Aymon de Reydellet est directeur environnement et hygiène industrielle de la branche Isolation de Saint-Gobain. Diplômé de l’Esigec et titulaire d’un DEA en génie chimique, il est entré chez Saint-Gobain en 1991.
Une responsabilité légale et un devoir moral pour l'industriel
Les statistiques d’espérance de vie témoignent
des progrès de la médecine et de l’amélioration
des conditions de vie. Parallèlement, la demande pour plus de sécurité
et moins de risque croît sans cesse. Cette demande est certainement
exacerbée par la méfiance du consommateur vis-à-vis
des risques annoncés, fussent-ils faibles, à la suite des
affaires comme celles de l’amiante, du sang contaminé, du
plomb... Il est malheureusement difficile d’y répondre de
façon catégorique. Il est en effet impossible de dire «
il n’y a aucun risque » ou « ce produit est parfaitement
sain ». La démonstration du risque zéro n’est
pas possible.
Une approche de gestion des risques
De plus, la question des priorités
en matière de gestion des risques pour la santé n’est
pas claire. Ainsi, Gérard Pascal, de l’Institut national de
la recherche agronomique (INRA) écrit : « Il est temps que
nos responsables politiques, en particulier en Europe, apprennent, en
dehors de toute pression de l’opinion publique et des médias,
à établir des niveaux de priorité des mesures de
prévention des différents risques, en particulier de cancérogénèse, en tenant compte des rapports coût/bénéfice. Il leur
faut ensuite avoir le courage d’expliquer les raisons de leurs choix
de gestion, quitte à ne pas caresser le public dans le sens du
poil. » 1 Or le système médiatique
ne contribue certainement pas à la clarté du jugement…
La direction « Politique des
consommateurs et protection de leur santé » de la Commission
européenne a défini en 1998 le principe de précaution
: « Le principe de précaution est une approche de gestion
des risques qui s’exerce dans une situation d’incertitude scientifique,
exprimant une exigence d’action face à un risque potentiellement
grave sans attendre les résultats de la recherche scientifique
2 ».
Six lignes directrices pour l’application du principe
de précaution
1. La mise en œuvre d’une approche
basée sur le principe de précaution devrait commencer
par une évaluation de risque objective identifiant à
chaque étape le degré d’incertitude scientifique.
2. La décision d’étudier les différentes
options de gestion envisageables lorsque les résultats de
l’évaluation de risque sont connus devrait impliquer
l’ensemble des parties prenantes dans la plus grande transparence
possible.
3. Les mesures basées sur le principe de précaution
devraient être proportionnées au risque à limiter
ou supprimer.
4. Les mesures basées sur le principe de précaution
devraient tenir compte d’une évaluation bénéfice/coût
(avantage/
inconvénient) pour envisager une réduction du risque
à un niveau acceptable pour l’ensemble des parties prenantes.
5. Les mesures basées sur le principe de précaution
devraient pouvoir établir une responsabilité en matière
de production des preuves scientifiques nécessaires à
une évaluation de risque complète.
6. Les mesures basées sur le principe de précaution
devraient toujours avoir un caractère provisoire dans l’attente
des résultats des recherches scientifiques effectuées
pour générer les données manquantes et réaliser
une évaluation de risque plus objective.
Source : Commission européenne, 1998.
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Le respect de cette définition et des six lignes
directrices précisées dans ce même document devrait
permettre une meilleure utilisation du principe de précaution et
entraîner un regain de confiance des consommateurs dans des choix
plus rationnels.
Enfin, de plus en plus d’informations sont disponibles,
non seulement pour les spécialistes avec les nombreuses publications
mais aussi pour tout un chacun, en particulier grâce à Internet.
Si cette profusion d’informations et les facilités d’accès
sont certainement une bonne chose pour tous ceux qui doivent ou qui souhaitent
se faire leur propre opinion à partir des données de base,
elle n’aide par contre en rien ceux qui ne peuvent pas, faute de
temps, de moyens ou de connaissance, digérer toutes ces informations.
Il y a donc plus que jamais besoin d’avis d’experts. Mais, pas
d’un seul expert qui serait inévitablement critiqué
par un autre. Non, nous avons besoin d’avis consensuels émanant
d’un groupe d’experts d’horizons divers : pouvoirs publics,
universités, industries, syndicats, consommateurs...
