Fabien Squinazi est médecin biologiste, directeur du Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris (LHVP) et chef du Service municipal d’actions de salubrité et d’hygiène de la mairie de Paris (Smash). Le LHVP étudie les expositions aux pollutions et contaminations de l’environnement urbain (environnement extérieur, habitat, environnements professionnels, établissements de garde et d’éducation des enfants, établissements de santé, établissements recevant du public, moyens de transport).
La réglementation ne supprime pas les dangers
Le citadin passe près de 90 % du temps à
l’intérieur de bâtiments (locaux de travail, écoles,
crèches, domicile, locaux de loisirs, moyens de transport…).
Alors que le bâtiment représente un symbole fort de protection
et de refuge, les préoccupations de santé et de sécurité
dans les édifices ont pris une grande place depuis quelques années
pour leurs occupants et utilisateurs mais aussi pour les professionnels
de la construction et de la maintenance, et les pouvoirs publics. Plusieurs
textes réglementaires ont été publiés ces
dernières années pour interdire des produits de construction,
renforcer la protection des travailleurs et protéger les usagers
des bâtiments.
Les polluants et contaminants du bâtiment sont
de nature chimique, physique ou biologique. On distingue les aller-gènes,
les biocontaminants, les gaz (oxydes d’azote, monoxyde de carbone,
dioxyde de carbone, ozone, composés organiques volatils, radon…),
les biocides, les fibres et particules, le plomb. Leurs sources sont multiples
: l’air extérieur, les matériaux de construction, d’aménagement
et de décoration, les appareils à combustion, les systèmes
de chauffage, de ventilation et de climatisation, les activités
humaines (vapeur d’eau, tabagisme, produits domestiques, d’entretien
et de bricolage…).
L’impact de ces divers facteurs sur la santé
des usagers du bâtiment peut se présenter sous deux formes
cliniques :
- Des maladies spécifiques dont la cause peut être clairement
identifiée (plomb, amiante, légionellose, allergène…).
Elles se manifestent par des signes cliniques précis et/ou des
résultats de tests ou d’examens de laboratoire sans équivoque.
- Un
ensemble de symptômes non spécifiques (oculaires, respiratoires,
cutanés, maux de tête, difficultés de concentration…),
d’origine souvent multifactorielle. Ces symptômes, regroupés
sous le terme de sick building syndrome, ou « syndrome des bâtiments
malsains », disparaissent lorsque l’usager quitte le bâtiment
et ne correspondent pas à des critères cliniques de nature
infectieuse, allergique ou toxique.
Les facteurs de risque soumis à des textes
réglementaires
Le monoxyde de carbone
L’intoxication domestique par le CO constitue la
première cause de mortalité par toxicité aiguë
en France (300 décès par an). L’intoxication légère
ou modérée (maux de tête, vertiges, nausées,
vomissements) est difficile à diagnostiquer. Le CO est produit
lorsque la combustion est incomplète, quel que soit le combustible
(charbon, bois, gaz, fioul, essence…). Sa présence est liée
à un manque d’aération ou à un mauvais entretien
des appareils à combustion (chauffe-bain, poêles, chaudières…).
Ces appareils sont soumis à l’arrêté
du 2 août 1997 relatif aux règles techniques et de sécurité
applicables aux installations de gaz combustible et d’hydrocarbures
liquéfiés situées à l’intérieur
des bâtiments d’habitation ou de leurs dépendances.
L’amiante
L’amiante est une roche fibreuse qui a beaucoup
servi dans la construction entre 1950 et 1980 pour ses diverses propriétés
: solidité, résistance aux hautes températures et
à la plupart des agents chimiques, isolation thermique et phonique.
Les matériaux contenant de l’amiante libèrent des fibres
microscopiques lorsqu’ils sont sciés, découpés,
percés ou poncés ou lorsqu’ils se dégradent.
L’inhalation de fibres d’amiante peut entraîner des insuffisances
respiratoires mais surtout induire un risque de cancer du poumon, de la
plèvre et du péritoine. En milieu professionnel, le risque
sanitaire est directement lié aux quantités souvent importantes
de fibres inhalées. Dans les bâtiments où l’exposition
est faible, le risque est plus difficile à apprécier.
