Michel PIRON

Ancien député de Maine-et-Loire et président du Conseil national de l'habitat, rapporteur d'une proposition de loi sur l'urbanisme commercial (2010-2012).

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Urbanisme commercial : il est urgent d'agir

Il convient de mettre un point d'arrêt à la dévitalisation des centres des villes moyennes et petites. Pour cela, une révision en profondeur des textes régissant les implantations commerciales en France s'impose.

Comment analysez-vous la situation du commerce dans les centres des villes moyennes ou petites ?

Michel Piron. Depuis près de quarante ans, nous assistons à une dévitalisation des centres-villes au profit de la périphérie avec des conséquences très claires : une forte dégradation des entrées de ville et des problèmes d'accès aux services de proximité de première nécessité pour les habitants des villes et des villages.

Cette situation ne cesse de s'aggraver, car la grande distribution a connu un développement important en achetant du foncier moins cher en périphérie des villes, au prix d'une consommation d'espace considérable.

C'est un phénomène très français ?

Nous avons développé en France un modèle fondé sur une libre concurrence sans cadre et nous n'avons pas su en maîtriser les effets urbains. La situation a été beaucoup mieux anticipée et contrôlée en Allemagne, voire aux Pays-Bas, en Suisse ou en Italie, notamment. En Allemagne, exemple particulièrement intéressant, on a compris que l'urbanisme monofonctionnel contraint les gens à trop de déplacements et on encourage donc la mixité des activités dans les centres. À Berlin, Cologne ou, mieux encore, Düsseldorf, les autorités ont obligé les grands commerces à s'installer dans des zones précises, avec des parkings souterrains ou en surélévation. Pour la collectivité, c'est efficace et infiniment moins coûteux en termes de transports en commun, alors que le choix de la verticalité réduit la consommation d'espace. On y retrouve un peu le modèle du XIXe siècle et la qualité de vie qu'il permettait, avec un mix de commerces au rez-de-chaussée, de logements et de bureaux en étages.

En France, on déplore volontiers la désertification des centres des villes moyennes, mais au-delà de cette déploration, force est de constater notre impuissance totale à réguler le phénomène, avant tout parce que nous avons un urbanisme commercial d'exception, qui ne relève pas des procédures d'urbanisme de droit commun, et s'exonère donc de toute exigence de vision globale quant à l'urbanisme et l'organisation de la cité.

Que voulez-vous dire ?

En France, l'aménagement du territoire (ou ce qu'il en reste) s'appuie concrètement sur un code de l'urbanisme, des schémas de cohérence territoriale (Scot), d'autres documents (qu'on a multipliés) et le principe du permis de construire. Il n'en va pas de même pour les surfaces commerciales, qui sont soumises à une autorisation commerciale, d'une part, et à une autorisation d'urbanisme, d'autre part, la surface commerciale ne nécessitant pas d'autorisation préalable ayant été portée de 300 à 1 000 mètres carrés en 2008.

Dans les années 1980, afin de lutter contre l'inflation, on a favorisé une concurrence maximale, privilégiant la libre installation des surfaces commerciales au détriment, le plus souvent de la qualité de l'aménagement des territoires. En d'autres termes, l'idée même d'aménagement du territoire s'est retrouvée, au mieux, reléguée ou a disparu.

Que faut-il faire ?

En 2008, je n'ai pas voté la loi de modernisation de l'économie (LME), qui a notamment permis la dispense d'autorisation en dessous de 1 000 mètres carrés de surface commerciale. Elle a accentué le désordre dans l'urbanisme commercial et a été suivie par des décrets d'application dans lesquels figuraient des chiffres erronés, qui, avant d'être corrigés, ont permis une explosion des surfaces commerciales en périphérie urbaine dans les mois qui ont suivi ! Les effets déplorables de cette loi ont même été dénoncés a posteriori par son rapporteur, Patrick Ollier.