Ainsi, Pierre-Yves Saint, de l’Institut
national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) écrivait
en 1999 : « Pour assurer la transparence et la stabilité
des procédures d’expertise, il est nécessaire de garantir
une autonomie et une indépendance fortes aux experts et aux comités
d’experts, vis-à-vis des différentes sources d’influence
possibles. Il faut donc que des personnes sachent organiser les procédures
d’expertise. Cette compétence d’organisateur de l’expertise
n’est pas actuellement reconnue comme telle en France..» 3
Le rôle de l’industriel
L’industriel producteur de matériaux de construction
a un rôle important sur l’amélioration des conditions
de vie dans un bâtiment puisque la production du matériau
est le premier maillon d’une chaîne qui va jusqu’au recyclage
à la fin de la durée de vie, très longue, du bâtiment.
Il participe donc au développement durable en permettant que les
bâtiments construits aujourd’hui assurent encore toutes leurs
fonctions plusieurs générations après.
De fait, il a non seulement une responsabilité
légale mais aussi un devoir moral et, ne l’oublions pas, un
intérêt financier et marketing, de fabriquer des produits
ne portant pas atteinte à la santé des personnes dans les
usines lors de leur production, sur les chantiers lors de leur mise en
œuvre et dans les bâtiments lors de leur usage, de leur maintenance
et même de leur démolition. Cette responsabilité et
ce devoir moral ne sont apparus que relativement récemment et sont
encore en cours d’évolution.
Ainsi, la Commission européenne prépare
un transfert des responsabilités en matière de recherche
des impacts potentiels sur la santé, des pouvoirs publics vers
les producteurs de substances chimiques.
« Il conviendrait de faire
endosser à l’industrie la responsabilité de fournir
des informations sur les substances chimiques et/ou ne placer sur le marché
que des substances qui ne présentent pas de dangers pour les utilisations
auxquelles elles sont destinées. La Commission propose de transférer
aux entreprises la responsabilité de produire des données
et de les évaluer, ainsi que d’évaluer les risques
liés à l’utilisation des substances. Les entreprises
devraient également fournir des informations appropriées
aux utilisateurs en aval […]. Les utilisateurs en aval, tout comme
les fabricants et les importateurs de substances chimiques, devraient
être responsables de tous les aspects liés à la sécurité
de leurs produits et devraient fournir des informations sur les utilisations
et l’exposition en vue de l’évaluation des substances.
Les fabricants de préparations et les autres utilisateurs en aval
seront tenus d’évaluer la sécurité de leurs
produits pour la partie du cycle de vie dans laquelle ils interviennent,
élimination et gestion des déchets comprises. » 4
Pour évaluer correctement ces effets, les producteurs
de matériaux de construction, comme de tous les autres produits,
doivent entreprendre les actions suivantes.
- Rechercher les connaissances scientifiques et les réglementations
existantes sur les substances entrant dans la composition de leurs produits
ou pouvant être émises lors de leur utilisation. Ces données
sont rassemblées dans des fiches de données de sécurité
qui doivent être rédigées en respectant les exigences
de la norme internationale ISO 11014-1. Ces données sont fournies
sous la responsabilité du producteur ou du distributeur. Afin qu’elles
soient à jour, l’industriel doit assurer une veille des connaissances
scientifiques, médicales et réglementaires.
- Parfois mener des études quand des questions sont soulevées.
Certaines sont menées par les industriels, souvent avec le support
de laboratoires externes. D’autres le sont par des organismes indépendants,
parfois avec le soutien financier des industriels. D’autres enfin,
trop peu nombreuses, sont menées par les pouvoirs publics. Les
produits dits « naturels » ne devraient pas être exonérés
de ces études. On connaît en effet bon nombre de substances
naturelles qui sont des poisons. Dans tous les cas, ces études
devraient être validées par un comité d’experts
d’horizons divers afin d’éviter les controverses.
La référence européenne
en matière de classement des dangers est la directive sur les
substances dangereuses 5. Elle date de 1967 et est
régulièrement mise à jour par un groupe d’experts
de l’ECB (European Chemicals Bureau) et un comité d’adaptation
technique. Ce système de classement a par contre une lacune,
il ne permet pas de distinguer une substance non étudiée,
et donc non classée, d’une autre substance étudiée
et ne présentant pas de risque justifiant un classement. Ce classement
négatif existe par contre dans d’autres systèmes,
comme celui du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC),
pour le risque cancérogène.
