Michel PIRON

Ancien député de Maine-et-Loire et président du Conseil national de l'habitat, rapporteur d'une proposition de loi sur l'urbanisme commercial (2010-2012).

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Accessibilité et handicap : une réglementation à repenser

Se poser les bonnes questions sur le juste niveau d'accessibilité des logements et autres types de bâtiments devrait conduire les parties prenantes à réfléchir à un niveau de réglementation plus adapté à nos besoins et à nos moyens financiers. En s'affranchissant de la crainte de la résonance médiatique de l'émotion.

Est-on allé trop loin dans la réglementation en faveur de l'accessibilité des bâtiments aux handicapés ?

Michel Piron. Les textes ont clairement posé le « mieux » comme obligation. Malheureusement, dans un certain nombre de cas, cela contraint les maîtres d'ouvrage à ne pas pouvoir faire le « bien » ! Je ne prendrai qu'un exemple, celui d'une petite commune rurale de mon département : le conseil municipal voulait installer dans les combles de sa mairie, proche de l'école, une bibliothèque destinée aux enfants. Pour accéder à cette salle il y avait un escalier, et la commune n'avait pas les moyens de financer un ascenseur. Elle a dû renoncer à son projet. Pourtant, on peut très bien imaginer qu'un enfant handicapé puisse accéder à cette salle en étant porté par des adultes ou que l'on puisse lui descendre des livres... En imposant le « mieux », il est clair que la réglementation a empêché la commune de faire le « bien ».

Le principe d'égalité de traitement ne s'impose-t-il pas ?

Il y a confusion entre égalité des chances et identité des situations : tous les êtres humains ne sont pas identiques, et on devrait rechercher des réponses adaptées à la diversité des situations et des personnes. On est aujourd'hui dans un travers très français : l'uniformité réglementaire n'apporte pas toujours la meilleure solution.

Que faudrait-il faire ?

D'abord, je pense que, pour les questions liées au handicap, il faudrait pouvoir s'affranchir de la crainte de la résonance médiatique de l'émotion et engager une véritable réflexion sur ces sujets. Comment définir le handicap ? Quelles différences peut-on faire entre mobilité réduite et dépendance ? En matière d'accessibilité, quelle proportion de logements doit être concernée ? Comment évaluer les besoins afin de définir cette proportion ? Toutes les constructions doivent-elles répondre aux mêmes normes, et doit-on appliquer celles-ci partout en France ? Faut-il faire en sorte que tous les logements neufs soient accessibles ou accepter qu'ils soient seulement « potentiellement » accessibles ?

Je pense que l'on devrait d'abord se reposer toutes ces questions. On voit bien que si tous les logements neufs sont construits aujourd'hui avec des couloirs surdimensionnés, cela conduit à des surcoûts et à la réduction des autres espaces de vie... Est-ce toujours justifié ? Nos moyens sont-ils utilisés au mieux, non seulement économiquement, mais aussi socialement ? Si on avait des objectifs plus concrets et adaptés aux besoins réels de logements accessibles, combien de logements supplémentaires pourrait-on construire ? La loi apporte-t-elle de bonnes réponses non seulement juridiques mais aussi concrètes aux problèmes du handicap ?

Je souhaite mettre en place au sein du Conseil national de l'habitat un groupe de travail rassemblant toutes les parties prenantes (associations de handicapés, maîtres d'ouvrage, concepteurs, constructeurs, représentants des locataires, collectivités locales...) pour réfléchir à ce que pourrait être une amélioration de notre réglementation.

Ces questions ne concernent pas que le logement...

Oui, bien sûr, d'autant que l'accessibilité aux lieux publics ou aux modes de transports est parfois un objectif impossible à atteindre. Prenons le cas de cette mairie classée où une salle de réunion publique se trouve à l'étage. La municipalité voulait installer un ascenseur, mais c'est l'architecte des Bâtiments de France qui a refusé et a conseillé... de construire une autre mairie ! On se trouve face à des exigences contradictoires de politiques menées par des ministères différents. Cela devrait nous interroger. Est-ce que tout Versailles est accessible aux handicapés ? Est-ce que tous les châteaux classés de France le sont ?

Des rues entières de nos villes sont constituées de petits commerces de proximité qui ne peuvent pas toujours être rendus accessibles aux handicapés, sauf à réduire à presque rien leur surface commerciale ou à empiéter sur la chaussée... On est là devant de réelles impossibilités. Doit-on pour autant fermer ces petits commerces qui apportent un vrai service à la collectivité ?

Sachons raison garder et évitons d'afficher de fausses bonnes réponses... Et n'oublions pas que la solidarité, la générosité, la fraternité requièrent des réponses non seulement institutionnelles mais également individuelles qui permettent à des personnes valides d'aider les handicapés. La réponse au handicap n'est pas uniquement collective. On doit réfléchir à l'éducation et au vivre-ensemble - ce qui se fait ici et là, ponctuellement, à travers des manifestations de solidarité ou plus durablement - car, dans un bon nombre de cas, des initiatives individuelles doivent prendre le relais de la réglementation imposée par la puissance publique. La collectivité n'a pas forcément réponse à tout.

La question de la dépendance se pose également pour l'adaptation des bâtiments...

Oui. Une réflexion sur cette question doit être menée, et je pense qu'elle le sera « par porosité », grâce au grand débat sur la dépendance engagé par la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, Roselyne Bachelot-Narquin.

Là aussi, toutes les parties prenantes devront être associées, mais je crois que ce sera moins difficile car une grande partie de la population se sent concernée familialement, à un degré ou un autre, par les conséquences du vieillissement.

Ma crainte est toutefois que ce débat sur la dépendance occulte celui, tout aussi nécessaire, sur l'accessibilité et le handicap...

Avez-vous une estimation du coût de la réglementation sur l'accessibilité ? Ce coût ne justifie-t-il pas à lui seul une remise en cause de cette réglementation ?

Certains chiffres ont été avancés (jusqu'à 40 milliards d'euros), mais ils restent très incertains si l'on intègre la totalité des bâtiments publics et pas seulement les budgets.

Compte tenu de tels montants, on peut imaginer que de nombreuses collectivités ne pourront respecter l'échéance 2015. D'où la réflexion à poursuivre, à la fois sur les priorités et sur un rythme soutenable de travaux.

Reconnaissons-le : ce dossier, parce qu'il peut susciter beaucoup d'émotions et de « fausses générosités réglementaires », est particulièrement difficile à aborder politiquement et médiatiquement.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2011-6/accessibilite-et-handicap-une-reglementation-a-repenser.html?item_id=3105
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