La fabrication, l’importation et la mise en vente
de produits contenant de l’amiante, notamment l’amiante-ciment,
ont été interdits par le décret n° 96-1133 du
2 décembre 1996. Tous les immeubles bâtis construits avant
le 1er juillet 1997 doivent avoir fait l’objet d’une recherche
d’amiante par un contrôleur technique ou un technicien de la
construction, dans les flocages, calorifugeages, faux-plafonds, toitures,
joints et dalles de sol en plastique (décret n° 2001-840 du
13 septembre 2001 relatif à la protection de la population et des
travailleurs contre les risques sanitaires liés à une exposition
à l’amiante). Les analyses de matériaux et produits
sont réalisées par un organisme accrédité.
Les propriétaires doivent constituer et tenir à jour un
dossier technique « amiante », à la disposition des
occupants de l’immeuble, des services de santé et de toute
personne effectuant des travaux dans l’immeuble.
Si les matériaux contenant de l’amiante ne
sont pas dégradés, on procède tous les trois ans
à un contrôle de leur état de conservation. Si un
début de dégradation est constaté, on pratique des
analyses d’air. Si le niveau d’empoussièrement est supérieur
à cinq fibres par litre, les propriétaires procèdent
à des travaux de confinement (encapsulage par revêtement,
imprégnation, encoffrement) ou de retrait de l’amiante. L’organisation
du chantier par des entreprises qualifiées est soumise à
des contraintes d’hygiène et de sécurité spécifiques.
Un contrôle périodique des travaux de confinement est obligatoire.
Le plomb
Les canalisations en plomb des réseaux publics,
branchements et réseaux intérieurs d’immeubles dégradent
la qualité de l’eau distribuée qui peut présenter
un risque pour la santé des consommateurs. Leur emploi est interdit
par le décret n° 95-363 du 7 avril 1995. La céruse,
ou hydrocarbonate de plomb, a été utilisée jusqu’au
milieu du XXe siècle dans la fabrication des peintures et enduits
pour une bonne protection des supports et une bonne tenue des peintures.
Son accessibilité obtenue par une dégradation des revêtements
ou une rénovation mal réalisée conduit à une
intoxication des habitants et des travailleurs à la suite d’inhalation
ou d’ingestion de poussières. Elle provoque des troubles réversibles,
comme une anémie ou des symptômes digestifs, ou irréversibles
par atteinte du système nerveux.
La directive européenne n° 98-83 du 3 novembre
1998 demande d’abaisser la valeur limite de plomb dans l’eau
à 25 µg par litre à fin 2003, puis à 10 µg
par litre à fin 2013. Afin de respecter cette dernière valeur,
les propriétaires devront assumer le remplacement ou le chemisage
des raccords et canalisations contenant du plomb. Chaque matin ou après
une absence de quelques heures, il est recommandé de faire couler
l’eau quelques minutes avant de la consommer.
Le préfet du département peut déclencher
des mesures d’urgence dans un immeuble lorsqu’il est informé
qu’un enfant est intoxiqué par le plomb (maladie à
déclaration obligatoire selon le décret) ou si un risque
d’accessibilité au plomb pour les occupants lui est signalé
(loi n° 98-567 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre
les exclusions ; articles L32-1 à L32-5 du code de la santé
publique). Ces mesures comportent : d'abord un diagnostic, réalisé
par ses services ou par un opérateur, sur l’ensemble des logements
et parties communes, suivi éventuellement d’une notification
aux propriétaires de travaux d’urgence ou palliatifs, qui
consistent à recouvrir les surfaces dégradées et/ou
à remplacer certains éléments dégradés,
et d’un contrôle après travaux.
Dans les zones à risque d’exposition au plomb,
délimitées par le préfet du département, tout
vendeur d’un logement construit avant 1948 doit annexer à
la promesse de vente et à l’acte de vente un état des
risques d’accessibilité au plomb, réalisé par
un contrôleur technique ou un technicien de la construction. Ce
document, daté de moins d’un an, fait le bilan de toutes les
peintures et enduits contenant du plomb et décrit leur état
de conservation. Cette expertise peut aussi être effectuée
lorsque des travaux d’entretien ou de rénovation sont entrepris
dans un immeuble ancien.
Lors des travaux, des mesures doivent être prises
pour limiter au maximum la production et la propagation des poussières
et traiter les déchets : protection de l’environnement immédiat
par des films de polyane, organisation du travail (circulation des intervenants,
évacuation des poussières, finition dans la même journée
de chaque ouvrage entamé), rangement du matériel, protection
et hygiène du personnel, nettoyage humide de la zone de chantier,
éloignement des enfants durant le chantier.
