Délinquance juvénile et insécurité urbaine : priorité à l'éducatif
L’augmentation de la délinquance en France
est aujourd’hui un vif sujet d’inquiétude. Depuis la
fin des années quatre-vingt, nous assistons à un accroissement
considérable de ce que nous pourrions qualifier de « délinquance
de proximité » : destructions et dégradations de biens,
vols de véhicules et dans les véhicules, vols simples ou
commis avec violence, ainsi que coups et blessures volontaires, dont le
poids a pratiquement doublé depuis dix ans. Or ce qui apparaît
clairement aujourd’hui, c’est que de tels actes de délinquance
sont commis de manière privilégiée par les mineurs,
qui sont responsables de près de 50 % des vols commis avec violence.
Et c’est justement ce type de délinquance qui constitue la
source principale du sentiment d’insécurité.
Alors que le dérapage date des années quatre-vingt,
avec une forte augmentation depuis le début des années quatre-vingt-dix,
les politiques de tous bords, tant par absence de diagnostic réaliste
que par aveuglement idéologique, ont constamment cherché
à minimiser le problème.
Ils ont d’abord pensé que le sentiment d’insécurité
était plus fondé sur une peur collective que sur une réalité
étayée. Ils considéraient alors qu’une bonne
politique de communication, avec des chiffres comptabilisés de
manière minimaliste, pourrait permettre de renverser le phénomène.
D’autres étaient persuadés qu’une
approche sociale du phénomène, accompagnée de programmes
préventifs, permettrait de venir à bout du problème.
L’erreur de pensée a consisté à croire que seule
la prévention pourrait être la solution à la délinquance.
C’est un contresens ! Certes, tout doit concourir à la prévention,
mais celle-ci est faite pour éviter la délinquance, qui,
si elle surgit, nécessite de réagir.
Un tel contresens est à la source du paradoxe de la
situation française. On n’a guère, en effet, réfléchi
sur l’affinement des modes de réaction, puisque l’on croyait
avoir la solution : la prévention. Et cette absence de réaction
a provoqué un effet « spirale », qui met à mal
toute la politique de prévention.
L’urgence consiste aujourd’hui à réagir
de manière pertinente et cohérente aux questions posées
par les actes de délinquance commis par les enfants et les adolescents.
Certes, réagir ainsi suppose au préalable de développer
un effort de compréhension des raisons qui conditionnent l’acte.
Mais il faut savoir aujourd’hui dénoncer avec force les effets
pervers du discours médiatique, selon lequel la délinquance
juvénile serait uniquement suscitée par des conditions extérieures
agressogènes, dont la société est responsable.
Sortir
des fausses pistes
En effet, un tel discours, sans doute valide sur un plan
sociologique, est désastreux sur un plan pédagogique. Car
il ôte toute part de responsabilité personnelle à
l’enfant ou à l’adolescent. Lorsque ce dernier s’approprie
un tel discours, il est totalement déresponsabilisé.
Ainsi, on a d’abord cru que le problème numéro
un des quartiers sensibles résidait dans l’urbanisme. On a
alors placé la priorité sur le bâti, dépensant
des sommes considérables dans des opérations de réhabilitation,
sans aucune incidence sur le climat social.
On a alors cru que tout venait du chômage. Mais,
ô paradoxe, jamais les chiffres du chômage n’ont été
aussi bas depuis dix ans, et ceux de l’insécurité aussi
mauvais !
Le véritable défi à relever dans
notre société d’aujourd’hui est d’ordre éducatif.
Une importante cause des difficultés des enfants et des adolescents
provient du fait qu’ils circulent tous les jours dans trois lieux
: la famille, l’école, la rue. Dans chacun de ces lieux, des
adultes font référence : les parents, au sein de la famille,
les enseignants, les aînés. On sait en effet la forte influence
exercée sur les plus jeunes par les grands dans les quartiers.
Retrouver
de la cohérence
Or on voit aujourd’hui ces différentes catégories
d’adultes, appelées à faire référence
dans la tête de l’enfant, passer leur temps à se discréditer
mutuellement. Lorsque vous rencontrez des enseignants, ils parlent aisément
de parents démissionnaires et des voyous de la rue. Lorsque vous
discutez avec les parents, ils s’étonnent de l’incapacité
des enseignants à faire face aux élèves et des mauvaises
influences exercées par la rue. Enfin, bon nombre de grands jeunes
disent aux plus petits : « Que tu travailles à l’école
ou non, tu n’as pas d’avenir. Et tu sais, tes vieux sont d’une
autre génération. Ils ne peuvent plus comprendre ce qui
se passe aujourd’hui ! »
Autrement dit, chaque jour, l’enfant passe par trois
lieux dont les modèles de référence se dénigrent
les uns les autres ! Il est important de prendre conscience du lien évident
entre de telles incohérences et l’absence de repères
qu’on déplore chez bon nombre d’enfants aux comportements
marqués par la violence.
L’important ne consiste pas aujourd’hui à trouver des
boucs émissaires – « C’est
la faute aux parents… à l’école… à
la société… » –, mais à retrouver
de la cohérence entre les différents adultes (parents, enseignants,
citoyens) qui doivent tous ensemble réinvestir leur mission d’accompagnement
de l’enfant sur des chemins d’éducation. « Un débat
sur l’éducation, sur la place des jeunes et des enfants dans
la société est vraiment indispensable. Il devrait impliquer
l’ensemble de ceux qui contribuent à l’éducation
des enfants : parents, enseignants, élus, associations, soignants,
Animateurs sportifs. II devrait porter sur les questions fondamentales
: Qu’est-ce qu’éduquer aujourd’hui ? Quelles valeurs
? Quelle éthique ?1 »
Il serait illusoire de croire qu’une solution immédiate,
tel le déploiement de forces de police, pourrait être apportée
au problème de la montée de la violence. C’est seulement
en retrouvant la voie des exigences éducatives que notre société
pourra surmonter une telle difficulté.