En 2010, le Grenelle 2 affichait de bonnes intentions en fixant diverses exigences en matière d'implantation des surfaces commerciales, mais ses critères étaient trop imprécis pour devenir opérationnels, si bien que la situation a continué à se dégrader.

En 2010, j'ai donc été, avec Patrick Ollier, à l'origine d'une proposition de loi réformant l'urbanisme commercial, visant à mettre un peu d'ordre et à faire rentrer l'urbanisme commercial dans le code de l'urbanisme général. Notre volonté était qu'il y ait une seule autorisation, le permis de construire, et que le schéma de cohérence territoriale (Scot intercommunal) devienne le document d'urbanisme majeur pour les implantations commerciales également. Il s'agissait, en effet, de permettre que ce document détermine les localisations préférentielles des commerces en fonction de certains critères d'aménagement du territoire : revitalisation des centres-villes, cohérence entre les commerces, desserte en transports, maîtrise des flux de personnes comme de marchandises, consommation d'espace, protection de l'environnement et des paysages... Ces Scot auraient intégré des documents d'aménagement commercial (DAC) précisant ces critères. À défaut de Scot, les exigences auraient pu être inscrites dans un plan local d'urbanisme (PLU) intercommunal ou dans un DAC intercommunal.

Cette proposition n'a jamais débouché sur une loi...

C'est exact, malheureusement. Pourtant, après son approbation en première lecture à l'Assemblée et avant son passage au Sénat, nous avions amélioré ce texte avec le sénateur Dominique Braye. Il s'agissait d'un travail à la virgule près, destiné à donner enfin aux élus les moyens de lutter contre la désertification des centres des villes et des bourgs en libérant les installations de commerces dans les centres et en n'autorisant des implantations de nouvelles surfaces dans les zones périphériques que si elles respectaient des conditions de taille et de typologie clairement encadrées, à l'instar (bien qu'adoucies) du modèle allemand.

En outre, suivant la même logique, nous avions prévu la suppression de la Commission nationale d'aménagement commercial (Cnac), beaucoup trop obscure à nos yeux, ainsi que celle des commissions départementales, remplacées par des commissions régionales composées d'élus et de fonctionnaires pour vérifier le respect des règles d'implantation.

Enfin, parce qu'on nous disait que l'Europe s'opposerait à ce type de réforme, alors que nous pensions que l'interprétation franco-française était seule responsable des excès d'une libre concurrence sans cadre, nous avions rencontré en février 2011, Guido Berardis, directeur du secteur des services à la direction générale du marché intérieur de la Commission européenne. Il nous avait assurés de son accord avec le texte validé en commission sénatoriale, et avait même déclaré qu'il s'agissait d'un texte exemplaire susceptible de servir de modèle à d'autres pays européens !

Hélas, le texte adopté au Sénat n'est jamais revenu à l'Assemblée, car il n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour avant la fin de la session parlementaire, début 2012. Des intérêts puissants ont dû veiller à ce qu'il soit enterré ! Ajoutons que le texte n'est pas reparu non plus pendant le quinquennat de François Hollande.

Le moment est-il venu de l'exhumer ?

Il suffirait pour cela de le sortir du congélateur où on a laissé sa version sénatoriale depuis 2012 !

Il y a là un enjeu considérable. Les débats pendant les dernières élections, la montée des extrêmes, particulièrement dans les villes petites et moyennes qui souffrent trop et depuis trop longtemps dans notre pays, devraient nous interroger plus largement et sérieusement, comme l'ont montré Éric Giuily et Olivier Régis dans leur ouvrage Pour en finir vraiment avec le mille-feuille territorial 1.

C'est un choix politique qui doit être effectué au plus haut niveau. Je suis d'ailleurs convaincu (pour l'avoir constaté) que, tous partis confondus, il existe un consensus très majoritaire sur sa nécessité.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2017-11/urbanisme-commercial-il-est-urgent-d-agir.html?item_id=3618
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