est président du Conseil des professions de la Fédération Française du Bâtiment.
Vieillissement et dépendance : encourager le maintien à domicile
Les entreprises du bâtiment n’ont pas attendu le débat national sur la dépendance pour se mobiliser sur cette question, réfléchir aux nécessaires adaptations du logement et offrir des services pointus aux maîtres d’ouvrage. L’analyse doit évidemment se poursuivre.
« Les fils de parcours de vie tiennent à la famille, à l'emploi et au logement. Quand vient l'âge de fin d'activité professionnelle, le domicile constitue un point central, objet de projets, d'initiatives et de souhait profond d'y demeurer 1. »
À l'heure d'une importante réflexion engageant, par la volonté de l'État, tous les acteurs de la société française sur les risques liés à la dépendance des personnes âgées, force est de constater que le phénomène du vieillissement de la population a été peu anticipé par nos sociétés, dans l'urbanisation des villes comme dans le tissu de l'habitat rural.
Pourtant, pour les acteurs de l'habitat, cette préoccupation est un sujet concret en soi : dans quel habitat allons nous vivre, travailler, profiter de nos loisirs, avec une population dont plus du quart aura plus de 65 ans en 2050 2 ? Quel est l'habitat à construire dès aujourd'hui, et avec quelles technologies, alors que l'offre d'accueil des structures pour personnes âgées dépendantes semble diminuer 3 en proportion, malgré les efforts consentis, et que la politique du maintien à domicile semble peiner à trouver son élan 4 ? Comment et avec quels moyens notre société souhaitera-t-elle relever le défi d'un habitat adapté au vieillissement et à la dépendance ?
Trois groupes d'âge à distinguer
Le terme de « seniors » désigne les individus âgés de 50 à 75 ans. Encore en emploi ou à la retraite, ils sont bien insérés dans la vie sociale ou économique. Ils sont en bonne santé, même si des distinctions en termes de catégories sociales mettent en évidence des différences importantes.
Les « personnes âgées » (ou les « aînés ») sont celles qui ont plus de 75 ans : c'est vers cet âge que la santé se dégrade durablement et que des vulnérabilités plus ou moins importantes apparaissent. La vie sociale est parfois moins intense et des processus de retrait commencent à s'observer.
Un sous-groupe mérite toutefois d'être distingué ici : les personnes âgées de 75 à 85 ans qui, malgré la dégradation de leur état de santé, restent autonomes (le langage courant les désigne sous l'appellation de « troisième âge »).
Enfin, les « personnes dépendantes » connaissent une perte d'autonomie et de grandes fragilités qui se traduisent par une qualité de vie dégradée. On retient le seuil des 85 ans, au-delà duquel le risque de perte d'autonomie s'accroît très fortement, pour définir le « grand âge ».
Source : Centre d'analyse stratégique, Note de veille n° 185, juillet 2010.
La dépendance s'amplifie avec l'âge
Plus de 1,1 million de personnes âgées de plus de 60 ans sont reconnues dépendantes (hors handicap) au sens de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) 5. Parmi elles - en majorité des femmes -, plus de 61 % vivent à domicile, 39 % en établissement. Si l'APA a crû de 13,8 % en moyenne entre 2002 et 2011, passant de 1,9 milliard d'euros à presque 5,5 milliards, la durée moyenne de perception de cette allocation n'est que de quatre années. Et l'Insee estime que 1,3 million de personnes seront touchées par la maladie d'Alzheimer d'ici 2020, soit une personne de plus de 65 ans sur quatre.
La poursuite de la vie à domicile (logement en habitat collectif ou en maison individuelle) s'inscrit donc bien comme l'un des facteurs centraux de la réflexion sur la dépendance. De nouveaux praticiens, ergonomes ou ergothérapeutes, viennent à présent formaliser les besoins des personnes pour leur permettre de poursuivre une vie autonome chez elles et font ainsi naître des demandes plus fréquentes d'adaptation des logements. Une nouvelle relation s'instaure entre l'occupant (propriétaire ou locataire), les médiateurs du secteur médico-social et les acteurs du bâtiment chargés d'apporter les solutions sur mesure répondant à ces besoins.
Le professeur Alain Franco, du CNR Santé 6, par sa formule « vivre chez soi, c'est fonctionner chez soi », cerne bien l'expression des besoins des personnes âgées pour leur habitat. Continuer à vivre chez soi implique de croiser des thématiques aussi différentes que complémentaires telles que le confort, la sécurité physique, l'autonomie à travers la mobilité - de façon assistée ou non -, la capacité à continuer ses activités de loisir et son développement personnel (culturel, affectif, spirituel), la santé (le domicile devient peu à peu le lieu de soins), sans oublier l'inclusion, qui implique la communication avec d'autres, la vie en société et l'utilisation des services, ainsi que la consommation.
Conserver des revenus disponibles, rester en bonne santé, vivre dans un habitat décent et accueillant, être proche de services d'aide et de soins sont les besoins fondamentaux désormais identifiés. S'il en découle notamment la nécessité d'adapter le parc de logements aux besoins et aux capacités physiques des personnes âgées ou en perte d'autonomie, il convient d'encourager aussi un habitat favorisant la mobilité et l'insertion sociale - ainsi que la poursuite de la participation à la vie démocratique - des personnes à faible mobilité par la proximité des services (y compris ceux des aidants ou des professionnels de santé), l'amélioration des équipements et du mobilier urbain, et par des transports collectifs adaptés.
