De la caverne au loft : les risques sanitaires dans le bâtiment
Entrer dans le bâtiment par la porte des risques
sanitaires constitue incontestablement un « biais ». Le bâtiment
par essence n’est pas un lieu à risques ou, plus exactement,
ne devrait pas être un lieu dans lequel les risques s’expriment
mais, au contraire, un espace protecteur qui permet de les tenir à
distance.
En effet, parmi les fonctions du bâtiment, celle
qui vient en premier est celle de l’abri : contre les excès
du chaud ou du froid, contre la pluie, la neige, le vent, les animaux,
les autres êtres humains... Ainsi, depuis l’origine de l’homme,
se protéger contre les maux et l’épidémie est
profondément inscrit dans l’histoire du bâtiment. Les
constructions ont de la sorte permis à l’homme de se développer
sous les différents climats de la planète et ont joué
un rôle majeur dans le progrès humain et dans l’allongement
de son espérance de vie.
Cependant, après avoir pénétré
dans sa première caverne, installant entre quatre pierres le feu
tant convoité mais libérant à pleines volutes le
monoxyde de carbone, des particules et des hydrocarbures aromatiques polycycliques,
se couchant sur des peaux de bêtes vraisemblablement déjà
richement pourvues en acariens et en parasites divers, négligeant
l’évacuation de ses déchets, l’homme a dans le
même temps connu ses premières expositions aux risques sanitaires
domestiques. De même, confiné dans sa grotte, l’homme
préhistorique a, tout autant que son descendant ayant bâti
maison de pierre ou de bois, respiré du radon, ce gaz radioactif
exhalé par les sols granitiques. Mais sa vie était sans
doute encore trop courte pour que la maladie prenne le temps de l’affecter.
Plus tard, en travaillant les métaux, le cuir, les encres, etc.,
l’homme « artisan » puis « industriel » a
pris contact avec les expositions aux substances dangereuses, inhérentes
au développement des techniques. Les siècles passèrent,
les sciences firent lentement reculer les obscurantismes - le combat n’est
certainement pas terminé - tout en apportant des explications plausibles
aux pratiques empiriques. Au XIXe siècle, une nouvelle discipline
s’instaura progressivement dans les pays développés
après avoir vu le jour en Grande-Bretagne : l’hygiène.
Visant la prévention des maladies par l’amélioration
des conditions de vie, elle a naturellement trouvé sa traduction
dans les règles techniques en apportant des améliorations
significatives dans la conception des logements, avec des impacts sur
la qualité de l’air et de l’eau ainsi que sur la maîtrise
de la dissémination des infections.
Les conditions environnementales, cofacteurs
de diffusion des maladies
L’insalubrité des bâtiments est une
notion qui a pris du sens, dès la fin du XIXe siècle, lorsque
le rôle des conditions environnementales a été mieux
perçu en tant que cofacteur de diffusion des maladies. On sait
aujourd’hui que le bâtiment lui-même, les matériaux
et produits qu’il contient, ou les activités qui s’y
déroulent, peuvent être la cause d’impacts indésirables
sur la santé de l’homme. Ces dernières décennies,
une évolution considérable a affecté les produits
et procédés de construction. Si leurs performances d’usage
n’ont cessé de s’améliorer, leur impact sanitaire
potentiel n’a jamais été pris en compte de manière
systématique. Quand on s’en est préoccupé ponctuellement,
ce fut le plus souvent a posteriori, contraint par des circonstances exceptionnelles
et la force des évidences, accumulées souvent d’ailleurs
hors du secteur bâtiment stricto sensu. Par ailleurs, le bâtiment
est à la croisée d’enjeux multiples : sociaux, techniques,
énergétiques, économiques, dans lesquels le volet
sanitaire est souvent sacrifié, certes parfois faute de connaissances
de base, mais aussi en raison de la faiblesse de mécanismes décisionnels.
Si on perçoit mieux aujourd’hui l’impact négatif
sur la qualité de l’air d’une ventilation exagérément
limitée par souci légitime d’économie d’énergie,
ce ne fut pas toujours le cas.
L’étude des relations entre les bâtiments
et la santé s’inscrit dans un ensemble de méthodes
ayant pour objet, d’une manière plus générale,
de s’intéresser aux impacts de l’environnement sur la
santé. Le bâtiment constitue dans cette approche un environnement
particulier, de proximité, un environnement intérieur, en
continuité avec l’environnement extérieur.