- Réaliser des évaluations du risque. Les études
donnent généralement une quantification du danger. Il est
nécessaire de combiner ce niveau de danger avec la dose, c’est-à-dire
le niveau et la durée d’exposition. Pour bien comprendre la
différence entre danger et risque, prenons l’exemple d’une
flamme : une flamme est dangereuse : elle peut brûler. Si on laisse
la main loin de la flamme ou si on ne s’en approche qu’une fraction
de seconde, elle ne présente aucun risque ; par contre, si on laisse
la main très proche et longtemps, le risque est évident.
L’équation «risque = danger x dose
» est souvent utilisée pour résumer ces notions.
- Améliorer les produits. L’amélioration des qualités
des produits est constante ; elle est le fruit de la concurrence et de
la demande des clients. Mais cette amélioration des qualités
doit aussi s’accompagner d’une amélioration des conditions
de confort lors de la fabrication, de la pose et de l’utilisation
des produits.
L’exemple de la laine minérale
Prenons comme exemple probablement le matériau
de construction qui a fait l’objet du plus grand nombre d’études
sur ses effets potentiels sur la santé : les laines minérales
utilisées pour l’isolation thermique et phonique et pour la
protection incendie.
Dès que les effets sur la
santé de l’amiante ont été reliés à
la forme fibreuse des particules, certains médecins ont posé
la question des effets potentiels d’autres fibres comme celles constituant
les laines de verre ou de roche. Mais, en décembre 1997, l’Union
européenne a défini des critères permettant l’exonération
du classement cancérogène des fibres minérales d’isolation
6.
En octobre 2001, dix-neuf experts
de onze pays réunis à Lyon par le CIRC ont conclu : «
[…] les laines minérales, […], comme les laines de verre
d’isolation, la laine de roche et la laine de laitier sont à
présent considérées comme ne pouvant pas être
classées quant à leur cancérogénicité
pour l’homme (Groupe 3). » 7
Cette réglementation et cet avis d’experts
permettent de rassurer les utilisateurs aussi bien sur les produits actuellement
fabriqués que sur ceux mis en œuvre il y a dix, vingt ou trente
ans. Il a fallu plus de vingt-cinq ans pour mener de très nombreuses
études (il existe plus de mille publications scientifiques à
ce sujet) et passer de la question « y a-t-il un risque ? »
à l’affirmation « il n’y a pas de risque significatif
».
Des attentes face à la puissance publique
En face de ces devoirs, l’industriel est légitimement
en droit d’attendre des règles. Elles doivent être définies
par l’autorité compétente, à savoir en Europe
la Commission européenne ou l’Etat national. Cette autorité
compétente doit :
- Organiser le débat contradictoire entre producteurs et utilisateurs
pour arriver à un consensus.
- Arbitrer, pour définir une position claire et reconnue.
- Ecrire les règles (directives, lois, décrets…) dans
le contexte de l’époque en s’appuyant le plus possible
sur des normes. Ces règles ont inévitablement une durée
de vie limitée en fonction de l’évolution des connaissances.
Ce n’est pas parce que aujourd’hui un matériau n’est
pas considéré comme dangereux que demain il ne le sera pas.
Inversement, des doutes portés aujourd’hui sur un matériau
peuvent être levés demain.
- Faire appliquer ces règles à tous afin que les règles
de la concurrence ne soient pas faussées.
- Définir le minimum d’information utile à transmettre
aux utilisateurs pour qu’elle soit lue, comprise et donc efficace.
Cette notion d’information utile rejoint celle du risque acceptable.
Comment communiquer ?
L’industriel, producteur de matériaux de
construction, s’il a sérieusement recherché les impacts
potentiels sur la santé de ses produits, dispose de nombreuses
informations. Par contre, il ne peut pas communiquer seul sur le sujet,
au risque que son manque d’objectivité soit mis en avant..
L’industriel a donc besoin d’avis d’experts,
de réglementations, de référentiels permettant de
transmettre un message clair et accepté.
Les fiches de données de sécurité
obligatoires pour les substances et les préparations sont de plus
en plus utilisées par les industriels pour communiquer à
leurs clients toutes les données de réglementation de risques
pour la santé et de moyens de précaution à prendre
pour manipuler ou utiliser leurs produits.
La directive sur les produits de
construction 8 stipule parmi ses « exigences
essentielles » (annexe 1), que « l’ouvrage doit être
conçu et construit de manière à ne pas constituer
une menace pour l’hygiène, la santé des occupants ou
des voisins ». Cette exigence passe par un respect des directives
européennes et des réglementations nationales correspondantes
plus restrictives.
