© Bertrand Pichène

Yves DAUGE

Ancien sénateur et maire de Chinon, président de l'Association des centres culturels de rencontre et de l'Association des biens français du patrimoine mondial, président d'honneur de Sites et cités remarquables.

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Sauver les centres des villes petites et moyennes

Face à la désarticulation des territoires et au déclin, voire à la mort, de nos centres anciens, le réenchaînement est-il possible ? La mise en oeuvre d'une série de propositions contenues dans le plan national en faveur des nouveaux espaces protégés doit y contribuer.

Nous devons toujours avoir un regard sur l'ensemble de notre pays, sur les territoires si différents les uns des autres qui le composent, pour traiter les multiples aspects de la désarticulation ou du risque de désarticulation qui les caractérisent et qui les menacent. En effet, tout se combine dans des processus d'éclatement qui conduisent à l'abandon de quartiers, de villes, d'espaces ruraux et donc de populations...

Mais on doit penser dans le même temps que tout peut se réenchaîner grâce à des processus d'alliances pour rétablir des liens, des échanges et pour créer aussi de nouveaux courants, créateurs de richesses. C'est avec cette vision qu'il faut réaborder la question de la renaissance des centres historiques de plusieurs centaines de nos villes petites et moyennes en déclin au cœur d'une France oubliée, villes hier souvent prospères, célèbres, proches des pouvoirs...

Pour bien comprendre notre pays, la façon dont il fonctionne ou dysfonctionne, il faut avoir à l'esprit cet autre versant d'une France oubliée, loin des pouvoirs, qui vit le même sentiment d'abandon : la France des banlieues. Si bien des différences les séparent, ces deux problématiques illustrent à leur façon l'éclatement des territoires et sont victimes des mêmes incompréhensions et ruptures.

Entre ces deux versants se concentrent les forces de la croissance, celles des institutions, des centres de décisions économiques et politiques. Ce monde du pouvoir « tourne sur lui même », ne voit pas, ignore, ne comprend pas ce qui se passe ailleurs. Ses interventions, l'argent qu'il dépense (car il en dépense !) ne font trop souvent que retarder les évolutions du déclin ou occulter des réalités et bloquer les réformes nécessaires.

Dans les deux cas il manque de la part des politiques une compréhension profonde des causes et des situations vécues par les habitants qui se révoltent ou perdent confiance. On attend donc au plus haut niveau de l'État une parole forte qui donne du sens et fédère les acteurs, les actions, autour des thèmes du réenchaînement entre territoires, de la construction des alliances et de la réinvention de nos politiques.

La ville tout entière

La première application de cette approche, c'est la conviction qu'il faut travailler sur la ville tout entière en reliant le centre et la périphérie avec une même vision, un même projet global. On sait malheureusement que les élus, comme l'État, conduisent le plus souvent des politiques contradictoires, au coup par coup, qui contribuent à l'abandon du centre et au grand désordre d'un urbanisme pavillonnaire, coûteux, consommateur d'espace agricole et naturel, destructeur de paysages. On ne peut espérer sauver nos centres si l'on poursuit dans cette voie. Ceux qui s'engageront dans le plan national que j'ai proposé 1 devront prendre des décisions courageuses, traduites en particulier dans les documents d'urbanisme.

Le désenclavement

Mais cela ne suffit pas, car nos villes trop seules et isolées ne pourront réussir si on ne les aide pas à construire ou reconstruire le faisceau des relations indispensables à la vie quotidienne des habitants. Cet objectif impose l'alliance avec les plus grands centres urbains. L'État, les départements et les régions doivent en être convaincus et agir en ce sens. C'est particulièrement vrai pour la question de la mobilité. Il est impératif de traiter la question du désenclavement physique : maintien ou même réouverture de lignes de chemin de fer, de lignes de cars à tarifs réduits (à l'exemple de départements comme le Vaucluse, l'Hérault, le Gard), création de parkings d'accès au covoiturage. Cette mobilité nouvelle à trouver est indispensable pour les villes petites et moyennes, mais aussi pour les territoires ruraux pour lesquels ces villes constituent des pôles de centralité.

Le désenclavement, c'est peut-être — et surtout maintenant — celui des communications téléphoniques, Internet et haut débit. Sur ce plan, la situation est devenue catastrophique. Le sentiment dans nos territoires délaissés, c'est que l'État a abandonné la partie, malgré les annonces, face à des opérateurs qui n'agissent pas.

Pendant ce temps, paradoxalement, les pays en voie de développement prennent de l'avance sur nous grâce aux liaisons satellitaires. Le Sénat a travaillé sur ce point avec sa commission des affaires économiques et fait des propositions. Cet obstacle au développement est devenu crucial.

Les alliances entre petites et grandes villes

Le thème des alliances entre petites et grandes villes est à décliner dans tous les autres domaines : la santé, l'éducation, la culture, le tourisme. Toutes nos grandes institutions publiques très présentes dans les grands centres urbains, financées par l'État, les régions, les départements, doivent s'obliger elles-mêmes ou être obligées par une forte volonté de l'État à créer des relations permanentes avec les villes moyennes et petites qui les environnent. Il faut prendre aussi en compte et s'appuyer sur les initiatives de la société civile. Il faut casser des frontières, c'est possible, et cela a déjà pu se faire avec succès dans certains territoires. Il faut que chacun pense politique régionale, refuse le cloisonnement institutionnel, mal français profond, pense décentralisation, coproduction de services, mobilisation de ressources locales inexploitées qui enrichissent ceux qui s'ouvrent hors de leurs champs d'action.