Le bâtiment au centre de graves crises
de santé publique
Chimique, physique et biologique, la nature des pollutions
rencontrées est diverse. Le public connaît bien aujourd’hui
les problèmes de l’amiante, du plomb, du radon ou des légionelles
car ils ont malheureusement fait l’actualité récemment.
Ces dossiers mettent le bâtiment au centre de graves crises de santé
publique, tout en posant de manière brutale la question des responsabilités
tant individuelles que collectives.
Cependant, des progrès récents ont été
accomplis dans les outils et les méthodes qui permettent de mieux
évaluer les risques pour la santé de l’homme.
L’Académie des sciences des Etats-Unis a
défini l’évaluation du risque comme étant la
« caractérisation des éventuels effets indésirables
sur l’homme de l’exposition aux contaminants (chimiques) de
l’environnement » en divisant le processus d’évaluation
en quatre étapes. Cette approche a été adoptée
de manière très large dans la communauté scientifique
internationale, tout en trouvant une application pour d’autres facteurs
de risques que pour les seules substances chimiques initialement visées,
notamment dans les textes de l’Union européenne. Cette approche
sert de cadre de référence pour la majeure partie des évaluations
de risques conduites de nos jours par les organismes internationaux. Ces
quatre étapes sont les suivantes :
- Identification des dangers : identification de la capacité inhérente
à un facteur de risque de causer des effets indésirables.
- Etablissement
de la relation dose (concentration)-réponse (effet) : cette relation
exprime la probabilité pour une exposition donnée d’entraîner
un effet sanitaire quantifié dans une population déterminée.
- Caractérisation
de l’exposition : elle consiste en l’évaluation quantitative
et/ou qualitative des caractéristiques du facteur de risque (par
exemple, la concentration, la forme chimique, la durée, etc.) auquel
une population déterminée est exposée. On doit tenir
compte des multiples sources d’exposition (air, eau, sol, alimentation).
- Caractérisation
(estimation) du risque : cette dernière étape constitue
une synthèse critique de l’information et des données
collectées aux étapes précédentes. Elle permet
de résumer les forces et les faiblesses des données de base
utilisées et d’avancer une expression quantifiée de
l’impact, dans une population déterminée, de l’exposition
au facteur de risque.
Une
grande variété de sources de pollution
L’environnement intérieur dans les bâtiments
à usage non industriel est un environnement dynamique, caractérisé
par une grande variabilité des sources de pollution, des types
d’espace intérieur et des conditions climatiques et de ventilation.
Les principales sources de contamination sont – dans un ordre d’importance
qui varie selon les situations – les occupants et leurs activités
(bio-effluents, fumée de tabac, cuisine, bricolage, produits d’entretien…),
les matériaux et produits de construction (ex. revêtements
de mur et de sol, peintures, matériaux d’isolation…),
l’environnement extérieur (polluants de l’air extérieur,
polluants des sols…), les équipements et systèmes du
bâtiment (ex. combustion pour le chauffage, systèmes de ventilation
et d’air conditionné, photocopieurs) ainsi que les désordres
de construction, notamment les pénétrations d’eau.
Les sources qui contribuent à la pollution de l’air intérieur
sont soit des émissions continues (émissions à long
terme avec une activité constante de la source, par exemple les
émissions des matériaux), soit des émissions discontinues
(émissions à court terme avec une activité variable
de la source, par exemple les activités humaines).
Certains composés, bien que provenant de sources
intérieures, sont identiques à ceux que l’on trouve
à l’extérieur. Les appareils de combustion, cuisinières
et fours à gaz ainsi que chauffe-eau et chaudières, dégagent
des agents polluants semblables à ceux que l’on trouve à
l’extérieur (CO ou NOx, par exemple), et qui peuvent augmenter
les ordres de grandeur des concentrations intérieures au-dessus
des niveaux de l’air extérieur – jusqu’à
atteindre des niveaux très élevés.
D’autres agents de contamination sont plus spécifiques
de l’air intérieur, par exemple certains composés organiques
volatils (COV) et semi-volatils (COSV), dont la concentration et la nature
chimique diffèrent de ceux que l’on trouve dans l’air
extérieur. Un grand nombre d’études rapportent des
concentrations intérieures en composés organiques volatils
de deux à vingt fois supérieures aux concentrations extérieures.