La légionelle
La légionelle est une bactérie des eaux
naturelles (lacs et rivières), qui a la capacité de coloniser
les réseaux intérieurs de distribution et les équipements
en présence d’une température de l’eau comprise
entre 25 et 45 °C, de dépôts de tartre et de corrosion
et d’une stagnation de l’eau. Lors d’une production d’aérosols,
l’inhalation de micro-gouttelettes d’eau contaminée par
une souche pathogène (le plus souvent legionella pneumophila) provoque
une infection pulmonaire, la légionellose. Les aérosols
sont produits par les pommes de douche, les tours aéro-réfrigérantes
associées aux systèmes de climatisation, les bains bouillonnants,
les nébuliseurs et humidificateurs d’appareils respiratoires.
Le risque de légionellose pour la population générale
est faible lorsque la concentration de légionelles est inférieure
à 1 000 unités par litre d’eau.
La légionellose est une maladie à déclaration
obligatoire (décret n° 87-1012 du 11 décembre 1987).
Le renforcement de la surveillance en France a contribué à
une augmentation brusque depuis 1997 des cas de légionellose déclarés
(610 cas en 2000, soit une incidence d’un cas pour 100 000 habitants
et 92 décès, soit une mortalité de 15 % des personnes
atteintes).
La circulaire DGS n° 98-771 du 31 décembre
1998 demande aux gestionnaires d’établissements recevant du
public (hôtels, maisons de retraite non médicalisées,
centres d’hébergement, complexes sportifs, campings, bains
à remous et bains à jets…) de faire un inventaire des
installations à risque, d’assurer le bon entretien des installations
et d’évaluer la qualité de l’entretien au moins
une fois par an par des analyses de légionelles.
Le Conseil supérieur d’hygiène publique
de France a établi, en 2001, des recommandations pour la conception
et la maintenance des réseaux intérieurs de distribution
d’eau dans tout type de bâtiment afin de limiter le développement
des légionelles. La gestion de l’eau, consignée dans
un carnet sanitaire, comprend trois niveaux d’intervention.
- Maîtriser
la température de l’eau à la production et dans les
circuits de distribution : élever quotidiennement la température
du ballon au-delà de 60 °C et délivrer l’eau à
une température supérieure à 55 °C, maintenir
l’eau dans les circuits à une température supérieure
à 50 °C et mitiger l’eau chaude au plus près du
point de puisage (< 50 °C).
- Lutter
contre l’entartrage et la corrosion : choix des matériaux
constitutifs des canalisations, vidange des ballons toutes les semaines,
nettoyage, détartrage et désinfection au moins une fois
par an, détartrage et désinfection des appareils de robinetterie
ou remplacement si usagés ou en mauvais état, compatibilité
des matériaux constitutifs des installations avec les produits
de nettoyage et de désinfection utilisables à visée
préventive et curative.
- Eviter
la stagnation et assurer la bonne circulation de l’eau : identifier
par un diagnostic technique sanitaire les bras morts et repérer
les canalisations en mauvais état, supprimer les points d’eau
très peu ou jamais utilisés et purger régulièrement
les points d’eau des locaux inoccupés.
Le suivi de la température dans le réseau
et les analyses de légionelles en différents points du réseau
(fond du ballon, sortie du ballon, retour de boucle, points d’usage
défavorisés et représentatifs) témoignent
de la maîtrise de la contamination. Lorsque la concentration en
legionella pneumophila dépasse 100 000 unités par litre
d’eau, des actions correctives (nettoyage et désinfection
curative) doivent être mises en œuvre pour supprimer l’exposition
L’arrêté préfectoral sur les
tours aéro-réfrigérantes pris dans chaque département
à la suite de la circulaire du 23 avril 1999 du ministère
de l’Environnement soumet à plusieurs prescriptions les installations
de réfrigération ou de compression relevant de la nomenclature
des installations classées (rubrique 2920) et disposant d’un
système de refroidissement dont l’évacuation de la
chaleur vers l’extérieur se fait par pulvérisation
d’eau dans un flux d’air.
