Jacques CHANUT

Président de la Fédération Française du Bâtiment

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Logement : il faut construire plus

Longtemps vilipendée par beaucoup, la notion de besoin fait un come back retentissant. Il est vrai que les évaluations de la demande potentielle de logements neufs par l'Insee ne laissent aucun doute : sous la pression de la démographie, il faut construire plus de logements. La ministre de l'Économie, Christine Lagarde, s'est récemment fait l'écho de cette nécessité.

Sans entrer dans la querelle des chiffres, qui porte à la fois sur le flux (besoins nouveaux, dont l'estimation dépend de moult hypothèses) et sur le stock (combien manque-t-il de logements à un moment donné ?), je voudrais tenter d'aller plus loin que le simple constat de la nécessité de construire de 350 000 à 420 000 logements par an 1.

La réalité des besoins dans notre pays ne doit pas masquer les acquis. Tous les dispositifs d'aide existant ou ayant existé ne sont pas à vouer aux gémonies au nom de la persistance des besoins. Les conditions de logement de l'immense majorité de nos concitoyens ne cessent de s'améliorer. Ils occupent des logements de meilleure qualité, mieux équipés, plus spacieux, etc. Cette montée en gamme s'accompagne, il est vrai, d'une augmentation des taux d'effort - qui a été largement accentuée par le mouvement de hausse des prix depuis 1997 - et du maintien de situations inacceptables en termes d'inconfort, voire d'exclusion.

Un tel mouvement haussier sur les prix, qui profite aux ménages déjà propriétaires, n'a pas que des effets positifs. Les entrants, les jeunes en particulier, se trouvent largement pénalisés si les solidarités intergénérationnelles ne viennent pas pallier l'absence d'apport personnel et l'insuffisante solvabilité. Il n'est donc aucunement surprenant que, pour les entreprises, dans un marché de pénurie ciblée, le discours sur le développement quantitatif du parc destiné notamment aux jeunes travailleurs l'emporte sur celui de la mixité.

Construire partout en France

La réalité des besoins ne peut dispenser de répondre aux questions du « où ? » et du « quoi ? » concernant la production. Les besoins existent partout ou presque, et ne pas les satisfaire conduira un jour à l'apparition de tensions. Force est de constater que les besoins et les tensions ne s'exercent pas partout avec la même acuité. Le concept de « zones tendues » répond à cette évidence. Or, la construction par tête d'habitant est plus faible dans bien des zones tendues. En d'autres termes, dans les agglomérations importantes, une partie de la satisfaction des besoins se fait par le départ de la demande vers la périphérie, vers les zones rurales. Certes, les prix expliquent pour partie ce mouvement, mais pour partie seulement, comme l'attestent les flux journaliers entre l'Île-de-France et les régions limitrophes. Il faut donc, sans cesser la construction en zones C ou B2, procéder à un vaste rééquilibrage en faveur des zones B1 et A 2. Cela suppose une politique foncière dynamique. Mais, contrairement à certaines visions ou idées nostalgiques, pour partie d'inspiration maurassienne, Paris et les grandes agglomérations ne se font pas contre le reste de la France. Toutes les économies dynamiques se développent autour de quelques centres ou métropoles.

Le « quoi ? » appelle une réponse plus simple, sans être pour autant simpliste. Il faut de tout : du social et du privé, du locatif et de l'accession, mais aussi des logements pour jeunes, des structures adaptées aux handicaps, etc. Une meilleure connaissance à la fois de la demande et des approches prospectives s'impose, mais il me semble que, globalement, le développement de l'offre se fait de ce point de vue de manière assez équilibrée, ce qui n'exclut pas l'existence de difficultés quantitatives ici ou là et l'insuffisance de la production locative sociale dans les zones tendues.

