Christian COCHET

Christian Cochet est ingénieur en génie de l’environnement (Esigec) et diplômé de l’Ecole nationale de santé publique. Il est ingénieur en chef au Centre scientifique et technique du bâtiment, responsable de la division « Santé-Bâtiment(1) ».

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De la caverne au loft : les risques sanitaires dans le bâtiment

Entrer dans le bâtiment par la porte des risques sanitaires constitue incontestablement un « biais ». Le bâtiment par essence n’est pas un lieu à risques ou, plus exactement, ne devrait pas être un lieu dans lequel les risques s’expriment mais, au contraire, un espace protecteur qui permet de les tenir à distance.

En effet, parmi les fonctions du bâtiment, celle qui vient en premier est celle de l’abri : contre les excès du chaud ou du froid, contre la pluie, la neige, le vent, les animaux, les autres êtres humains... Ainsi, depuis l’origine de l’homme, se protéger contre les maux et l’épidémie est profondément inscrit dans l’histoire du bâtiment. Les constructions ont de la sorte permis à l’homme de se développer sous les différents climats de la planète et ont joué un rôle majeur dans le progrès humain et dans l’allongement de son espérance de vie.

Cependant, après avoir pénétré dans sa première caverne, installant entre quatre pierres le feu tant convoité mais libérant à pleines volutes le monoxyde de carbone, des particules et des hydrocarbures aromatiques polycycliques, se couchant sur des peaux de bêtes vraisemblablement déjà richement pourvues en acariens et en parasites divers, négligeant l’évacuation de ses déchets, l’homme a dans le même temps connu ses premières expositions aux risques sanitaires domestiques. De même, confiné dans sa grotte, l’homme préhistorique a, tout autant que son descendant ayant bâti maison de pierre ou de bois, respiré du radon, ce gaz radioactif exhalé par les sols granitiques. Mais sa vie était sans doute encore trop courte pour que la maladie prenne le temps de l’affecter. Plus tard, en travaillant les métaux, le cuir, les encres, etc., l’homme « artisan » puis « industriel » a pris contact avec les expositions aux substances dangereuses, inhérentes au développement des techniques. Les siècles passèrent, les sciences firent lentement reculer les obscurantismes - le combat n’est certainement pas terminé - tout en apportant des explications plausibles aux pratiques empiriques. Au XIXe siècle, une nouvelle discipline s’instaura progressivement dans les pays développés après avoir vu le jour en Grande-Bretagne : l’hygiène. Visant la prévention des maladies par l’amélioration des conditions de vie, elle a naturellement trouvé sa traduction dans les règles techniques en apportant des améliorations significatives dans la conception des logements, avec des impacts sur la qualité de l’air et de l’eau ainsi que sur la maîtrise de la dissémination des infections.

Les conditions environnementales, cofacteurs de diffusion des maladies

L’insalubrité des bâtiments est une notion qui a pris du sens, dès la fin du XIXe siècle, lorsque le rôle des conditions environnementales a été mieux perçu en tant que cofacteur de diffusion des maladies. On sait aujourd’hui que le bâtiment lui-même, les matériaux et produits qu’il contient, ou les activités qui s’y déroulent, peuvent être la cause d’impacts indésirables sur la santé de l’homme. Ces dernières décennies, une évolution considérable a affecté les produits et procédés de construction. Si leurs performances d’usage n’ont cessé de s’améliorer, leur impact sanitaire potentiel n’a jamais été pris en compte de manière systématique. Quand on s’en est préoccupé ponctuellement, ce fut le plus souvent a posteriori, contraint par des circonstances exceptionnelles et la force des évidences, accumulées souvent d’ailleurs hors du secteur bâtiment stricto sensu. Par ailleurs, le bâtiment est à la croisée d’enjeux multiples : sociaux, techniques, énergétiques, économiques, dans lesquels le volet sanitaire est souvent sacrifié, certes parfois faute de connaissances de base, mais aussi en raison de la faiblesse de mécanismes décisionnels. Si on perçoit mieux aujourd’hui l’impact négatif sur la qualité de l’air d’une ventilation exagérément limitée par souci légitime d’économie d’énergie, ce ne fut pas toujours le cas.

