Frédéric de Blay est professeur de pneumologie au Centre hospitalier régional universitaire de Strasbourg, président de la Société française d’aérobiologie, membre du groupe de travail permanent Habitat et Santé du Conseil supérieur d’hygiène publique de France et expert en environnement auprès du Parlement européen.
Maladies respiratoires : un maître mot, ventiler le bâtiment
Dans cet entretien, le professeur Frédéric
de Blay met en avant quelques règles simples de ventilation des
bâtiments permettant de limiter les pathologies respiratoires et
appelle les industriels à plus de transparence sur la composition
de leurs matériaux.
Quelles sont les maladies respiratoires qui vous
semblent liées au bâtiment ?
Frédéric de Blay : Parmi les maladies
respiratoires liées au bâtiment figurent d’abord les
maladies allergiques, en premier lieu les asthmes. L’asthme allergique
est une maladie très répandue : on estime par exemple que
12 % des adolescents de treize-quatorze ans ont de l’asthme qui,
dans 80 % des cas, est allergique. Or, 80 % des asthmes allergiques de
l’enfant et 50 % de ceux de l’adulte sont dus aux acariens.
C’est beaucoup !
En ce domaine, il est à noter que la France, comme
l’Allemagne et la Suisse, est un pays de moyenne prévalence
de cette maladie. En Grande-Bretagne, 30 % des jeunes sont touchés
alors qu’en Scandinavie ou en Espagne, les taux sont nettement plus
faibles que dans l’Hexagone, l’Albanie étant le pays
le moins touché d’Europe avec 3 % d’asthmatiques. On
peut donc établir une véritable cartographie de l’asthme
en Europe – et dans une moindre mesure, sur d’autres continents
– et l’on voit bien qu’il y a une corrélation avec
le mode de vie occidental que l’on n’est toutefois pas encore
en mesure d’expliquer. Il en va de même pour les rhinites allergiques
et les eczémas.
Ces pathologies sont-elles en augmentation en
France ?
Oui, l’asthme a doublé depuis une vingtaine
d’années dans les pays développés. C’est
aujourd’hui la première maladie clinique de l’enfant
et de l’adulte jeune. Une étude menée en 1976 dans
le Bas-Rhin auprès de 13 000 adolescents montrait que 4,6 % d’entre
eux déclaraient alors être asthmatiques. En 1994, ce taux
était passé à 10,8 %… On ne peut pas dire pour
autant que l’habitat est responsable de cette progression.
Pourquoi le bâtiment a-t-il une responsabilité
dans ces asthmes allergiques ?
Les acariens ont besoin de chaleur, d’humidité
et de nourriture pour se développer. Dans des logements fermés,
on crée de vraies « cocotte-minute » : l’air froid
n’entre plus car la ventilation est souvent mauvaise et l’isolation
par des doubles vitrages, pourtant indispensable, déplace les condensations
superficielles vers les parties opaques de l’enveloppe, pouvant créer
des moisissures favorisant probablement les acariens. En ce qui concerne
les moisissures, leur impact est encore mal connu mais il existe clairement
un lien entre humidité et maladies respiratoires. La DASS de Strasbourg
a ainsi observé que deux tiers des habitants des logements pour
lesquels était instruite une demande de certificat d’insalubrité
souffraient de problèmes respiratoires…
On observe aussi des allergies dans lesquelles le bâtiment
a un rôle ; il s’agit notamment des allergies aux chats, aux
chiens et aux cafards. Dans les logements faiblement ventilés,
d’où les chats ne sortent quasiment plus, les concentrations
d’allergènes de chat restent longtemps dans l’air et
sont donc plus dangereuses pour les personnes allergiques. Dans les quartiers
défavorisés, en habitat collectif, les cafards, dont l’existence
est favorisée par les vide-ordures ou de mauvaises habitudes d’hygiène,
constituent également un facteur d’aggravation du risque d’asthme
allergique chez l’enfant.
Il y a encore d’autres facteurs d’allergies,
en particulier des polluants chimiques, à commencer par le tabac.
Les études montrent que les enfants dont la mère fume ont
plus de chance d’avoir de l’asthme après six ans et souffrent
plus souvent de rhino-pharyngites que les autres. Le risque de cancer
est même accru de 20 % pour les personnes qui sont victimes du tabagisme
passif. Le NO2, que sont susceptibles de dégager des cuisinières
ou des poêles au fioul, constitue également un facteur d’aggravation
des allergies chez les sujets à risque. Enfin, le formol (mousses
d’urée formol, meubles en aggloméré…) aurait
également un effet allergique pour les gens sensibles.