La réévaluation des politiques du logement

Simultanément à cette action globale portant sur la réanimation de ces fonctions urbaines essentielles, une priorité absolue doit être donnée à l'habitat en centre-ville : sans habitants en centre-ville, la ville meurt. Cela suppose une sérieuse réévaluation des politiques actuelles du logement qui sont arrivées au bout de leurs possibilités et même créent des effets pervers. Cela suppose également que les plans de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) et les plans de valorisation de l'architecture et du patrimoine (PVAP) prennent en compte la nécessité de moderniser les quartiers historiques, de prévoir les possibilités de profondes transformations pour y faire revenir les habitants. Ceux-ci demandent en effet des logements plus spacieux, plus confortables, sans humidité, lumineux, avec des parkings proches voire intégrés, des commerces de proximité, des espaces de détente et de jeux pour les enfants. Autant d'objectifs qui imposent de vraies opérations d'urbanisme à l'échelle d'îlots ou de rues entières, avec sans doute plus de démolitions et de restructurations.

À Bayonne, à Troyes, à Chinon, à Figeac et dans d'autres villes encore, de tels projets ont été conduits avec succès et le soutien des Architectes des bâtiments de France. Mais pour développer cette nouvelle génération d'opérations, les villes, sans moyens d'études et sans compétences suffisantes, ont besoin de l'appui d'un savoir-faire qu'il faut organiser au niveau national et régional entre l'État et les régions avec l'aide de professionnels. L'Architecte des bâtiments de France, débordé dans des villes en déclin, ne peut agir seul, mais s'il est accompagné, porté par un projet, son rôle se transforme en celui d'un conseiller apprécié.

Dans cette perspective la direction générale du patrimoine du ministère de la Culture, en lien avec la direction chargée de l'habitat et de l'urbanisme et le Commissariat général à l'égalité des territoires, qui a la responsabilité de la mise en œuvre du plan national, pourrait créer une mission d'aide à la maîtrise d'œuvre urbaine et patrimoniale. Cette mission appuierait les directions régionales des affaires culturelles, les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement avec le soutien des régions et des villes, afin d'identifier un programme d'opérations urbaines et patrimoniales en centre historique. Il s'agit de rédiger les cahiers des charges des études à conduire, d'organiser les concours et de participer à leur financement, de rechercher les opérateurs publics et privés, de mobiliser l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et l'Agence nationale de l'habitat (Anah), dont le rôle doit être renforcé, et enfin d'aider au montage financier des projets.

Grâce au développement d'un tel programme, nous devons être capables de donner une visibilité, une attractivité à nos villes les plus modestes comme ont su le faire nos grandes villes. Nous démontrerons que l'on peut aussi dans ces petites villes être dans la modernité, créer de l'architecture contemporaine, des espaces publics exceptionnels, mais aussi des services et des commerces de proximité, un habitat et un cadre de vie uniques au cœur d'un patrimoine urbain remarquable.

La recréation du commerce en centre-ville

Au centre de cette démarche et du thème des alliances à recréer, la situation du commerce est sûrement la conséquence la plus grave de politiques contradictoires. La France est le pays d'Europe où l'on développe le plus les surfaces périphériques. Cette folie a un impact considérable sur la désertification des centres.

Le plan national proposé demandera aux villes qui s'y engagent un moratoire sur la création d'espaces commerciaux périphériques pendant le temps nécessaire pour réfléchir, remettre des moyennes surfaces au centre-ville et concevoir des projets extérieurs mesurés, équilibrés, justifiés. L'État de son côté a été complice de ce désastre. Les textes sont beaucoup trop laxistes 2, la commission départementale des équipements commerciaux est soumise à toutes les pressions, elle doit être transférée au niveau régional et sa composition revue, les critères resserrés et le Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) reconstruit.

Un plan paysager d'ensemble

En outre, de telles opérations permettront de rééquilibrer la relation avec la périphérie, en augmentant l'offre de logements en centre-ville et en remettant en cause la conception des opérations urbaines périphériques. La juxtaposition des lotissements ou de constructions isolées le long des entrées de ville doit être abandonnée au profit de projets plus denses, mieux élaborés au plan architectural et environnemental.

Les villes devront travailler avec l'aide des parcs naturels régionaux (PNR) et des agences d'urbanisme proches à un développement cohérent et à l'élaboration d'un plan paysager d'ensemble. Il faut sauver nos centres historiques mais on ne peut continuer à détruire et défigurer les abords de nos villes : double échec, double défi !

On voit donc que les propositions du plan national s'inscrivent dans une vraie révolution des comportements. C'est un renversement des politiques actuelles qu'il convient de conduire, avec un engagement politique déterminé.

Le seul investissement qui compte alors, c'est celui de l'intelligence, de la maîtrise d'œuvre urbaine sociale et patrimoniale, de la réforme institutionnelle, de la formation, c'est surtout celui en faveur de l'éducation et de la culture pour changer les comportements.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2017-11/sauver-les-centres-des-villes-petites-et-moyennes.html?item_id=3616
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