Prospective : le bâtiment entre métamorphose et révolution
Au cœur de trois grands enjeux du XXIe siècle, le bâtiment vit un changement d'ère qui se traduit par de profondes évolutions du système dans lequel il évolue. Pour y faire face, il doit réaliser de véritables révolutions en matière de compétences et de qualification, de performances et de services, de productivité et d'ajustements à l'évolution des modes de vie.
C'est une réalité : le bâtiment est au centre de trois grands phénomènes de société. Et ce, pour une longue période.
- Premier phénomène bien connu et très important : l'enjeu énergie-climat. C'est toute la démarche et l'ambition du Grenelle de l'environnement et de son volet « Bâtiment ». Avec les BBC (bâtiments basse consommation) et les Bepos (bâtiments à énergie positive), le bâtiment n'est plus un problème mais une solution. Les catastrophes récentes, comme celle du Japon, ne font qu'accentuer l'obligation de réussite du secteur. Il faut en être convaincu : l'offre ne pourra que suivre et le bâtiment ne peut pas échouer.
- Deuxième phénomène : la santé environnementale. Dans un monde de plus en plus anxiogène, le bâtiment - et plus précisément le logement - est ressenti comme un lieu d'abri et de protection. Il doit sécuriser son occupant et lui permettre, en confiance, un réel épanouissement. Et c'est tout naturellement que ce rôle de cocon s'accompagne de plus en plus d'une exigence très forte en matière de santé.
- Le troisième phénomène tient au vieillissement de la population. Au-delà de la volonté de maintenir à domicile les personnes âgées, l'idée de pouvoir se soigner et guérir dans son logement va devenir centrale. C'est tout l'enjeu de la médecine à domicile et même de l'hôpital à domicile. Car les dépenses de santé ne pourront croître encore indéfiniment. Il faudra trouver des solutions alternatives à l'hospitalisation, trop souvent systématique.
Sur ces trois phénomènes, le bâtiment va être en première ligne. On peut le dire : il est sous pression.
La métamorphose de l'approche systémique
Face à la complexité du bâtiment, nous sommes à la fin de l'ère sectorielle. Désormais, il devient un système où tout interagit : la performance énergétique avec la qualité de l'air, la suppression des ponts thermiques avec la stabilité de l'ouvrage... De plus, Internet et le haut débit facilitent la communication et le pilotage du système.
Les sciences du bâtiment, jusqu'à présent sérielles et séparées (acoustique, thermique, stabilité, structure, sécurité feu...), vont être corrélées dans une approche globale systémique. Les sciences vont faire système. Les phases de conception, de construction et d'exploitation interagiront.
La conception intégrée, collaborative, concourante, s'imposera non seulement au sein de la maîtrise d'œuvre (le couple architecte-ingénieur), mais aussi en liaison avec les entreprises qui construisent et les usagers qui occupent les bâtiments. Pour cela, l'outil utilisé sera la maquette virtuelle, même si l'industrie du bâtiment est plus complexe que les autres industries de série.
La construction proprement dite, réalisée par les entreprises en corps d'état séparés qui travaillent en série, évoluera vers des comportements collaboratifs portés par cette vision systémique. Les outils de calcul à la disposition des entreprises s'amélioreront et seront faciles à utiliser grâce à leur simplicité. Il y aura davantage d'ingénierie au sein des entreprises, qui passeront dans leur activité de la connaissance de la matière à celle des lois physiques. Les outils d'autocontrôle se développeront : test d'étanchéité à l'air, utilisation de caméras infrarouges, test de fonctionnement de la ventilation...
Ainsi les métiers évolueront et disposeront de règles de l'art qui intégreront les outils de calcul et les outils d'autocontrôle. C'est une nouveauté dans le parcours du travail d'entrepreneur.
Autre évolution : entre l'entreprise générale et les lots séparés, les macro-lots voient le jour et poussent au regroupement d'entreprises. L'offre macro-lots se développe, notamment pour la rénovation énergétique et la rénovation des bâtiments pour le maintien à domicile des personnes âgées. C'est là une véritable remise en cause du fonctionnement habituel. D'autant que le client souhaite n'avoir qu'un seul interlocuteur, à l'image de ce qui se passe lorsqu'il refait sa cuisine ou sa salle de bains.
De même, le pilotage de l'exploitation et de la maintenance se professionnalise. Les entreprises de construction se développent sur ce créneau et assurent un package « réalisation-exploitation-maintenance » à la valeur ajoutée certaine.
Enfin, le « commissioning » - la prise en main par les occupants du fonctionnement du bâtiment - est systématiquement réalisé et donne lieu à un « monitoring » des occupants par les entreprises.
Les quatre révolutions à réaliser
Un préalable : les enjeux et l'approche système évoqués plus haut vont profondément impacter l'ensemble des acteurs du bâtiment. Cela concerne près de 400 000 entreprises ou entités et les 1,2 million de personnes qui y travaillent. Il s'agit bien d'une métamorphose de masse.
Mais de grands gaps apparaissent. Pour les combler, il faudra que le bâtiment réalise quatre révolutions.