De nombreuses initiatives
Les données du baromètre de l'entretien-rénovation (1er trimestre 2011) montrent une augmentation des travaux d'adaptation des logements au handicap et au vieillissement. Quelques exemples viennent illustrer la mise en place d'instruments d'accompagnement du vieillissement et de la dépendance.
Dans le département du Rhône, le conseil général a lancé en 2010 une charte de l'habitat adapté (« Rhône + ») dont l'objectif est de produire, dans le neuf ou en réhabilitation et tant en accession à la propriété que dans le secteur libre locatif ou dans le locatif social, un vaste programme de logements adaptés à la dépendance.
Dans la Creuse, le pôle d'excellence rurale (PER) « Domotique et santé » de Guéret prévoit un plan de sept actions interdépendantes, dont deux, conduites par le conseil général, portent sur la mise en place d'une expérimentation de produits et services domotiques dans les établissements recevant des personnes dépendantes ou sur le développement de packs domotiques à destination du domicile privé des personnes à autonomie réduite (dispositif Domo Creuse assistance).
Dans un autre registre, les mutuelles, à l'instar de PRO BTP et de son contrat « complément dépendance BTP », mettent en place les outils mutualistes qui permettront aux personnes encore autonomes d'avoir accès à des aides à domicile dès l'âge de 60 ans et d'anticiper une dépendance éventuelle, en prévoyant un hébergement en établissement spécialisé ou encore en réalisant un audit de l'habitat pour envisager des travaux d'adaptation.
Les acteurs doivent se mobiliser
Dès 2006, la FFB avait mis en place des cahiers des charges de formations à l'adaptation des logements ou des établissements recevant du public (ERP), avec des partenaires comme la Fédération nationale des Pact, le Centre national d'innovation santé, autonomie et métiers (avec la chambre régionale des métiers du Limousin) ou le Centre d'information et de conseil en aides techniques (Alsace).
Une étape vient d'être franchie avec l'annonce du lancement de la marque Les Pros de l'accessibilité®. Elle permettra aux maîtres d'ouvrages publics ou privés comme aux particuliers de faire appel à des entreprises à la fois formées aux bonnes pratiques et à la réglementation liée à l'accessibilité, sensibilisées aux besoins d'autonomie des personnes, qualifiées dans leur métier et signataires de la charte des entreprises écoresponsables, « Bâtir avec l'environnement ». Ces entreprises savent bâtir les offres spécifiques répondant aux besoins très variés de l'habitat adapté et fournir le conseil et le suivi attendus de leurs clients.
Les professionnels de l'acte de construire ne peuvent faire l'impasse sur de tels enjeux, qui détermineront le paysage bâti des toutes prochaines années. Le rapport « Vivre chez soi » transmis en juin 2010 par Nora Berra, alors secrétaire d'État chargée des Aînés, posait les principaux jalons :
- les responsables de l'urbanisme et de l'aménagement devraient mieux prendre en compte le profil de la population au regard des enjeux liés aux territoires et à leurs spécificités ;
- le potentiel d'accueil des personnes âgées dans les centres urbains devrait faire l'objet d'une analyse approfondie, en prenant en compte la proximité des services, mais aussi avec l'objectif de faciliter l'intégration sociale et les relations de voisinage, ce qui parfois suppose d'améliorer l'accessibilité et l'environnement de ces centres urbains ;
- la création de nouvelles catégories de logements sociaux dédiés aux aînés, bien insérés au sein même de la population active plus jeune, pourrait être l'une des premières pistes d'action 7.
L'opportunité d'adapter massivement des logements où vivent les personnes âgées avant même d'être dépendantes mérite réflexion. Les évolutions technologiques permettront d'autres bénéfices encore, en lien avec une gestion économe de l'énergie et avec la santé. Les entreprises du bâtiment, prestataires de proximité, sont d'ores et déjà prêtes pour ces changements importants, qu'elles anticipent en développant des offres nouvelles qui reposent sur une approche globale, moins cloisonnée par métiers.
- Muriel Boulmier, directrice générale du groupe Ciliopée, présidente du groupe de travail « Évolutions démographiques et vieillissement » du Cecodhas (Fédération européenne du logement social, public et coopératif).
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Voir les données 2010 de l'OCDE sur le vieillissement des pays membres et le tableau ci-dessus.
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Se reporter aux publications de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère du Travail (étude EHPA et répertoire Finess 2010). La vie en maison de retraite ne devient le mode de vie majoritaire qu'après 100 ans (source Insee 2007).
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Voir par exemple à ce sujet l'étude Drees-Orsmip de 2007 : http://www.orsmip.org/tlc/documents/syntheseDREES.pdf.
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L'état de dépendance résulte d'un besoin de recours à un tiers pour réaliser les activités de la vie courante. La dépendance est évaluée activité par activité (se laver, s'habiller, se déplacer, etc.).
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Centre national de référence santé à domicile et autonomie : http://www.cnr-sante.fr/le-cnr-sante/.
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Pouvant s'inspirer par exemple du dispositif CIL-Pass assistance créé par Action logement.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2011-6/vieillissement-et-dependance-encourager-le-maintien-a-domicile.html?item_id=3104
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