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Jean-Marie PETITCLERC

Jean-Marie Petitclerc est ingénieur diplômé de l’Ecole polytechnique, titulaire du diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé et d’une maîtrise en sciences de l’éducation.

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Délinquance juvénile et insécurité urbaine : priorité à l'éducatif

L’augmentation de la délinquance en France est aujourd’hui un vif sujet d’inquiétude. Depuis la fin des années quatre-vingt, nous assistons à un accroissement considérable de ce que nous pourrions qualifier de « délinquance de proximité » : destructions et dégradations de biens, vols de véhicules et dans les véhicules, vols simples ou commis avec violence, ainsi que coups et blessures volontaires, dont le poids a pratiquement doublé depuis dix ans. Or ce qui apparaît clairement aujourd’hui, c’est que de tels actes de délinquance sont commis de manière privilégiée par les mineurs, qui sont responsables de près de 50 % des vols commis avec violence. Et c’est justement ce type de délinquance qui constitue la source principale du sentiment d’insécurité.

Alors que le dérapage date des années quatre-vingt, avec une forte augmentation depuis le début des années quatre-vingt-dix, les politiques de tous bords, tant par absence de diagnostic réaliste que par aveuglement idéologique, ont constamment cherché à minimiser le problème.

Ils ont d’abord pensé que le sentiment d’insécurité était plus fondé sur une peur collective que sur une réalité étayée. Ils considéraient alors qu’une bonne politique de communication, avec des chiffres comptabilisés de manière minimaliste, pourrait permettre de renverser le phénomène.

D’autres étaient persuadés qu’une approche sociale du phénomène, accompagnée de programmes préventifs, permettrait de venir à bout du problème. L’erreur de pensée a consisté à croire que seule la prévention pourrait être la solution à la délinquance. C’est un contresens ! Certes, tout doit concourir à la prévention, mais celle-ci est faite pour éviter la délinquance, qui, si elle surgit, nécessite de réagir.

Un tel contresens est à la source du paradoxe de la situation française. On n’a guère, en effet, réfléchi sur l’affinement des modes de réaction, puisque l’on croyait avoir la solution : la prévention. Et cette absence de réaction a provoqué un effet « spirale », qui met à mal toute la politique de prévention.

L’urgence consiste aujourd’hui à réagir de manière pertinente et cohérente aux questions posées par les actes de délinquance commis par les enfants et les adolescents. Certes, réagir ainsi suppose au préalable de développer un effort de compréhension des raisons qui conditionnent l’acte. Mais il faut savoir aujourd’hui dénoncer avec force les effets pervers du discours médiatique, selon lequel la délinquance juvénile serait uniquement suscitée par des conditions extérieures agressogènes, dont la société est responsable.

Sortir des fausses pistes

En effet, un tel discours, sans doute valide sur un plan sociologique, est désastreux sur un plan pédagogique. Car il ôte toute part de responsabilité personnelle à l’enfant ou à l’adolescent. Lorsque ce dernier s’approprie un tel discours, il est totalement déresponsabilisé.

Ainsi, on a d’abord cru que le problème numéro un des quartiers sensibles résidait dans l’urbanisme. On a alors placé la priorité sur le bâti, dépensant des sommes considérables dans des opérations de réhabilitation, sans aucune incidence sur le climat social.

On a alors cru que tout venait du chômage. Mais, ô paradoxe, jamais les chiffres du chômage n’ont été aussi bas depuis dix ans, et ceux de l’insécurité aussi mauvais !

Le véritable défi à relever dans notre société d’aujourd’hui est d’ordre éducatif. Une importante cause des difficultés des enfants et des adolescents provient du fait qu’ils circulent tous les jours dans trois lieux : la famille, l’école, la rue. Dans chacun de ces lieux, des adultes font référence : les parents, au sein de la famille, les enseignants, les aînés. On sait en effet la forte influence exercée sur les plus jeunes par les grands dans les quartiers.

Retrouver de la cohérence

Or on voit aujourd’hui ces différentes catégories d’adultes, appelées à faire référence dans la tête de l’enfant, passer leur temps à se discréditer mutuellement. Lorsque vous rencontrez des enseignants, ils parlent aisément de parents démissionnaires et des voyous de la rue. Lorsque vous discutez avec les parents, ils s’étonnent de l’incapacité des enseignants à faire face aux élèves et des mauvaises influences exercées par la rue. Enfin, bon nombre de grands jeunes disent aux plus petits : « Que tu travailles à l’école ou non, tu n’as pas d’avenir. Et tu sais, tes vieux sont d’une autre génération. Ils ne peuvent plus comprendre ce qui se passe aujourd’hui ! »

Autrement dit, chaque jour, l’enfant passe par trois lieux dont les modèles de référence se dénigrent les uns les autres ! Il est important de prendre conscience du lien évident entre de telles incohérences et l’absence de repères qu’on déplore chez bon nombre d’enfants aux comportements marqués par la violence.

L’important ne consiste pas aujourd’hui à trouver des boucs émissaires – « C’est
la faute aux parents… à l’école… à la société… » –, mais à retrouver de la cohérence entre les différents adultes (parents, enseignants, citoyens) qui doivent tous ensemble réinvestir leur mission d’accompagnement de l’enfant sur des chemins d’éducation. « Un débat sur l’éducation, sur la place des jeunes et des enfants dans la société est vraiment indispensable. Il devrait impliquer l’ensemble de ceux qui contribuent à l’éducation des enfants : parents, enseignants, élus, associations, soignants, Animateurs sportifs. II devrait porter sur les questions fondamentales : Qu’est-ce qu’éduquer aujourd’hui ? Quelles valeurs ? Quelle éthique ?1 »

Il serait illusoire de croire qu’une solution immédiate, tel le déploiement de forces de police, pourrait être apportée au problème de la montée de la violence. C’est seulement en retrouvant la voie des exigences éducatives que notre société pourra surmonter une telle difficulté.