De faible poids moléculaire, ces composés volatils à
la température de la pièce, essentiellement des alcanes,
des hydrocarbures aliphatiques et aromatiques, des aldéhydes, des
cétones, des alcools et des esters, sont émis par un certain
nombre de sources : matériaux de construction (résines,
matériaux d’isolation, panneaux de particules, textiles, adhésifs,
calfeutrages, revêtements de sols…), mobilier, tabagisme, produits
ménagers, de bricolage, cosmétiques, agents de nettoyage,
prolifération microbienne et équipements (systèmes
de combustion, photocopieuses, systèmes de ventilation et de conditionnement
de l’air…).
Les émissions de COV par les matériaux
dépendent de la nature du matériau, de la température,
de l’humidité, de la vitesse de renouvellement d’air,
de la vitesse de l’air près de la surface intérieure,
de l’âge du matériau et de son exposition à d’autres
composés.
L’usage ménager de pesticides, insecticides,
herbicides et fongicides (pour les animaux d’intérieur ou
pour la protection des matériaux de construction) combiné
avec une mauvaise ventilation peut générer une exposition
importante. Les pesticides organochlorés persistants dans l’environnement
utilisés dans une maison peuvent ainsi connaître une éventuelle
remise en suspension s’ils sont associés à de fines
particules.
Une
multitude d’agents biologiques dans les maisons
On trouve à l’intérieur des maisons
une multitude d’agents biologiques. Les bio-aérosols ou les
agents de contamination provenant de sources extérieures sont des
micro-organismes (virus, bactéries, champignons…), des toxines
émises par des organismes en cours de développement, des
produits du métabolisme (spores ou fragments de mycélium),
ainsi que des allergènes (acariens et produits de desquamation
des animaux familiers…).
L’humidité joue un rôle fondamental
dans le développement de ces agents de contamination. Partout où
il y a de l’eau ou de l’humidité, il y a développement
microbien. Généralement, les bactéries contaminent
les systèmes d’adduction d’eau, les gaines de vide-ordures
et les actinomycètes, les moisissures et les champignons colonisent
les matériaux et fournitures de construction humides. A partir
des systèmes d’adduction d’eau, l’air peut être
contaminé par les aérosols des systèmes de refroidissement
ou d’humidification ou par les robinets. Les ordres de grandeur de
la concentration des agents biologiques dans l’air intérieur
varient selon la saison, le climat, la température et l’humidité
intérieures, la présence des personnes et des animaux familiers,
les nettoyages à l’aspirateur.
La température, l’humidité, les conditions
d’éclairage, le bruit, les rayonnements électriques
et magnétiques jouent également un rôle dans l’environnement
intérieur.
Le manque de connaissance concernant les expositions
limite fortement l’estimation des risques liés à chaque
facteur de risque. Pour une grande partie des contaminants rencontrés,
il est en effet impossible d’accéder à une estimation
quantitative de leur impact sanitaire sur la population. C’est ce
qui manque cruellement à l’élaboration d’une politique
efficace de gestion des risques. Dans ces conditions en effet, il n’existe
pas de base solide, dans les éléments fournis par l’évaluation
des risques, pour effectuer une gradation, une hiérarchisation
des risques. C’est notamment la raison de la mise en place récente
par les pouvoirs publics d’un Observatoire de la qualité de
l’air intérieur.
L’impact sanitaire des produits de construction
ne fait pas actuellement l’objet d’un examen systématique
au même titre que les critères de durabilité, de résistance
au feu, d’aptitude à l’emploi et à la fonction.
En réponse aux demandes de plus en plus pressantes des consommateurs
et à la préoccupation croissante des autorités sanitaires
de certains pays, plusieurs démarches ont cependant été
engagées en Europe et en Amérique du Nord dans le cadre
de labels ou de dispositifs réglementaires. Ces initiatives tentent
d’intégrer le savoir disponible et évolueront en fonction
des progrès de la recherche scientifique et médicale.
Les règles proposées dans le cadre du document
interprétatif «santé environnement» de la directive
Produits de construction (CEC, 1993), mettent pour leur part clairement
en évidence les besoins réglementaires sur les produits
afin d’aboutir à l’élimination ou à la
limitation des polluants de l’air dans les environnements intérieurs.
