© Philippe Baudouin

Didier RIDORET

Président de la Fédération Française du Bâtiment.

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Les défis 2012 du bâtiment

Pour juguler une trop forte augmentation des prix, il faudrait limiter l'accumulation des normes et ses effets pervers. Afin de répondre aux attentes des clients, il convient de développer une offre globale. Ce ne sera possible que si l'État maintient un environnement institutionnel qui ne soit pas trop défavorable à la profession...

En complément de cet inventaire des principales questions qui se posent à la veille du grand rendez-vous de l'élection du président de la République, je souhaiterais évoquer quelques points. Le pays sort en effet d'une crise économique, la plus grave depuis 1929, qui a eu dans notre secteur deux caractéristiques majeures :

  • l'emploi, pour l'essentiel, y a été préservé. Nulle surprise en la matière car, comme l'affirmait Jean Bodin en son temps, « il n'y a ni richesse ni force que d'hommes ». Les entreprises, conscientes de cet état de fait, ont réussi à préserver leur capital humain, ce qui n'était pas gagné d'avance ;
  • l'environnement institutionnel et le plan de relance ont, au regard de cet élément, joué un rôle crucial et reconnu d'amortisseur de la crise, sans pour autant générer une surconsommation de bâtiments, et ont permis au final de préserver la pérennité de l'outil. Cela paraît d'autant plus bénéfique que les salariés du secteur s'y sentent bien, et même beaucoup mieux qu'ailleurs. Dans le secteur du BTP, 72 % des salariés sont satisfaits, contre 67 % dans le public et 64 % dans les services (62 % en moyenne) 1. Le management y est particulièrement bien perçu, la pression y est la plus faible. Or, sans enthousiasme, sans adhésion à une communauté, point de salut. En ces temps de morosité générale, le fait que notre secteur réponde aux aspirations de ceux qui y travaillent et en vivent mérite d'être souligné et atteste que la culture de nos entreprises repose sur l'emploi des hommes et non des machines.

Certes, la conséquence indirecte et partielle de ce soutien, dans un contexte de forte demande, de taux d'intérêt historiquement bas et d'offre massive de crédits, a été que les prix de l'immobilier dans notre pays n'ont que peu reculé, laissant entière la question de la solvabilité d'une partie des ménages. Il n'en reste pas moins qu'un recul marqué de la construction et des marchés immobiliers aurait eu pour conséquence d'alourdir gravement le coût de la crise.

Maîtriser les prix

Ce satisfecit ne saurait toutefois autoriser à dissimuler les défis à venir. Le premier défi concerne bien évidemment les prix. Si ceux du bâtiment progressent moins vite que ceux de l'immobilier, leur évolution s'avère plus rapide que l'inflation. Il convient de tirer de ce double constat deux enseignements.

Les prix transmettent en premier lieu de l'information, notamment sur la relation entre l'offre et la demande. Certes, l'envolée des prix de l'immobilier s'explique avant tout par des facteurs financiers et par les conditions d'accès au crédit. Il n'en reste pas moins que la détente sur ce front passe aussi par un accroissement de la production, elle-même conditionnée par une politique foncière plus dynamique. Nos attentes en la matière sont fortes et le sujet restera central.

En ce qui concerne plus particulièrement la part du bâtiment dans la fixation des prix immobiliers, minoritaire dans le neuf mais plus que majoritaire dans les travaux sur l'existant, la dérive des coûts procède principalement de trois facteurs : l'évolution des coûts de main-d'œuvre, les prix des matériaux et le standard en matière de qualité. Pour les deux premiers facteurs, la marge de manœuvre se limite à la productivité. Or, en ces domaines, il n'y a plus guère de marge. Reste donc la question des normes. Chacune d'entre elles, prise isolément, trouve sa pleine justification, mais leur accumulation crée un cocktail détonnant qui élève graduellement le seuil de solvabilité des clients - ménages et entreprises - et renforce les difficultés d'accès préexistantes au marché. Si la norme permet indéniablement d'améliorer la qualité des ouvrages, il n'en reste pas moins que la superposition des règles génère nombre d'effets pervers : mauvaise application, absence d'évaluation, gâchis, etc. Le dernier exemple en date, à savoir la norme ascenseurs, milite pour une approche plus globale, systémique, seule à même d'éviter l'inflation actuelle, préjudiciable au final à l'ensemble des acteurs.

