© Emma Rebato

Daoud BOUGHEZALA

Rédacteur en chef de Causeur.

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Vierzon : traversée d'un désert commercial

Comme un nombre croissant de villes françaises, Vierzon voit ses commerces de proximité se raréfier. Malgré des projets de réaménagement urbain, le spectre de la désertification guette cette cité en quête d'un centre-ville 1

De Vierzon, je n'ai longtemps connu que la chanson de Brel et la conurbation autoroutière. Si la sous-préfecture du Cher, 27 000 habitants, défraie rarement la rubrique des scandales, est-ce parce qu'il y fait bon vivre ? Une rapide recherche Google me conduit vers le blog Vierzonitude 2, dont l'auteur appartient à la vaste conjuration des lanceurs d'alerte. Rémy Beurion couche sur la Toile ce que les Vierzonnais constatent au quotidien : le centre-ville se vide de ses commerces. C'est bien simple : sur les 48 pas-de-porte d'une rue piétonne du centre, 32 se seraient fait la malle !

« Vierzon la rouge », foyer du tracteur et de la machine agricole, Rémy en connaît chaque essieu. Entre autres griefs, il reproche à la nomenklatura locale d'avoir tourné le dos à l'identité prolétaire vierzonnaise. « Je me sens fils d'ouvrier dans l'âme. Mon père travaillait chez LBM, un fabricant de presses hydrauliques pour l'industrie automobile. Jusqu'à aujourd'hui, l'entreprise est restée une Scop ! » me raconte-t-il en faisant tintinnabuler ses oreilles percées. Ce vestige des Trente Glorieuses témoigne de l'âge d'or vierzonnais, apparu avec la révolution industrielle et dont le bâtiment de l'ancienne usine Case constitue le symbole fossilisé. « C'est ce qu'on appelle la "cathédrale" de Vierzon », m'explique Rémy en me désignant une enfilade de façades en verre rénovées abritant une grande friche en face de la gare. Jusqu'en 1996, l'usine de machines agricoles y employait 280 salariés, et voilà qu'aujourd'hui « on y trouve le plus beau bowling de France, un grand cinéma multiplex et même pas un musée du Tracteur. Et dire que tout cela a coûté 5 millions d'argent public ! » rumine le blogueur. La cryogénisation du passé ne passe plus.

Une ville éclatée

« Il y a une chose que personne ne prend en compte, c'est que la commune formait quatre villages avant-guerre », corrige le vétéran François Dumon, élu municipal PCF depuis une quarantaine d'années, adjoint au commerce et président de la communauté de communes Vierzon Sologne Berry. On chercherait en vain le centre-ville d'une commune déchirée entre sa périphérie (Vierzon-Villages), sa vieille cité (Vierzon-Ville), son cœur industriel (Vierzon-Forges) et ses anciennes habitations à loyer modéré devenues zone pavillonnaire (Vierzon-Bourgneuf).

L'étalement urbain d'une ville plus étendue que Nice n'aide pas à revivifier des quartiers désunis. « Il n'y a rien entre Vierzon-Ville et Vierzon-Forges, seulement une route au milieu », peste Rémy. Des bus RATP (!) assurent la navette, mais seule la petite proportion d'habitants motorisés (26 %) peut surmonter le cloisonnement par quartiers. « Si vous allez dans les quatre anciens centres-villes, vous verrez qu'il y a des commerces partout ! » me rassure néanmoins François Dumon.

Aux dernières nouvelles, les indicateurs économiques seraient repassés au vert : le chômage de catégorie A a baissé de 5,2 % à Vierzon l'an passé, notamment parce que des usines déjà implantées réinvestissent des millions d'euros dans leurs outils de production (roulements à billes Koyo, enseignes lumineuses Signall, moteurs hydrauliques Parker...).

Malgré cette légère embellie, le coeur de la ville s'apparente à un désert commercial. Qu'il paraît loin le temps où, l'été venu, l'avenue de la République s'encombrait de centaines de voitures embouteillées sur la route des vacances au carrefour entre RN 76 et RN 20 ! Ces deux dernières décennies, le contournement de ce carrefour historique par l'autoroute se paie par la désertion des bistrots et des magasins de proximité. Les Vierzonnais respirent, leurs commerçants soupirent !