L’étude des relations entre les bâtiments et la santé s’inscrit dans un ensemble de méthodes ayant pour objet, d’une manière plus générale, de s’intéresser aux impacts de l’environnement sur la santé. Le bâtiment constitue dans cette approche un environnement particulier, de proximité, un environnement intérieur, en continuité avec l’environnement extérieur.

Le bâtiment au centre de graves crises de santé publique

Chimique, physique et biologique, la nature des pollutions rencontrées est diverse. Le public connaît bien aujourd’hui les problèmes de l’amiante, du plomb, du radon ou des légionelles car ils ont malheureusement fait l’actualité récemment. Ces dossiers mettent le bâtiment au centre de graves crises de santé publique, tout en posant de manière brutale la question des responsabilités tant individuelles que collectives.

Cependant, des progrès récents ont été accomplis dans les outils et les méthodes qui permettent de mieux évaluer les risques pour la santé de l’homme.

L’Académie des sciences des Etats-Unis a défini l’évaluation du risque comme étant la « caractérisation des éventuels effets indésirables sur l’homme de l’exposition aux contaminants (chimiques) de l’environnement » en divisant le processus d’évaluation en quatre étapes. Cette approche a été adoptée de manière très large dans la communauté scientifique internationale, tout en trouvant une application pour d’autres facteurs de risques que pour les seules substances chimiques initialement visées, notamment dans les textes de l’Union européenne. Cette approche sert de cadre de référence pour la majeure partie des évaluations de risques conduites de nos jours par les organismes internationaux. Ces quatre étapes sont les suivantes :

  • Identification des dangers : identification de la capacité inhérente à un facteur de risque de causer des effets indésirables.
  • Etablissement de la relation dose (concentration)-réponse (effet) : cette relation exprime la probabilité pour une exposition donnée d’entraîner un effet sanitaire quantifié dans une population déterminée.
  • Caractérisation de l’exposition : elle consiste en l’évaluation quantitative et/ou qualitative des caractéristiques du facteur de risque (par exemple, la concentration, la forme chimique, la durée, etc.) auquel une population déterminée est exposée. On doit tenir compte des multiples sources d’exposition (air, eau, sol, alimentation).
  • Caractérisation (estimation) du risque : cette dernière étape constitue une synthèse critique de l’information et des données collectées aux étapes précédentes. Elle permet de résumer les forces et les faiblesses des données de base utilisées et d’avancer une expression quantifiée de l’impact, dans une population déterminée, de l’exposition au facteur de risque.

Une grande variété de sources de pollution

L’environnement intérieur dans les bâtiments à usage non industriel est un environnement dynamique, caractérisé par une grande variabilité des sources de pollution, des types d’espace intérieur et des conditions climatiques et de ventilation. Les principales sources de contamination sont – dans un ordre d’importance qui varie selon les situations – les occupants et leurs activités (bio-effluents, fumée de tabac, cuisine, bricolage, produits d’entretien…), les matériaux et produits de construction (ex. revêtements de mur et de sol, peintures, matériaux d’isolation…), l’environnement extérieur (polluants de l’air extérieur, polluants des sols…), les équipements et systèmes du bâtiment (ex. combustion pour le chauffage, systèmes de ventilation et d’air conditionné, photocopieurs) ainsi que les désordres de construction, notamment les pénétrations d’eau. Les sources qui contribuent à la pollution de l’air intérieur sont soit des émissions continues (émissions à long terme avec une activité constante de la source, par exemple les émissions des matériaux), soit des émissions discontinues (émissions à court terme avec une activité variable de la source, par exemple les activités humaines).

Certains composés, bien que provenant de sources intérieures, sont identiques à ceux que l’on trouve à l’extérieur. Les appareils de combustion, cuisinières et fours à gaz ainsi que chauffe-eau et chaudières, dégagent des agents polluants semblables à ceux que l’on trouve à l’extérieur (CO ou NOx, par exemple), et qui peuvent augmenter les ordres de grandeur des concentrations intérieures au-dessus des niveaux de l’air extérieur – jusqu’à atteindre des niveaux très élevés.