Y a-t-il des risques spécifiques aux lieux
professionnels ?
L’Observatoire des asthmes professionnels a mis
en évidence que les personnes qui sont exposées à
la farine, aux animaux de laboratoire et aux isocyanates étaient
plus sujettes à risques, de même que celles qui exercent
des fonctions de nettoyage. En revanche, on décèle peu d’acariens
dans les moquettes des bureaux.
Quelles règles simples préconisez-vous
?
Il y a d’abord des endroits où l’on
ne devrait pas construire, par exemple sur les terrains d’anciennes
usines de traitement des eaux. Ensuite, il faut veiller à recourir
à un mode de construction qui ne favorise pas la filtration ascendante
dans les murs et prévoir un bon vide sanitaire et un drainage efficace.
Il faut éviter les phénomènes de micro-atmosphères
de condensation, par exemple les ponts thermiques au niveau des planchers,
car acariens et moisissures se développent alors plus facilement.
Il faut aussi absolument améliorer la qualité et l’efficacité
de la ventilation mécanique contrôlée (VMC).
Il manque sans doute dans les marchés un lot «
ventilation ». Le mot-clé pour lutter contre les allergies
respiratoires, c’est la ventilation du bâtiment car plus vous
êtes dans un lieu où la ventilation est mauvaise, plus le
risque d’allergie est important.
Il est clair que le comportement des usagers doit également
prendre en compte ces problèmes. Il vaudrait mieux qu’ils
évitent de colmater les bouches d’aération des fenêtres,
de faire sécher le linge à l’intérieur des maisons,
d’accepter des salles de bains sans fenêtre ni aération
suffisante, ou même d’avoir un animal à domicile si
un membre de la famille est allergique ; idem pour le tabac…
Les architectes vous semblent-ils sensibilisés
?
Nous avons mené une enquête auprès
de 120 architectes du Bas-Rhin, à laquelle la moitié d’entre
eux ont répondu. J’ai été surpris de constater
qu’ils connaissent très bien les allergies. 50 % des architectes
affirment qu’un de leurs clients sur quatre est intéressé
par les problèmes de santé liés au bâtiment.
De même, ils sont assez soucieux de la qualité
sanitaire des matériaux qu’ils prescrivent : 90 % des architectes
veulent savoir s’ils ont un caractère nocif. Or, en France,
on connaît mal la composition des produits qui sont mis en œuvre
dans le bâtiment. Les « fiches de transparence » se
font attendre. Les industriels auraient intérêt à
s’en préoccuper car les fournisseurs du nord et de l’est
de l’Europe, eux, s’en soucient.
A long terme, obtenir des données plus précises
sur les matériaux me semble donc un objectif essentiel pour l’amélioration
de la qualité sanitaire des bâtiments.
Il faudrait également faciliter et stimuler chez
les maîtres d’ouvrage publics et privés la création
d’un habitat plus sain avec un contrôle de la qualité
sanitaire, comme aux Pays-Bas. Je suis en effet persuadé que les
gens qui vont accéder à la propriété voudront
de plus en plus des maisons où ils ne sont pas malades ou des classes
où leurs enfants ne sont pas malades. Nous allons également
devoir poursuivre les mesures des polluants chimiques et l’étude
de leurs effets, sans pour autant tirer la sonnette d’alarme trop
tôt.
Des conseillers médicaux en environnement
Créés en 1991, à l’initiative du service
de pneumologie du Centre hospitalier régional universitaire
de Strasbourg, les conseillers médicaux en environnement
sont maintenant une vingtaine en France. Un diplôme universitaire,
proposé également à Strasbourg, les prépare
à ce nouveau métier.
Leur mission ? Proposer une approche globale de l’environnement
après avoir été au domicile des patients afin
d’y mesurer les taux d’allergènes mais aussi leur
donner des conseils adaptés à leur domicile et à
leurs habitudes socioculturelles.
Ces conseillers n’interviennent toutefois que sur demande médicale.
D’où la nécessité de former les médecins
généralistes aux pathologies liées à
l’environnement…
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