La directive définit comme suit, dans son annexe
1, l’exigence essentielle « Hygiène, santé et
environnement » :
« L’ouvrage doit être conçu et
construit de manière à ne pas constituer une menace pour
l’hygiène ou la santé des occupants ou des voisins,
du fait notamment :
-
d’un
dégagement de gaz toxiques,
-
de
la présence dans l’air de particules ou de gaz dangereux,
-
de
l’émission de radiations dangereuses,
-
de
la pollution ou la contamination de l’eau ou du sol,
-
de
défauts d’évacuation des eaux, des fumées ou
des déchets solides ou liquides,
- de
la présence d’humidité dans les parties de l’ouvrage
ou sur les surfaces intérieures de l’ouvrage. »
Les sources nombreuses de contamination des environnements
intérieurs commencent néanmoins à être mieux
connues. Pour les produits et systèmes neufs, les méthodes
de caractérisation deviennent disponibles s’agissant des composés
organiques volatils en particulier. Elles permettent d’envisager
pour ces derniers, à brève échéance, la mise
en place de bases de données sur les émissions de substances
à partir des produits, facilitant la traçabilité
et l’évaluation des risques. En revanche, la connaissance
de l’évolution des sources en relation avec le vieillissement
des constructions reste en grande partie inexplorée.
Deux
axes de lutte contre les risques sanitaires
En conclusion, le combat pour une meilleure qualité
sanitaire des bâtiments doit se conduire sur deux fronts.
Le parc existant : c’est dans celui-ci que
se situent les risques d’aujourd’hui, que les enfants sont exposés
au plomb des peintures anciennes, que l’amiante tapisse les structures,
que l’air des écoles est trop souvent confiné, que
la précarité économique conduit à mal chauffer,
à mal ventiler, que les légionelles se développent,
que la maintenance est souvent déficiente, etc. Le volet sanitaire
doit devenir une composante centrale des politiques de rénovation
du parc bâti. Il doit être intégré aux préoccupations
nouvelles du développement durable. Un effort important doit également
être envisagé en matière d’information et de
sensibilisation des occupants des bâtiments vis-à-vis des
risques qui dépendent d’aspects comportementaux. On citera
ici par exemple les risques liés au tabagisme passif.
Les constructions neuves : elles reposent aujourd’hui,
d’une part sur des produits industrialisés de plus en plus
élaborés, et d’autre part sur des modes de mise en
œuvre qui offrent plus de technicité mais simultanément
conduisent souvent à une perte de « maîtrise globale
» des fonctions, résultant de l’assemblage des différents
composants. Ce dernier point réclame un effort particulier dont
l’ensemble de la filière construction et les entreprises en
particulier ont certainement conscience, car l’ensemble de la qualité
du bâti en dépend, pas seulement l’impact sanitaire.
La question des produits de construction est différente.
Elle doit être traitée dans une optique de meilleure information
des prescripteurs, des utilisateurs et in fine des occupants des bâtiments,
en ce qui concerne leurs caractéristiques sanitaires. La mise en
place de modes appropriés d’information au travers de normes
et de labels est vraisemblablement dès à présent
à rechercher. Mais c’est un domaine pour lequel, dans l’intérêt
général, des exigences réglementaires devront vraisemblablement
se mettre en place dans les années à venir si nous souhaitons
éviter d’installer aujourd’hui dans nos constructions
ce qui pourrait devenir, si nous n’y prenons garde, l’amiante
ou le plomb de demain.
Si le loft moderne offre incontestablement de nombreuses
marques de progrès par rapport à la caverne préhistorique,
ses occupants sont biologiquement restés à peu près
les mêmes. Nous sommes cependant dans nos sociétés
urbaines modernes tous devenus des « lofteurs » appréciant
les canapés profonds, le confortdouillet, voire les meubles scandinaves.
Mais nous devons également savoir gérer les nouveaux risques
– pour certains sombres revers de médaille du progrès
technologique – qui apparaissent dans nos lieux de vie. N’en
doutons pas, contrairement aux apparences, Christophe et Loana sauront
mieux résister aux paparazzi qu’aux allergènes d’acariens,
au formaldéhyde, au plomb ou à l’amiante.
- La division « Santé-Bâtiment » du CSTB s’intéresse aux risques sanitaires dans les constructions. Elle coordonnée la mise en place de l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur et développe l’information sanitaire sur les produits de construction. Elle exerce des activités de recherche, de consultation, d’évaluation et d’appui scientifique et technique aux pouvoirs publics dans le domaine de la qualité sanitaire des bâtiments et des produits de construction.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-1/de-la-caverne-au-loft-les-risques-sanitaires-dans-le-batiment.html?item_id=2402
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