D’autres agents de contamination sont plus spécifiques de l’air intérieur, par exemple certains composés organiques volatils (COV) et semi-volatils (COSV), dont la concentration et la nature chimique diffèrent de ceux que l’on trouve dans l’air extérieur. Un grand nombre d’études rapportent des concentrations intérieures en composés organiques volatils de deux à vingt fois supérieures aux concentrations extérieures. De faible poids moléculaire, ces composés volatils à la température de la pièce, essentiellement des alcanes, des hydrocarbures aliphatiques et aromatiques, des aldéhydes, des cétones, des alcools et des esters, sont émis par un certain nombre de sources : matériaux de construction (résines, matériaux d’isolation, panneaux de particules, textiles, adhésifs, calfeutrages, revêtements de sols…), mobilier, tabagisme, produits ménagers, de bricolage, cosmétiques, agents de nettoyage, prolifération microbienne et équipements (systèmes de combustion, photocopieuses, systèmes de ventilation et de conditionnement de l’air…).

Les émissions de COV par les matériaux dépendent de la nature du matériau, de la température, de l’humidité, de la vitesse de renouvellement d’air, de la vitesse de l’air près de la surface intérieure, de l’âge du matériau et de son exposition à d’autres composés.

L’usage ménager de pesticides, insecticides, herbicides et fongicides (pour les animaux d’intérieur ou pour la protection des matériaux de construction) combiné avec une mauvaise ventilation peut générer une exposition importante. Les pesticides organochlorés persistants dans l’environnement utilisés dans une maison peuvent ainsi connaître une éventuelle remise en suspension s’ils sont associés à de fines particules.

Une multitude d’agents biologiques dans les maisons

On trouve à l’intérieur des maisons une multitude d’agents biologiques. Les bio-aérosols ou les agents de contamination provenant de sources extérieures sont des micro-organismes (virus, bactéries, champignons…), des toxines émises par des organismes en cours de développement, des produits du métabolisme (spores ou fragments de mycélium), ainsi que des allergènes (acariens et produits de desquamation des animaux familiers…).

L’humidité joue un rôle fondamental dans le développement de ces agents de contamination. Partout où il y a de l’eau ou de l’humidité, il y a développement microbien. Généralement, les bactéries contaminent les systèmes d’adduction d’eau, les gaines de vide-ordures et les actinomycètes, les moisissures et les champignons colonisent les matériaux et fournitures de construction humides. A partir des systèmes d’adduction d’eau, l’air peut être contaminé par les aérosols des systèmes de refroidissement ou d’humidification ou par les robinets. Les ordres de grandeur de la concentration des agents biologiques dans l’air intérieur varient selon la saison, le climat, la température et l’humidité intérieures, la présence des personnes et des animaux familiers, les nettoyages à l’aspirateur.

La température, l’humidité, les conditions d’éclairage, le bruit, les rayonnements électriques et magnétiques jouent également un rôle dans l’environnement intérieur.

Le manque de connaissance concernant les expositions limite fortement l’estimation des risques liés à chaque facteur de risque. Pour une grande partie des contaminants rencontrés, il est en effet impossible d’accéder à une estimation quantitative de leur impact sanitaire sur la population. C’est ce qui manque cruellement à l’élaboration d’une politique efficace de gestion des risques. Dans ces conditions en effet, il n’existe pas de base solide, dans les éléments fournis par l’évaluation des risques, pour effectuer une gradation, une hiérarchisation des risques. C’est notamment la raison de la mise en place récente par les pouvoirs publics d’un Observatoire de la qualité de l’air intérieur.

L’impact sanitaire des produits de construction ne fait pas actuellement l’objet d’un examen systématique au même titre que les critères de durabilité, de résistance au feu, d’aptitude à l’emploi et à la fonction. En réponse aux demandes de plus en plus pressantes des consommateurs et à la préoccupation croissante des autorités sanitaires de certains pays, plusieurs démarches ont cependant été engagées en Europe et en Amérique du Nord dans le cadre de labels ou de dispositifs réglementaires. Ces initiatives tentent d’intégrer le savoir disponible et évolueront en fonction des progrès de la recherche scientifique et médicale.

Les règles proposées dans le cadre du document interprétatif «santé environnement» de la directive Produits de construction (CEC, 1993), mettent pour leur part clairement en évidence les besoins réglementaires sur les produits afin d’aboutir à l’élimination ou à la limitation des polluants de l’air dans les environnements intérieurs.

