dissuader l’agresseur, ce qui suppose de « brouiller son mental » grâce à une bonne connaissance de la psychologie de ce type d’individus. Ensuite, bloquer l’agresseur ou, à défaut, le freiner. Enfin, favoriser une alerte très circonstanciée et très rapide des forces d’intervention. Voilà les bases de toute étude de prévention.

Pour éviter tout subjectivisme, il est judicieux de travailler en groupe, en menant ce genre d’études afin de permettre l’expression et la confrontation de différents points de vue. Il s’agit en effet d’études complexes, différentes à chaque opération et faisant appel à une excellente connaissance de la nature réelle de la menace et des moyens techniques et humains de prévention.

Les architectes ont leur mot à dire...

Oui, bien sûr. D’ailleurs, de même qu’il existe des « architectes de sécurité » au Royaume-Uni, de nombreux architectes français s’intéressent à ces sujets. Quand elle travaillait au projet d’un centre de conférences internationales, l’agence Soler avait étudié la qualité des verres car ils devaient résister à d’éventuels tirs d’armes à feu. Donc, les architectes sont prêts à concevoir des solutions techniques performantes. Mais je leur dis aussi : « Plus vous ferez beau, moins il y aura de problèmes ». Regardez la station de métro Louvre, à Paris : elle est très peu taggée parce qu’elle est belle. La beauté peut freiner quelqu’un qui veut nuire ! Autre exemple, les parkings : quand on évite les piliers, que l’on met de la couleur, une musique agréable, des revêtements de sols qui ne crissent pas sous les pneus, une lumière efficace et peu agressive, une bonne signalétique, quelques caméras et une présence humaine… on fait baisser la criminalité. La sûreté, ce n’est pas forcément une instrumentation technique complexe, mais c’est un visuel différent à chaque fois ; on ne peut jamais faire de « copier-coller », qu’il s’agisse d’une ambassade ou d’un ensemble de bureaux.

Certains types d’urbanisme sont-ils plus pathogènes que d’autres ?

Il ne faut pas stigmatiser certains quartiers par rapport à d’autres, mais constater objectivement que certaines formes d’urbanisme, d’aménagement ou de construction ne sont pas satisfaisantes en termes de qualité de vie, de tranquillité et de sécurité publique. Il ne faut pas non plus oublier l’aspect qualitatif, la gestion et la maintenance, qui sont des éléments primordiaux. Nous devons en avoir conscience et en tirer toutes les conséquences.

Par ailleurs, on peut observer qu’il existe une logique entre le délinquant et sa victime potentielle en ce qui concerne le lieu et le moment quand on étudie les infractions commises.

Le but de la prévention situationnelle est de prendre en compte ces espaces et les bâtiments afin d’accroître la difficulté du passage à l’acte et de limiter les profits et conséquences espérés par les délinquants de toute nature, du petit délinquant au terroriste, et de faire baisser le sentiment d’insécurité.

L’urbanisme, l’aménagement et la construction sont donc de nature à influer sur les comportements et de nombreux maîtres d’ouvrage en sont désormais conscients. Pour autant, nous devons tout mettre en œuvre pour assurer une réelle mixité sociale dans les quartiers en favorisant l’intégration de certaines populations à risque. Tant que nous n’y serons pas parvenus, nous serons confrontés aux violences urbaines et à leur cortège d’exactions et autres actes de délinquance. C’est un enjeu majeur pour l’ensemble des professionnels de l’aménagement urbain et de la construction.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-10/penser-«-surete-».html?item_id=2743
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