L’arrêté fournit des obligations en
matière de conception et d’implantation des tours aéro-réfrigérantes,
d’entretien et de maintenance, d’équipements de protection
pour le personnel et de tenue d’un livret d’entretien. L’exploitant
doit mettre en œuvre les mesures nécessaires pour que la concentration
en légionelles dans les circuits d’eau soit inférieure
à 1 000 unités par litre d’eau. Si cette concentration
est égale ou supérieure à 100 000 unités par
litre, l’exploitant doit arrêter l’installation pour vidange
et nettoyage et informer la DDASS et l’inspection des installations
classées.
Les
autres facteurs de risque
La recherche d’économies d’énergie
issue de la crise des années quatre-vingt et les contraintes du
milieu urbain ont conduit à une étanchéité
des bâtiments, une ventilation insuffisante, une présence
d’humidité et une augmentation des polluants de l’air
intérieur.
- Composés
organiques volatils (COV) qui proviennent des matériaux de construction
et de décoration, produits domestiques, appareils de chauffage
et cuisinières à gaz, fumée de cigarette… De
l’ordre de 50 à 300 COV sont présents à l’intérieur
des bâtiments à des concentrations variables dans le temps
et très souvent supérieures (deux à dix fois) à
celles de l’air extérieur. Ils sont responsables de nuisances
olfactives, d’irritations de la peau et des muqueuses, de potentialisation
des allergies respiratoires et de l’asthme, d’atteintes du système
nerveux ou de troubles de la fonction respiratoire. Quelques-uns sont
cancérogènes chez l’homme, comme le benzène
ou le chlorure de vinyle monomère, ou peuvent porter atteinte à
la fonction de reproduction. Les recommandations de l’Organisation
mondiale de la santé définissant des concentrations maximales
admissibles associées à des durées d’exposition
pour l’air intérieur portent seulement sur une dizaine de
composés.
- Allergènes
d’acariens présents dans les textiles (matelas, literie, oreillers,
peluches, fauteuils, canapés, tapis, moquettes), allergènes
des animaux domestiques présents dans les revêtements textiles
et l’ameublement, allergènes des blattes et des moisissures,
qui se développent sur les parois humides. Ils sont responsables
de rhinite, de conjonctivite ou d’asthme.
- Particules
inertes et viables (bactéries, virus, champignons microscopiques)
présentes dans l’air ambiant et sur les surfaces. Elles sont
responsables d’infections ou de troubles respiratoires.
Dans le domaine des relations bâtiment-santé,
l’exposition des individus aux facteurs de risque se caractérise
par des doses faibles et des durées d’exposition longues associées
à de multiples facteurs confondants (tabagisme, mode de vie, précarité…).
Les conditions d’exposition des populations dans les différents
environnements intérieurs fréquentés sont encore
peu connues et constituent le maillon faible pour une évaluation
des risques. Les connaissances scientifiques nécessitent d’être
approfondies car les incertitudes sont encore nombreuses. Les travaux
de l’Observatoire de l’air intérieur, récemment
créé, devraient pallier en partie ces difficultés.
Des textes réglementaires ou de recommandations
ont été publiés ces dernières années
en France pour lutter contre l’exposition à des facteurs de
risque bien identifiés, responsables de maladies le plus souvent
graves (CO, amiante, plomb, légionelles…). Pour d’autres
facteurs, liés plus particulièrement au comportement des
usagers du bâtiment (humidité, ventilation, allergènes,
biocontaminants, entretien des installations…), le diagnostic environnemental
et les conseils en environnement intérieur, qui commencent à
se développer dans notre pays, devraient limiter les expositions.
Il n’en demeure pas moins que les produits de construction
et de décoration, qui ont une incidence directe sur la qualité
de l’air intérieur par leurs émissions de composés
organiques volatils, restent le parent pauvre de la lutte contre la pollution
intérieure, par manque de connaissances toxicologiques et épidémiologiques.
L’absence de spécifications techniques harmonisées
ne permet pas à l’heure actuelle d’optimiser la conception
et les processus de fabrication des produits ainsi que les conditions
de leur mise en œuvre et de leur maintenance.
- Le LHVP étudie les expositions aux pollutions et contaminations de l’environnement urbain (environnement extérieur, habitats, environnements professionnels, établissements de garde et d’éducation des enfants, établissements de santé, établissements recevant du public, moyens de transport). Il participe à l’évaluation des risques sanitaires pour une meilleure maîtrise de la qualité de l’environnement et la protection de la santé des Parisiens. Le Smash intervient, par des actions préventives et curatives, dans la lutte contre les insectes et les rongeurs, mène des actions de désinfection et collecte les seringues usagées sur la voie publique
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