La directive définit comme suit, dans son annexe 1, l’exigence essentielle « Hygiène, santé et environnement » :

« L’ouvrage doit être conçu et construit de manière à ne pas constituer une menace pour l’hygiène ou la santé des occupants ou des voisins, du fait notamment :

  • d’un dégagement de gaz toxiques,
  • de la présence dans l’air de particules ou de gaz dangereux,
  • de l’émission de radiations dangereuses,
  • de la pollution ou la contamination de l’eau ou du sol,
  • de défauts d’évacuation des eaux, des fumées ou des déchets solides ou liquides,
  • de la présence d’humidité dans les parties de l’ouvrage ou sur les surfaces intérieures de l’ouvrage. »

Les sources nombreuses de contamination des environnements intérieurs commencent néanmoins à être mieux connues. Pour les produits et systèmes neufs, les méthodes de caractérisation deviennent disponibles s’agissant des composés organiques volatils en particulier. Elles permettent d’envisager pour ces derniers, à brève échéance, la mise en place de bases de données sur les émissions de substances à partir des produits, facilitant la traçabilité et l’évaluation des risques. En revanche, la connaissance de l’évolution des sources en relation avec le vieillissement des constructions reste en grande partie inexplorée.

Deux axes de lutte contre les risques sanitaires

En conclusion, le combat pour une meilleure qualité sanitaire des bâtiments doit se conduire sur deux fronts.

Le parc existant : c’est dans celui-ci que se situent les risques d’aujourd’hui, que les enfants sont exposés au plomb des peintures anciennes, que l’amiante tapisse les structures, que l’air des écoles est trop souvent confiné, que la précarité économique conduit à mal chauffer, à mal ventiler, que les légionelles se développent, que la maintenance est souvent déficiente, etc. Le volet sanitaire doit devenir une composante centrale des politiques de rénovation du parc bâti. Il doit être intégré aux préoccupations nouvelles du développement durable. Un effort important doit également être envisagé en matière d’information et de sensibilisation des occupants des bâtiments vis-à-vis des risques qui dépendent d’aspects comportementaux. On citera ici par exemple les risques liés au tabagisme passif.

Les constructions neuves : elles reposent aujourd’hui, d’une part sur des produits industrialisés de plus en plus élaborés, et d’autre part sur des modes de mise en œuvre qui offrent plus de technicité mais simultanément conduisent souvent à une perte de « maîtrise globale » des fonctions, résultant de l’assemblage des différents composants. Ce dernier point réclame un effort particulier dont l’ensemble de la filière construction et les entreprises en particulier ont certainement conscience, car l’ensemble de la qualité du bâti en dépend, pas seulement l’impact sanitaire.

La question des produits de construction est différente. Elle doit être traitée dans une optique de meilleure information des prescripteurs, des utilisateurs et in fine des occupants des bâtiments, en ce qui concerne leurs caractéristiques sanitaires. La mise en place de modes appropriés d’information au travers de normes et de labels est vraisemblablement dès à présent à rechercher. Mais c’est un domaine pour lequel, dans l’intérêt général, des exigences réglementaires devront vraisemblablement se mettre en place dans les années à venir si nous souhaitons éviter d’installer aujourd’hui dans nos constructions ce qui pourrait devenir, si nous n’y prenons garde, l’amiante ou le plomb de demain.

Si le loft moderne offre incontestablement de nombreuses marques de progrès par rapport à la caverne préhistorique, ses occupants sont biologiquement restés à peu près les mêmes. Nous sommes cependant dans nos sociétés urbaines modernes tous devenus des « lofteurs » appréciant les canapés profonds, le confortdouillet, voire les meubles scandinaves. Mais nous devons également savoir gérer les nouveaux risques – pour certains sombres revers de médaille du progrès technologique – qui apparaissent dans nos lieux de vie. N’en doutons pas, contrairement aux apparences, Christophe et Loana sauront mieux résister aux paparazzi qu’aux allergènes d’acariens, au formaldéhyde, au plomb ou à l’amiante.

  1. La division « Santé-Bâtiment » du CSTB s’intéresse aux risques sanitaires dans les constructions. Elle coordonnée la mise en place de l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur et développe l’information sanitaire sur les produits de construction. Elle exerce des activités de recherche, de consultation, d’évaluation et d’appui scientifique et technique aux pouvoirs publics dans le domaine de la qualité sanitaire des bâtiments et des produits de construction.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-1/de-la-caverne-au-loft-les-risques-sanitaires-dans-le-batiment.html?item_id=2402
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