Hervé THÉRY

Directeur de recherche émérite au CNRS-Creda, professeur à l'université de São Paulo (USP), codirecteur de la revue Confins (confins.revues.org) et du blog de recherche Braises (braises.hypotheses.org).

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Brésil : déprise et croissance sans assistanat

Il n'est pas dans la culture brésilienne de demander de l'aide ou même l'assistance de l'État dans les territoires en crise. Quand vient à manquer la base économique qui assurait la subsistance des habitants, ceux-ci s'en vont...

La France pourrait-elle s'inspirer de l'exemple du Brésil dans sa recherche d'une nouvelle dynamique pour ses territoires ? Ou est-il si différent que l'on ne peut en tirer aucune leçon ?

La réponse doit être nuancée. D'une part, parce que les situations des deux pays sont très distinctes. Les dimensions du Brésil (8,5 millions de kilomètres carrés) et sa population (207 millions d'habitants selon l'estimation publiée en août 2017) le mettent dans une tout autre catégorie que celle d'un vieux pays de taille moyenne comme la France. D'autre part, parce que les évolutions y sont beaucoup plus brutales et rapides, et qu'elles vont dans des sens apparemment contradictoires. Si le pays connaît des déprises rurales très brutales, on y assiste aussi à une puissante conquête de nouvelles terres par l'agriculture et l'élevage. Des villes déclinent, perdant des milliers d'habitants, mais la tendance générale est à la croissance, voire à la création ex nihilo de villes nouvelles, même si celles qui apparaissent ou grandissent ne sont pas toujours dotées des services aux habitants nécessaires à leur développement.

Une croissance globale de la population

Le Brésil vit, pour ce qui est de la constitution de son territoire, dans un temps différent de celui de la France. Il connaît encore de grands défrichements comparables à ceux que la France a connus au XIIe siècle, et il y naît encore constamment des villes alors que les dernières grandes créations urbaines dans notre pays remontent au XVIIe siècle (avec la fondation de Lorient). Pour m'en tenir à un exemple dont j'ai eu directement connaissance, je citerai la ville d'Ariquemes, dans le Rondônia (en Amazonie), que j'ai connue constituée de six maisons de bois en 1974 et qui compte actuellement plus de 70 000 habitants.

Cette évolution est chiffrable, car l'Institut brésilien de géographie et statistique (IBGE) a publié le 30 août dernier les chiffres officiels de population par commune pour 2017 1, comme il a obligation de le faire annuellement, pour ajuster — entre autres — les subventions du Fonds de participation des États et des communes. On sait donc que le pays compte actuellement 207 660 929 habitants, un total en hausse de 0,77 % par rapport à 2016 (206 081 432), à comparer aux 190 millions du recensement de 2010.

Les communes dont la population diminue par rapport à 2000 (en rouge sur la carte) sont peu nombreuses : la plupart des communes brésiliennes ont donc vu leur population augmenter (jusqu'à 50 % en jaune sur la carte), et certaines ont même grandi très vite (de 50 à près de 300 % en vert). Notons au passage que le pays ne compte que 5 570 communes : s'il avait la même densité de communes que la France il en aurait plus de 550 000, et si la France avait la sienne, elle en compterait 361, au lieu de près de 36 000...

Évolution de la population des communes brésiliennes entre 2000 et 2017

Des espaces en déprise

Le Brésil a aussi ses problèmes de déprise démographique. Entre 2016 et 2017, près d'un quart des communes brésiliennes ont connu une réduction de leur population. Ce sont celles qui comptent moins de 20 000 habitants qui en ont le plus souffert (1 233 communes). La plus forte baisse concerne la commune de Nova Iguaçu, dans la banlieue de Rio de Janeiro, qui a perdu 121 952 habitants dans cette période. Mais cette baisse est aussi une conséquence de l'émancipation (création de nouvelles communes) des districts de Japeri (plus de 100 000 habitants) et de Mesquita (170 000 habitants) en 1991 et 1999.