Se poser en interlocuteur unique

Le deuxième défi porte sur l'aptitude de l'appareil de production à répondre aux exigences et attentes de la demande. Il ne s'agit pas ici de la sempiternelle question sur la capacité de celui-ci à faire face à un accroissement de la production. Le passé atteste qu'il peut le faire, dès lors que l'on respecte un minimum de temps d'adaptation des entreprises pour produire 400 000, 450 000 ou 500 000 logements par an. Non, il s'agit ici plus fondamentalement des évolutions de la clientèle. Organisées depuis des temps immémoriaux par métiers, les entreprises ont développé des savoir-faire incontestables et ont capitalisé sur tel ou tel segment d'activité. Cela ne répond plus à une partie des attentes : particuliers, entreprises ou associations souhaitent avoir face à eux un interlocuteur unique capable de présenter des solutions thermiques alternatives avec, pour chacune d'elles, leurs avantages et inconvénients, mais aussi de gérer l'ensemble du chantier. Pour être clair, beaucoup de ménages cherchent non pas un plombier ou un carreleur, mais... à refaire une salle de bains. Cette tendance ne peut que s'accentuer avec les exigences du développement durable.

C'est un chantier énorme pour nos entreprises en termes de marketing, de responsabilités, mais aussi de compétences et donc de formation. Une fédération comme la nôtre s'y emploie avec détermination et ambition. Il serait fastidieux d'énumérer les actions entreprises, le lecteur doit plutôt retenir qu'à ce stade rien n'est encore perdu, ni gagné. Une seule certitude : le refus de cantonner, au nom de l'emploi et de la qualité, l'entrepreneur ou l'artisan du bâtiment au rôle de simple exécutant.

Le troisième défi tient à la défense de l'image de l'immobilier en général et du logement en particulier dans nos économies. Le secteur a bénéficié d'un environnement institutionnel favorable au cours des années 2000, il nous paraît pour autant non seulement peu justifié, mais aussi et surtout dangereux d'en faire le bouc émissaire de toutes les difficultés économiques ou presque.

Entendons-nous bien, il ne s'agit pas de nier l'existence, aux États-Unis et dans d'autres pays, d'une exubérance financière et d'une abondance, voire d'un excès, de crédit, et leurs conséquences néfastes. Mais il ne faudrait pas pour autant faire un mauvais procès au secteur immobilier, par exemple en faisant de celui-ci le vecteur coupable de l'insuffisance des investissements de l'épargne dans les PME, une source notable de chômage via le développement de l'accession à la propriété, un secteur où les investisseurs engloutiraient leurs fonds dans des actifs non productifs, ou la quintessence de la lutte intergénérationnelle... En bref, l'immobilier serait devenu un inhibiteur de croissance. Il faut en ces matières raison garder.

Le logement, par son importance (26 % du PIB), est et restera un poids lourd de l'économie. Il ne saurait y avoir développement économique sans routes, ponts, bâtiments de stockage, usines, bureaux, etc. La performance de ces équipements conditionne l'ensemble de l'économie. Les entreprises et les investisseurs institutionnels l'ont bien compris, puisqu'ils s'apprêtent à dépenser des milliards d'euros pour la remise aux normes énergétiques du parc tertiaire. Ils répondent en cela à une exigence de la société et vont contribuer à porter la croissance globale.

Encore faut-il, pour ne pas casser la machine, que l'État ne joue pas contre, qu'il ne vienne pas édicter des règles pénalisantes et qu'il n'alourdisse pas sans mesure le poids de la fiscalité au nom de la lutte contre les « avantages » et les « niches fiscales ». Nous aurons donc à nous battre pour éviter un démantèlement général, combat dans lequel je place au premier chef la TVA à 5,5 %, juste devant une fiscalité équilibrée sur le logement locatif neuf.

  1. Sondage BVA réalisé en mars 2010 auprès de 2 200 salariés français d'entreprises de plus de 200 personnes.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2011-6/les-defis-2012-du-batiment.html?item_id=3110
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