Satisfaire les besoins quantitatifs

La satisfaction des besoins quantitatifs par la mise sur le marché de logements neufs en nombre, conformément aux lois générales de l'économie marchande, ne peut qu'avoir un effet positif, à moyen terme, de détente sur le prix de l'immobilier dans notre pays. Chacun s'en félicitera, pourtant l'humilité oblige à dire que la fluidité des marchés et l'absence de goulot d'étranglement constituent une condition nécessaire, certes, mais non suffisante de la baisse relative des prix. Je m'explique sur ce point essentiel. Un déséquilibre quantitatif porte les prix à la hausse. Mais, même dans l'hypothèse d'un marché détendu, nombre de facteurs peuvent peser à la hausse. Le fait que les biens immobiliers soient localisés génère des situations de pénurie sur tel ou tel quartier, telle ou telle ville. L'exemple de Paris est, de ce point de vue, caricatural.

Condition non suffisante, car d'autres facteurs essentiels influent sur les prix. On a déjà cité les politiques foncières, mais il faut y revenir. Alors même que, dans le cas français, la pénurie physique n'existe que sur les marchés très particuliers et circonscrits, les experts et les professionnels connaissent l'influence des facteurs administratifs et, plus largement, des processus de régulation à l'œuvre qui entretiennent la pénurie. En matière de régulation des politiques foncières et du logement, chacun sait que notre pays offre une complexité, une absence de visibilité presque unanimement reconnues. Il faut ajouter à cette liste non exhaustive, d'une part, les conditions de crédit, tant en termes d'accès que de taux, d'autre part, la hiérarchie des choix individuels de consommation. L'influence de ces facteurs, en particulier un crédit abondant et bon marché, a d'ailleurs contribué à la flambée des prix en Europe et en Amérique du Nord jusqu'en 2007. C'est dans les pays où le système financier a résisté que les prix ont également résisté. Sauf nouveau coup de tabac financier, la production de volumes abondants de logements pourra donc contribuer à une détente sur les prix à moyen terme, mais cette détente ne sera que partielle au regard des conditions antérieures.

Ne pas négliger les réseaux

Enfin, si la réalité des besoins implique de construire plus, derrière cette évidence se cachent d'autres exigences. Les experts en transports comme les élus locaux savent que la mise en place d'un cadencement des trains et des bus génère une affluence de clientèle qui rend très vite les parkings d'accueil trop petits. Le cadencement permet très vite, autour des gares desservies, un développement de l'offre foncière et de la construction neuve. Il faut donc, pour répondre aux attentes de nos concitoyens en matière de logement, s'interroger aussi sur les politiques adéquates en matière de transports en commun, faute de quoi les ménages feront d'autres choix. Les statistiques sur les flux montrent tous une augmentation des trajets en voiture. Tous les spécialistes le savent, un déport de cette clientèle sur les transports en commun, même à la marge, conduirait très vite à une saturation générale et à une montée des mouvements de mécontentement. Si donc, comme l'affirment le Grenelle et le bon sens, il nous faut aller vers un modèle plus économe en énergie, plus respectueux de l'environnement, la solution n'est pas le blocage de l'urbanisation en zone agglomérée, bien au contraire : elle réside dans l'accroissement des réseaux, le lancement de vastes opérations d'aménagement et de construction. Faute de quoi la construction de pavillons individuels restera la solution, qu'il serait totalement injuste de qualifier alors de problème.

  1. Pour la période 2010-2020, estimation basée sur un scénario moyen de la demande de logements. Alain Jacquot, « La demande potentielle de logements : un chiffrage à l'horizon 2020 », Notes de synthèse du SESP, n° 165, avril-mai-juin 2007, pages 41 et suivantes.
  2. Zone A : agglomération de Paris (dont zone A bis), Côte d'Azur (bande littorale Hyères-Menton), Genevois français. Zones B et B1 : certaines agglomérations grandes ou chères, villes-centres de certaines grandes agglomérations, grande couronne autour de Paris, certaines communes chères ; îles, départements et territoires d'outre-mer, pourtour de la Côte d'Azur. Zone B2 : autres agglomérations de plus de 50 000 habitants, autres communes chères situées en zones littorales ou frontalières, pourtour de l'Île-de-France et de la zone B1 en Paca, agglomérations des autres villes classées en B1. Zone C : reste du territoire.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2011-6/logement-il-faut-construire-plus.html?item_id=3101
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