Jean-Paul BETBÈZE

est chef économiste et directeur des études économiques, membre du comité exécutif de Crédit Agricole SA.
Il est également professeur d’université, membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre et membre de la Commission économique de la nation.

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La « nouvelle économie » du logement

Au sein du bâtiment, le logement a un rôle déterminant pour l’économie toute entière. L’économiste Jean-Paul Betbèze explique pourquoi « une nouvelle logique du logement est en train de naître, avec plus de finances, plus d’innovations, plus de services, autour d’un actif dont la valeur sera mieux sauvegardée dans le temps ».

Le secteur du bâtiment est évidemment crucial pour la vie économique, puisqu’il est crucial pour la vie tout court. Il est ensuite quantitativement important par ses effets d’entraînement sur l’activité économique. C’est le fameux « Quand le bâtiment va… » du député Martin Nadaud devant la Chambre, en 1849. Mais, à cette époque, le mouvement allait plutôt de l’immobilier au reste de l’économie, puisqu’il en représentait largement le quart. La situation actuelle est bien plus complexe, dans la mesure où le logement est devenu un actif stratégique du ménage, et donc des autorités économiques et financières. Il forme la base de modes de développement décisifs pour les années à venir. Le logement d’aujourd’hui est plus financier d’un côté, plus structurant qu’avant d’un autre.

Le logement « financier »

Il est plus financier, quand on regarde à quel point les évolutions des prix des logements ont monté dans la période récente, avec des taux d’accession très élevés et des engagements de plus en plus longs de remboursement : 25 ans, 30 ans, plus parfois. En même temps, ce logement représente la moitié (en moyenne) des patrimoines des ménages et, en termes nets d’emprunt, bien plus d’une année de revenu. Il est donc fondamentalement stabilisant, dans la mesure où il canalise des revenus et des projets, intervient fortement dans les comportements d’emploi, d’épargne et de dépense. Il joue même un rôle croissant dans la politique économique comme élément de stabilisation.

Quand les États-Unis entrent en trouble, après la crise de la bulle Internet suivie de l’attaque contre le World Trade Center, les taux courts plongent, avec l’idée de faire repartir l’activité et d’éviter le pire. Mais ce sera le secteur du logement qui reprendra le flambeau. Il soutiendra l’activité américaine pendant près de deux ans. Actuellement, il ne joue plus ce rôle décisif, mais ce n’est pas une raison pour relever trop les taux d’intérêt. Au contraire. L’ancienne idée qui faisait du secteur du logement « l’éponge des liquidités », qui se remplissait par temps maussade, pour soutenir la croissance, et se pressait par temps de reprise, parce qu’on n’en avait plus besoin, a vécu. Certes, le cycle du logement diffère de celui des affaires, mais il ne peut plus lui être opposé, un peu pour des raisons mécaniques d’entraînement, beaucoup pour des raisons financières. Le lien entre activité de logement, donc un flux, et valeur des logements, donc un stock, est en effet de plus en plus important et présent dans les esprits. Le logement n’est plus mécaniquement contracyclique. Il est en large part amortisseur et ne peut jamais trop baisser, au risque d’entraînements financiers violents, par effet richesse interposé.

C’est bien pourquoi on peut toujours s’inquiéter ici ou là de « bulles de l’immobilier », en Espagne, par exemple. Mais il s’agit plutôt de tout faire pour accompagner la croissance. Il faut faire que leur éclatement, que souhaitent des puristes, soit plutôt un dénouement, avec aussi peu d’effets négatifs que possible. Pour cela, il faut toujours de la croissance, de l’emploi et un système financier sain. La bulle de l’immobilier est ainsi souvent un phénomène local, souvent un moment nécessaire d’une reprise, à traiter ensuite au mieux, mais par la croissance. Le terme de purge est alors le plus inadéquat que l’on peut concevoir. Il s’agit de plus en plus, et consciemment, d’organiser un soft landing, un atterrissage en douceur. La maltraitance du logement, typique du XIXe et du début du XXe, a disparu. Il s’agit pour tous les décideurs d’amortir les valorisations sur moyen terme des patrimoines, donc de stabiliser les horizons de dépense.

Un élément structurant

Le logement devient en même temps toujours plus structurant. Il ne s’agit pas ici du marché du logement, qui devra sans doute s’améliorer et se fluidifier grâce aux offres de plus en plus intégrées de réseaux d’intermédiaires, avec l’appui d’Internet. Il s’agit plutôt de ce qu’implique le logement en matière de sécurité, de communication, de consommation d’énergie. Le logement devient, plus encore que dans la phase passée des nouveaux matériaux, un opérateur très important dans la mise en œuvre des innovations et donc des gains de compétitivité.

Si l’on acclimate des innovations pour protéger les logements, pour étendre la domotique, pour maîtriser les flux liés au logement (électricité, gaz, fioul, mais aussi traitement des déchets), on fait de ce domaine un secteur d'importance pour les services et la croissance. Le management facilities doit se développer dans le logement, pas seulement dans les grandes tours ou les sièges sociaux. Les nouveaux logements doivent intégrer davantage encore ces nouvelles conditions d’efficacité (et de modération des coûts d’usage sur la durée). Des actions doivent être entreprises pour les étendre aux logements anciens. Le logement est ainsi un domaine du nouvel emploi des services et des innovations de proximité, de recyclage, de sécurité, de communication. Il permet de les étendre en les structurant.

Une nouvelle économie de services

On ne mesure pas bien encore cette nouvelle économie du logement, avec des liens permanents à des centres d’appel pour la sécurité ou les ascenseurs, avec des procédures plus modernes d’entretien, de mise aux normes, de traitement des déchets… Il ne s’agit là, rien de moins, que d’implanter une nouvelle économie des services et de relations à son pourtour, et de maintenir ainsi la valeur du patrimoine. à son tour, ce patrimoine mieux entretenu sera la base d’endettements futurs. Les accidents de la vie (chômage notamment) pourront ainsi être mieux amortis. En même temps, les retraites seront mieux financées et, entre-temps, des aménagements, agrandissements ou aides aux enfants seront toujours possibles. Le logement a toujours été le grand « mobilisateur » d’épargne quand il s’agissait pour lui d’être acquis. Il peut désormais en « rendre », une fois qu’il l’est. Le logement support d’endettements futurs doit ainsi se développer, notamment dans des logiques de transmission, en liaison avec l’allongement de la durée de la vie.

On comprend donc qu’une nouvelle logique du logement est en train de naître, avec plus de finances, plus d’innovations, plus de services, autour d’un actif dont la valeur sera mieux sauvegardée dans le temps. Cette sauvegarde sera technique, par la mise aux normes et davantage d’intelligence embarquée. Elle sera aussi de plus en plus financière. Les autorités monétaires mettent implicitement (États-Unis, Europe) ou explicitement (Angleterre) la stabilisation des valorisations du logement dans leurs objectifs. On pourra dire alors « quand le bâtiment… », mais ce sera pour des raisons autrement moins mécaniques, autrement plus sophistiquées, autrement plus nécessaires.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2006-10/la-«-nouvelle-economie-»-du-logement.html?item_id=2739
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