Délinquance en centre-ville

« Les boulangeries ferment, on ne trouve plus que du Patàpain industriel », me glisse Pierre Victor, un cadre scolaire muté à Vierzon. La faute aux grandes surfaces ? Pas seulement. Certes, les galeries marchandes de Bourgneuf et Vierzon-Villages concentrent les commerces. Loin d'incriminer les zones d'activité commerciale (ZAC), bien des riverains montrent du doigt les auteurs d'incivilités en centre-ville. Si bien que Le Figaro s'est fendu d'un article alarmiste 3 comparant Vierzon... à Chicago. « Ce papier a beaucoup choqué les commerçants. On n'est pas Marseille ! » relativise François Dumon, non sans reconnaître un pic de délinquance au début de l'an dernier. Du deal dans la rue piétonne Joffre, en plein centre historique montant vers le beffroi, cela faisait désordre. De même que le caillassage d'une boutique de vêtements aujourd'hui fermée, après que sa patronne eut dénoncé à demi-mots le trafic de drogue. « Les coupables ont été arrêtés. On a mis en place des caméras de vidéoprotection pour identifier les auteurs de délits et ça marche », me certifie l'élu en se retranchant derrière les coupes dans les effectifs policiers réalisées sous le quinquennat Sarkozy.

Mon ami berrichon Pierric Guittaut, auteur de polars ruraux, me confirme l'ancienneté du phénomène : « Il y a quinze ans, Vierzon était une telle zone de relégation totale que "Vierzonnais" a été assimilé dans les expressions locales à "cas social". » Au Carrefour République, à deux pas de l'Arche Hôtel, ce chancre de béton érigé en 1990 dans le plus pur style brejnévien, je remarque de drôles de zigs. Fagotés comme l'as de pique, ils carburent à la bière dès potron-minet. Des épouvantails pour les petits vieux de la périphérie. Sur les hauteurs de Bourgneuf, les retraités de la cité de Chaillot ont déjà basculé dans l'escarcelle du FN. Si, contrairement à l'adage, tous ces anciens électeurs communistes ne se sont pas fait cambrioler deux fois, beaucoup éprouvent un sentiment d'insécurité diffus. « Si ça continue, Vierzon sera Hénin-Beaumont en 2020 ! » s'inquiète Rémy Beurion.

C'est en sa compagnie que j'arpente la rue Joffre. Sans égaler la munificence du Vieux Bourges voisin, le cachet de cette allée piétonne entourée de maisons à colombages n'est pas sans charme. Cela n'a pas suffi à enrayer la bérézina commerciale. Sur les innombrables vitrines ceintes de panneaux « À vendre », les mots des commerçants ayant lâché l'affaire font figure d'ex-voto adressés à leur clientèle. Il n'est pas rare de croiser des portes closes d'anciens magasins surmontées de logements vétustes ou insalubres.

Un plan de requalification urbaine

Pour y remédier, la mairie s'était appuyée ces dernières années sur une société d'économie mixte. Achat, rénovation, revente : une demi-douzaine de boutiques de vêtements ou de décoration ont ainsi été déplacées avenue de la République, en direction de la gare. « Tous les bureaux d'études qu'on a consultés nous disent que, pour relancer le commerce en centre-ville, il faut le reconcentrer dans une rue redynamisée », explique François Dumon.

Histoire de ravir riverains et — futurs — touristes, un ambitieux plan de requalification urbaine sera bientôt lancé. Au programme, l'ouverture aux vélos du canal de Berry et la construction d'une « ville sur l'eau » magnifiant les atouts naturels de Vierzon, traversée par quatre rivières (l'Yèvre, le Cher, le Barangeon, l'Arnon) et le canal de Berry. Du bas de l'avenue de la République aux abords de l'Arche Hôtel, la démolition-reconstruction de tout un îlot fera la part belle au jardin Art déco, jusqu'ici caché par l'immeuble des Nouvelles Galeries, fermées depuis belle lurette. « Ça risque d'être chouette ! » s'enthousiasme déjà l'adjoint au commerce, pour une fois rejoint par Rémy Beurion. « L'immeuble emblématique des Nouvelles Galeries va tomber, ainsi que tous les autres bâtiments derrière jusqu'à la mairie. C'est formidable, mais que va-t-on mettre à la place ? » s'interroge le blogueur. Réponse à l'horizon 2020.

Outre son paysage naturel, Vierzon possède quelques atouts. Ses immeubles de rapport et le restaurant gastronomique Les Petits Plats de Célestin font la fierté de la bourgeoisie environnante. Et force est de reconnaître que l'édile communiste n'a pas bradé l'identité de la ville aux hypermarchés. Certes, les supérettes franchisées font la pluie et le beau temps à Vierzon-Ville, mais le maire a eu la prescience de refuser l'extension de la ZAC nord, l'Orée de Sologne. À trente minutes de là, Bourges n'a pas eu la même sagesse. Deux nouvelles zones commerciales y sont en cours d'édification, ce qui laisse craindre à ses habitants des lendemains qui déchantent...

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2017-11/vierzon-traversee-d-un-desert-commercial.html?item_id=3609
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