Les baisses touchent également des régions agricoles en difficulté. La principale, au sud de Salvador, est la région de production du cacao, dont les plantations ont été ravagées par la maladie dite du « balai de sorcière ». Les autres sont des régions d'agriculture paysanne, sur les frontières occidentales des trois États du Sud et dans le Nordeste, ou qui sont transformées par la progression de l'élevage (au sud de Porto Velho) ou de la canne à sucre (à l'ouest de Brasília).

Front d'urbanisation au nord de Brasilia

Des zones « pionnières »

Parmi celles qui grandissent figurent d'abord les fronts pionniers, où la culture du soja fait reculer la forêt, comme en Amazonie occidentale (vers Sinop et Vilhena), ceux où l'élevage bovin est le moteur du défrichement, en Amazonie orientale (comme autour de Marabá), ou encore les villes minières comme Parauapebas, où a été découvert en 1967 un gisement de 18 milliards de tonnes de minerai de fer à haute teneur.

Outre ces régions pionnières, la croissance est rapide à la périphérie des très grandes agglomérations urbaines, même si elle a ralenti dans les communes-centres. Ralenti mais pas cessé : São Paulo a tout de même gagné en dix-sept ans plus de 1,5 million d'habitants, Rio de Janeiro un peu plus de 500 000. Entre 2016 et 2017, Brasília en a gagné 62 000 et atteint pour la première fois les 3 millions, fait remarquable pour une ville fondée en 1960 dans les savanes désertes du centre du pays.

Au total, la population des trois quarts des communes brésiliennes est en croissance, souvent rapide, voire explosive, ce qui pose d'autres problèmes — que la France a connus jadis, et connaît parfois encore (par exemple en Guyane, voisine du Brésil). Car ces villes champignons manquent souvent des services les plus élémentaires, à commencer par le logement, principalement des plus pauvres. Mais la créativité et le sens de l'improvisation typiques des Brésiliens ne trouvent pas exclusivement à s'employer sur les terrains de futebol, elles sont aussi à l'œuvre dans ces situations de déprise rurale et de croissance urbaine rapide.

La méthode brésilienne

Dans les régions de déprise rurale, la réaction la plus courante est tout simplement de s'en aller quand vient à manquer la base économique qui assurait la subsistance des habitants. Avant la crise du cacao, cela s'est déjà produit dans la région de culture du sisal et quand, en 1975, de grandes gelées ont ravagé la production de café dans le nord du Paraná. Celui-ci a alors perdu plus de 600 000 habitants, dont beaucoup sont partis sur les fronts pionniers amazoniens. Nul n'attend que quiconque, et surtout pas l'État, apporte une aide pour que les habitants de ces régions puissent continuer à « vivre au pays ».

Il en va de même dans les régions de croissance urbaine rapide, où l'on peut au mieux espérer la propriété d'un lot urbain, attribué le plus souvent par des élus locaux soucieux de se créer une base électorale. Pour créer un lotissement il faut en principe cinq conditions : tracer des rues et des trottoirs, y installer l'électricité, la distribution d'eau et des égouts. Mais on peut se contenter de deux, en général les deux premières... Les services suivent comme ils peuvent, les deux premiers qui arrivent, dans les zones périurbaines comme dans les zones pionnières d'Amazonie, sont infailliblement une pharmacie (faute d'assistance médicale, les Brésiliens pratiquent beaucoup l'automédication) et le temple d'une des nouvelles églises évangéliques qui se développent rapidement dans le pays (à raison d'environ 1 % par an, au détriment du catholicisme). Une des raisons en est que les réseaux de solidarité créés dans ces communautés sont souvent le moyen pour les nouveaux habitants de se passer de l'appui des autorités publiques.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2017-11/bresil-deprise-et-croissance-sans-assistanat.html?item_id=3625
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