Reconnaissons que les médias n’apportent
aucune aide en ce domaine. Ainsi, pour prendre un exemple récent,
on a baptisé « couvre-feu », pour les discréditer,
des mesures prises par certains maires inquiets de voir, sur leur territoire,
des enfants en situation d’errance à des heures avancées
de la nuit. Alors qu’il s’agissait seulement de les ramener
à la maison, voici qu’on crie à la violation des droits
de l’homme ! Comment, avec de tels procédés, arrivera-t-on
à avancer ?
Prévention
et répression, le faux dilemme
S’appuyer sur une optique éducative, c’est
sortir de ce faux débat qui oppose depuis de si longues années
les tenants de la prévention et ceux de la répression. Comme
si d’une telle opposition pouvait sortir quelque chose de bon. II
ne s’agit ni de vouloir excuser, ni de vouloir « faire payer
» les auteurs d’actes de délinquance, qui sont eux-mêmes
le plus souvent victimes de ce climat d’insécurité.
II s’agit de réagir de manière pertinente. Réagir,
c’est sanctionner, en rappelant les limites et en obligeant à
réparer. La sanction fait partie de l’éducation. II
s’agit de responsabiliser le jeune, en le gratifiant pour ses contributions
(il est des sanctions « positives ») et, en cas de transgression,
en lui permettant de réparer les effets (il est des sanctions «
réparatrices »). Ne pas sanctionner, c’est déresponsabiliser.
Trop souvent, en France, on a voulu penser un registre
d’assistance éducative en dehors de toute éventualité
de sanction, et on a eu tendance à penser le registre de la sanction
uniquement sur le mode répressif. Au lieu de s’enfermer dans
le faux dilemme prévention/répression, ne faut-il pas concevoir
la sanction dans une optique préventive ?
Penser ainsi oblige à revisiter le mode de fonctionnement
du système judiciaire français face aux mineurs. Ce dernier
paraît basé sur le principe : « La première
fois, ce n’est pas grave ! Ce qui est grave, c’est de recommencer.
» Rappelons que le classement sans suite représente, dans
le domaine du traitement de la délinquance juvénile, 55
% des réponses apportées par le Parquet. Nous ne cessons
de mesurer aujourd’hui l’ampleur des dégâts occasionnés
par l’application d’un tel principe.
Réagir
au premier délit
Réagir face à la montée en puissance
de la délinquance juvénile, c’est d’abord apprendre
à bien poser le problème en partant des premiers délits.
L’urgent consiste, aujourd’hui, à revisiter nos modes
d’intervention face aux enfants de dix à treize ans qui commettent
leurs premières infractions.
Comprenons-nous bien ! Nous ne souhaitons pas le retour
de méthodes répressives à l’égard de
jeunes primo-délinquants mais l’instauration de sanctions
significatives, dans le domaine de la réparation, lorsqu’il
s’agit d’attaques aux biens, ou d’éloignement temporaire,
lorsqu’il s’agit de menaces sur les personnes. Améliorer
la pertinence de nos réponses à l’égard des
primo-délinquants paraît constituer le meilleur outil pour
la lutte contre la récidive.
Ces réponses pourraient avoir un caractère
double.
Le
rappel à la loi, pouvant se traduire par une mise à distance
immédiate, mais brève, permettrait à l’enfant
de comprendre que la vie du lendemain ne peut être similaire à
celle de la veille quand on choisit de commettre un acte antisocial. Ce
bref séjour lui permettrait de relire son acte en dehors du regard
des copains de la cité et de pouvoir prendre en compte sa part
de responsabilité personnelle.
La
réparation, qui se ferait dans le quartier par des heures de travail
réalisées sur un chantier éducatif.
L’indispensable
innovation
Une telle approche nécessite d’innover, tant
en ce qui concerne la possibilité d’intervenir pénalement
en dessous de l’âge de treize ans, que pour la mise en place
d’actions en matière de réparation, qui pourraient
être conduites par les collectivités locales.
II nous faut savoir dénoncer cette hypocrisie qui caractérise,
en France, la réflexion
sur ce problème de délinquance juvénile, par laquelle
les solutions de bon sens sont aussitôt décriées en
raison des vieux fantasmes omniprésents (maisons de correction, chantiers
de jeunesse). Et voici alors qu’au lieu d’expérimenter
des solutions innovantes, on laisse le système de prise en charge
se scléroser et on développe la réponse la pire qui
puisse être : l’incarcération, mesure dont on connaît
le côté désastreux et inefficace (75 % de récidive).
Mais, pour que l’expérimentation soit faisable,
encore faut-il accepter d’adapter, avec un peu de souplesse, le corpus
législatif et réglementaire. Aucune mesure nouvelle ne peut
être efficace sans que soient revus les modes de fonctionnement
des institutions scolaires et judiciaires, si fortement centralisées
aujourd’hui. Place doit pouvoir être faite en leur sein à
l’expérimentation locale. Car on se trouve actuellement en
plein cœur d’un paradoxe : jamais le champ de l’action
éducative n’a été aussi réglementé,
jamais les jeunes n’ont autant échappé aux structures
éducatives, développant des conduites à risque en
dehors de toute présence adulte.
II est urgent de réagir.
- Collectif « Souffrances et violences à l’adolescence », introduction de Claude Bartolone, ministre délégué à la Ville, ESF, septembre 2000, p.12.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-1/delinquance-juvenile-et-insecurite-urbaine-priorite-a-l-educatif.html?item_id=2405
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