Alain BEAUJARD

est commissaire divisionnaire, responsable du service information-sécurité à la préfecture de police de Paris.

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Sécurité des bâtiments : un appel aux professionnels

Le commissaire Alain Beaujard souhaite que les maîtres d’ouvrage, les architectes, les urbanistes et les entreprises de bâtiment se préoccupent plus de la sûreté de ce qu’ils construisent.

La violence urbaine a-t-elle changé de nature ?

Alain Beaujard. Nous assistons à une violence beaucoup plus manifeste que par le passé, et qui est le fait de jeunes, hommes et femmes âgés de quinze à vingt-cinq ans. Un exemple de ce changement ? Avant, on volait une voiture. Aujourd’hui, on agresse le conducteur pour voler la voiture.

Pourquoi ? Sûrement parce les voitures sont plus sécurisées qu’avant, plus difficiles à dérober. On constate qu’une trop grande sophistication de la protection peut transformer la délinquance qui s’exerçait sur les biens en délinquance sur les personnes. Il est donc important de mettre au point des stratégies permettant d’éviter la menace... en évitant aussi qu’elle ne dégénère en raison même des mesures de protection.

Une de vos missions consiste à réaliser des études pour sécuriser des bâtiments. Comment procédez-vous ?

Nous menons une étude ou une consultation en trois étapes. D’abord, nous élaborons des typologies des actes déviants pouvant s’exercer contre des personnes ou des bâtiments sous la réserve qu’il s’agisse d’un ensemble public ou parapublic. Ensuite, nous déterminons quelle est la vulnérabilité potentielle de la cible que nous étudions par rapport aux vecteurs d’attaque possibles avec évaluation des dommages directs ou collatéraux potentiels. Enfin, nous proposons une protection technique et humaine. Il s’agit pour nous de mettre en lumière les moyens de dissuader l’agresseur, ensuite de le bloquer ou, a minima, de le freiner et, en dernier recours, d’alerter les forces de sécurité publiques ou privées.

La normalisation européenne va jouer un rôle à l’avenir sur les règles de sécurisation des bâtiments…

Oui. La normalisation européenne est en marche. Dans le cadre du Comité européen de normalisation, nous travaillons à la prévention de la malveillance par l’urbanisme et la conception des bâtiments. Trois groupes de travail se consacrent respectivement à la terminologie, aux grands équipements urbains et à l’habitation, aux commerces et aux bureaux. De nouveaux thèmes vont être proposés à l’Union européenne : « La sécurité des grandes plates-formes industrielles et commerciales », parkings, entrepôts, commerces à succursales multiples, stations-service, etc., et éventuellement« Enseignement et sécurité » et « Hôpitaux et sécurité ».

Nous espérons qu’en mars 2002 sera adopté le projet de norme européenne sur la protection contre la malveillance dans les habitations, les commerces et les bureaux. Elle restera facultative pendant trois ans avant de s’imposer, après d’éventuelles modifications proposées par les Etats membres. Le texte sur les grands équipements urbains fait l’objet d’une concertation très étroite entre les représentants des différents ministères intéressés (ministères de l’Intérieur, de l’Equipement, délégation interministérielle à la Ville) et les différentes professions concernées.

A quoi servira la normalisation en pratique ?

Elle permettra à la maîtrise d’ouvrage ainsi qu’aux architectes de se référer à un corpus de règles, inévitable guide de bonnes pratiques, et d’effectuer une réelle analyse du risque encouru pour tel ou tel bâtiment.

Mais il y a un choix économique à opérer…

Nous travaillons beaucoup avec les assureurs. C’est vrai que la question se pose de savoir s’il faut intégrer la sécurité au moment de la construction, en première monte, ou le faire plus tard. Il y a là une dimension économique à prendre en compte.

Vous trouvez que les professionnels de l’immobilier ne se préoccupent pas assez de la sécurité des bâtiments ?

Oui, je souhaiterais que nos relations s’intensifient avec les maîtres d’ouvrage, les architectes, les urbanistes et les entrepreneurs du bâtiment. Nous engageons déjà des réflexions avec les gestionnaires affiliés à la Fnaim pour définir des règles de base, concernant notamment les accès aux immeubles. Dans les pays du nord de l’Europe et au Royaume-Uni, les professionnels paraissent beaucoup plus mobilisés.

Certains bâtiments vous semblent-ils poser plus de problèmes que d’autres ?

Le vrai problème aujourd’hui, c’est celui de la protection de l’immeuble collectif d’habitation au niveau de sa conception, de sa construction et de sa gestion. Or il n’y a pas de réponse unique : tantôt il faut particulièrement sécuriser les halls d’entrée, tantôt il faut rendre étanches les parkings ou repenser l’organisation des voies. Trop souvent, l’erreur est d’associer la sécurité à une alarme et une porte blindée. Ce n’est pas forcément la seule bonne réponse !

En fait, il manque en France une réflexion stratégique en matière de sécurisation des bâtiments qui serait du même ordre que celle qui a été menée pour la sécurité contre les incendies. Aujourd’hui, on vend du matériel, mais on n’aborde que rarement la dimension macrosécuritaire du bâti.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-1/securite-des-batiments-un-appel-aux-professionnels.html?item_id=2412
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