Reconnaissons que les médias n’apportent aucune aide en ce domaine. Ainsi, pour prendre un exemple récent, on a baptisé « couvre-feu », pour les discréditer, des mesures prises par certains maires inquiets de voir, sur leur territoire, des enfants en situation d’errance à des heures avancées de la nuit. Alors qu’il s’agissait seulement de les ramener à la maison, voici qu’on crie à la violation des droits de l’homme ! Comment, avec de tels procédés, arrivera-t-on à avancer ?

Prévention et répression, le faux dilemme

S’appuyer sur une optique éducative, c’est sortir de ce faux débat qui oppose depuis de si longues années les tenants de la prévention et ceux de la répression. Comme si d’une telle opposition pouvait sortir quelque chose de bon. II ne s’agit ni de vouloir excuser, ni de vouloir « faire payer » les auteurs d’actes de délinquance, qui sont eux-mêmes le plus souvent victimes de ce climat d’insécurité. II s’agit de réagir de manière pertinente. Réagir, c’est sanctionner, en rappelant les limites et en obligeant à réparer. La sanction fait partie de l’éducation. II s’agit de responsabiliser le jeune, en le gratifiant pour ses contributions (il est des sanctions « positives ») et, en cas de transgression, en lui permettant de réparer les effets (il est des sanctions « réparatrices »). Ne pas sanctionner, c’est déresponsabiliser.

Trop souvent, en France, on a voulu penser un registre d’assistance éducative en dehors de toute éventualité de sanction, et on a eu tendance à penser le registre de la sanction uniquement sur le mode répressif. Au lieu de s’enfermer dans le faux dilemme prévention/répression, ne faut-il pas concevoir la sanction dans une optique préventive ?

Penser ainsi oblige à revisiter le mode de fonctionnement du système judiciaire français face aux mineurs. Ce dernier paraît basé sur le principe : « La première fois, ce n’est pas grave ! Ce qui est grave, c’est de recommencer. » Rappelons que le classement sans suite représente, dans le domaine du traitement de la délinquance juvénile, 55 % des réponses apportées par le Parquet. Nous ne cessons de mesurer aujourd’hui l’ampleur des dégâts occasionnés par l’application d’un tel principe.

Réagir au premier délit

Réagir face à la montée en puissance de la délinquance juvénile, c’est d’abord apprendre à bien poser le problème en partant des premiers délits. L’urgent consiste, aujourd’hui, à revisiter nos modes d’intervention face aux enfants de dix à treize ans qui commettent leurs premières infractions.

Comprenons-nous bien ! Nous ne souhaitons pas le retour de méthodes répressives à l’égard de jeunes primo-délinquants mais l’instauration de sanctions significatives, dans le domaine de la réparation, lorsqu’il s’agit d’attaques aux biens, ou d’éloignement temporaire, lorsqu’il s’agit de menaces sur les personnes. Améliorer la pertinence de nos réponses à l’égard des primo-délinquants paraît constituer le meilleur outil pour la lutte contre la récidive.

Ces réponses pourraient avoir un caractère double.

Le rappel à la loi, pouvant se traduire par une mise à distance immédiate, mais brève, permettrait à l’enfant de comprendre que la vie du lendemain ne peut être similaire à celle de la veille quand on choisit de commettre un acte antisocial. Ce bref séjour lui permettrait de relire son acte en dehors du regard des copains de la cité et de pouvoir prendre en compte sa part de responsabilité personnelle.

La réparation, qui se ferait dans le quartier par des heures de travail réalisées sur un chantier éducatif.

L’indispensable innovation

Une telle approche nécessite d’innover, tant en ce qui concerne la possibilité d’intervenir pénalement en dessous de l’âge de treize ans, que pour la mise en place d’actions en matière de réparation, qui pourraient être conduites par les collectivités locales.

II nous faut savoir dénoncer cette hypocrisie qui caractérise, en France, la réflexion
sur ce problème de délinquance juvénile, par laquelle les solutions de bon sens sont aussitôt décriées en raison des vieux fantasmes omniprésents (maisons de correction, chantiers de jeunesse). Et voici alors qu’au lieu d’expérimenter des solutions innovantes, on laisse le système de prise en charge se scléroser et on développe la réponse la pire qui puisse être : l’incarcération, mesure dont on connaît le côté désastreux et inefficace (75 % de récidive).

Mais, pour que l’expérimentation soit faisable, encore faut-il accepter d’adapter, avec un peu de souplesse, le corpus législatif et réglementaire. Aucune mesure nouvelle ne peut être efficace sans que soient revus les modes de fonctionnement des institutions scolaires et judiciaires, si fortement centralisées aujourd’hui. Place doit pouvoir être faite en leur sein à l’expérimentation locale. Car on se trouve actuellement en plein cœur d’un paradoxe : jamais le champ de l’action éducative n’a été aussi réglementé, jamais les jeunes n’ont autant échappé aux structures éducatives, développant des conduites à risque en dehors de toute présence adulte.

II est urgent de réagir.

  1. Collectif « Souffrances et violences à l’adolescence », introduction de Claude Bartolone, ministre délégué à la Ville, ESF, septembre 2000, p.12.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-1/delinquance-juvenile-et-insecurite-urbaine-priorite-a-l-educatif.html?item_id=2405
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