La révolution de la compétence et de la qualification
Autour de règles de l'art revisitées pour la construction neuve et pour la rénovation, l'ensemble de la filière va devoir se hisser au niveau de compétence nécessaire pour que le bâtiment soit à la hauteur de ce qu'on attend de lui.
Cette compétence est loin d'être acquise. À tous les niveaux - cadres, agents de maîtrise, compagnons... -, la formation initiale est très insuffisante au vu du niveau de compétence exigé. Il faudra donc faire un effort important de formation. Formation qui, elle-même, sera régulièrement renouvelée parce que les métiers se seront transformés et continueront à le faire.
Le bâtiment va donc entrer dans l'ère de la formation permanente systématique. Contrairement à ce que l'on a longtemps cru, on n'est pas compétent à vie. Cette compétence actualisée doit donner lieu à une reconnaissance. C'est le rôle de la qualification : qualification de la maîtrise d'œuvre, qualification des entreprises et des artisans... En clair, la qualification va devoir devenir la règle pour l'obtention des aides de l'État et des collectivités territoriales et devra être exigée pour les marchés publics.
On ne peut pas affirmer la nécessité d'une compétence sans avoir un signe objectif de ce niveau de compétence : la qualification.
La révolution de la performance et du service
Deuxième gap : celui de la performance. Dans le bâtiment, nous ne sommes pas habitués à contractualiser des engagements de performance, à accepter une mesure du produit de l'ouvrage que nous fournissons. Pourtant, le maître d'ouvrage et l'usager vont l'exiger de plus en plus. Même si nous faisons du sur-mesure, nous ne pourrons pas nous soustraire à cette nouvelle culture. Avec le Grenelle de l'environnement, la feuille de route est précise et ambitieuse.
L'obligation de moyens fera donc place progressivement à l'obligation de performances (mesurées de plus en plus objectivement). Certains iront même jusqu'à prendre des engagements de performances garanties, comme c'est déjà le cas pour des bâtiments tertiaires.
Dès lors, les démarches qualité vont s'imposer pour la conception et la réalisation. On ne peut pas certifier l'ouvrage bâtiment si l'on n'a pas de produits ou composants certifiés et des acteurs qualifiés. De façon plus générale, ces performances du bâtiment se traduisent par des services rendus aux occupants. Désormais, le bâtiment conjuguera performances et services.
La révolution de la productivité
Le bâtiment a pris la fâcheuse habitude d'accroître ses prix de revient chaque fois que la réglementation intensifie le niveau d'exigence, un peu comme des couches sédimentaires qui s'empilent et qui augmentent l'« épaisseur » des coûts.
Cependant, nous atteignons une limite qui va nous contraindre à repenser nos coûts de conception et réalisation. C'est ce qui s'est passé dans l'industrie automobile il y a dix ou quinze ans, au moment où les ingénieurs sont parvenus à casser cette spirale haussière en repensant tout le système, de la conception à la construction (l'exemple de la Twingo reste dans nos mémoires : non seulement le prix de sortie a été diminué, mais tous les équipements - autoradio, climatisation... - y étaient intégrés).
Peut-être que, dans les filières sèches (bois, acier...), la possibilité d'une fabrication en usine de composants ou de kits permettant un assemblage très rapide sur le chantier serait de nature à changer profondément la structure des coûts et la qualité des ouvrages.
Désormais, l'industrialisation des bâtiments n'est pas synonyme d'architecture standardisée (ce qui était le cas à l'époque où les modèles ont été rejetés...). Ainsi, quand un grand constructeur de bateaux propose à des coûts très compétitifs des modules à ossature de bois industrialisés, il prouve que l'on peut faire de l'architecture « sur mesure » avec des composants.
La révolution des modes de vie
Pour la réussite de cette grande transformation du bâtiment, la révolution des modes de vie sera à la fois déterminante et délicate à accomplir.
D'abord, un danger à éviter : ne pas construire des bâtiments dont la sophistication technique découragerait les habitants, qui auraient l'impression d'être des esclaves plus ou moins robotisés face à un environnement déshumanisé ; on ne peut s'empêcher de penser à Mon oncle, le film culte de Jacques Tati sur la modernité envahissante et rebutante.
Et puis une aspiration à faire naître : montrer que, dans ces bâtiments du futur, l'habitant aura davantage d'autonomie : parce que, d'un côté, il produira de l'énergie, récupérera de l'eau et, de l'autre, il économisera l'énergie et l'eau et utilisera des ressources recyclées. Il aura ainsi plus de liberté et donc plus de responsabilités.
Grâce à ce comportement voulu et non imposé, chacun pourra retrouver au plan local une place citoyenne et contribuer comme citoyen du monde à rendre le bâtiment, le quartier, la ville, la civilisation urbaine compatibles avec les ressources de la planète. Il y a là un pari, presque une utopie, qui peut rendre vraiment optimiste.
Dans cette révolution des modes de vie, le bâtiment peut avoir - doit avoir - une place centrale et déterminante.
À nous d'y travailler. Tous ensemble.
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