« Ainsi, dans le cas où une directive européenne s’applique, aucune information sur les substances n’accompagne le marquage CE. Lorsqu’il existe des exigences nationales complémentaires, le fabricant souhaitant mettre ses produits sur le marché des pays concernés devra respecter leur réglementation et produire les informations nécessaires. Ces informations ne font pas partie du marquage CE » 9
En matière d’impact sur l’environnement et de confort, la France est le premier pays européen à avoir mis en place une norme 10 qui définit comment ces données doivent être calculées et comment ces informations doivent être présentées. Des fiches de données environnementales rédigées selon cette norme commencent à être disponibles. Elles peuvent être utilisées en particulier dans les projets de bâtiments HQE (Haute qualité environnementale) pour choisir un matériau plutôt qu’un autre en fonction de ses impacts sur l’environnement et de ses propriétés à améliorer le confort dans le bâtiment. Si le producteur de matériau peut fournir ces informations pour ces produits, l’architecte doit par contre les intégrer dans le bâtiment qu’il conçoit en prenant en compte les impacts de combinaisons de matériaux ou d’utilisation de systèmes faisant intervenir plusieurs matériaux.
Pour donner une information plus complète que celle qui peut être mise à disposition dans une fiche de données de sécurité ou une fiche de communication environnementale, certaines sociétés ont constitué des dossiers plus étoffés. C’est le cas de Saint-Gobain Isover dans le cadre de sa politique de développement durable. Les aspects environnement, santé et confort y sont présentés en détail 11.
Dans un contexte où les demandes légitimes des utilisateurs en matière de santé sont de plus en plus fortes, les industriels ont de plus en plus de devoirs, en particulier celui ne placer sur le marché que des produits qui ne présentent pas de dangers pour les utilisations auxquelles ils sont destinés. Mais ils ont besoin de règles reconnues et respectées pour répondre le plus clairement possible aux attentes des utilisateurs.
Dans ce domaine, comme dans d’autres, la meilleure marque est celle qui a le plus beau produit, au moindre prix et dans le plus bel emballage mais c’est aussi celle qui apporte le maximum de sécurité dans la composition et la fabrication de ses produits. Le risque zéro n’existe pas mais une marque qui maîtrise le mieux les risque et l’efficacité d’usage mérite la valeur ajoutée que lui donneront les consommateurs. Le consommateur devrait préférer les marques qui assurent ce maximum de fiabilité.
- Pascal Gérard :
« Faut-il intégrer des seuils de préoccupation toxicologique
dans les réglementations ? L’approche européenne »,
La Recherche, N° 324, pp 53-55, octobre 1999.
- Commission des communautés
européennes - Direction générale XXIV, Politique
des consommateurs et protection de leur santé, «Lignes directrices
pour l’application du principe de précaution »,document
HB/hb D (98), 17 octobre 1998.
- Pierre-Yves Saint :
« La santé environnementale en France : un bilan, des propositions
», La Jaune et la Rouge, pp 49-52, juin-juillet 1999.
- Commission des communautés
européennes, Livre Blanc : stratégie pour la future politique
dans le domaine des substances chimiques,COM (2001) 88 final, pp 37, 27
février 2001.
- Commission des communautés
européennes, « Directive 67/548/CEE du Conseil du 27 juin
1967, concernant le rapprochement des dispositions législatives,
réglementaires et administratives relatives à la classification,
l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses
»,JOCE N° B196 du 16 août 1967.
- Communautés européennes.«
Directive 97/69CE de la Commission du 5 décembre 1997... substances dangereuses »,
JOCE L343, pp 19-24 du 13 décembre 1997.
- Centre International de Recherche
sur le Cancer : www.iarc.fr/pageroot/PRELEASES/pr137a.html
- Communautés européennes,
« Directive du Conseil du 21 décembre 1988 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres concernant
les produits de construction » (89/106/CEE), JOCE N° L40, pp 12-26, 11 février 1989.
- Barthet M-C. : « Quid des substances dangereuses
? » La lettre des adhérents d’Afnor, N° 203, 2 mai
2000.
- Afnor : « Qualité environnementale
des produits de construction. Information sur les caractéristiques
environnementales des produits de construction. Partie 1 : méthodologie
et modèle de déclaration des données ». Norme
XP P 01-010-1,
- Saint-Gobain Isover : www.isover.fr (les dossiers Isover).
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2002-1/une-responsabilite-legale-et-un-devoir-moral-pour-l-industriel.html?item_id=2411
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