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Armel LE COMPAGNON

est président de la Commission formation de la Fédération Française du Bâtiment.

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Emploi et formation : renforcer les partenariats

Demandeur d'une main-d'œuvre nombreuse qui doit être de plus en plus qualifiée, confronté à de radicales transformations de ses marchés et de ses conditions de travail, le bâtiment souhaite être accompagné à plusieurs niveaux par les pouvoirs publics.

Dans une industrie de main-d'œuvre fortement concurrentielle comme le bâtiment, la performance de l'entreprise dépend essentiellement de trois facteurs : les ressources en savoir-faire dont elle dispose ; la maîtrise des coûts et la capacité d'organisation, pour utiliser, en fonction des chantiers, les meilleures ressources au meilleur moment ; la stratégie que l'entreprise développe en matière de politique commerciale, d'innovation, de recours ou non à la sous-traitance ou à la cotraitance. La qualité des ressources humaines est donc une variable-clé dans des métiers où le savoir-faire, au-delà de la formation initiale, s'acquiert dans le domaine technique principalement sur les chantiers, compte tenu des aléas liés à l'environnement (nature des sols, contraintes techniques extérieures, conditions climatiques, activité en site occupé...).

Pour disposer de ressources en personnel qualifié, le chef d'entreprise dispose de trois solutions : recruter sur le marché du travail, sous-traiter à des entreprises spécialisées qui disposent d'un fort savoir-faire, ou disposer de collaborateurs ayant acquis leurs compétences par la formation ou par transfert de savoir-faire au sein de l'entreprise. Cette dernière solution, qui demande davantage de temps et un engagement plus important de l'entreprise, rend celle-ci moins dépendante du marché du travail et des sous-traitants éventuels. Elle permet de limiter les risques de non-qualité - et donc de sinistralité - sur les chantiers. Plus l'entreprise est spécialisée, plus elle aura besoin de salariés hautement qualifiés dans leur métier et formés à la culture de l'entreprise.

La transmission du savoir-faire de l'entreprise est une valeur historique de la profession, héritée du compagnonnage et portée par des générations depuis les bâtisseurs de cathédrales. Pour nombre d'entreprises, l'apprentissage constitue en effet la voie naturelle de transmission du savoir pour les métiers de chantier. Mais la médaille a son revers : la profession a perdu beaucoup de compagnons qui, après avoir été formés, ont choisi de valoriser leurs compétences dans des activités connexes telles que le négoce, la maîtrise d'œuvre, l'entretien ou la maintenance. Elle est de ce fait, aujourd'hui encore, sujette à un fort taux de rotation du personnel, qui lui impose de continuer ses efforts en matière de formation et de recrutement.

Une transformation des marchés et des conditions de travail

Sur le plan économique, les entreprises du bâtiment sont aujourd'hui confrontées à une évolution de leurs marchés et à une modification de leurs conditions de travail, par l'effet de trois séries de facteurs :

  • les évolutions techniques et les changements réglementaires (réglementations sanitaire, thermique, acoustique ; qualifications électricité, gaz ; accessibilité ; haute qualité environnementale...). Ils s'imposent régulièrement au domaine de la construction mais connaissent depuis plusieurs années une accélération, liée à la volonté des pouvoirs publics et à la demande des consommateurs d'améliorer le confort des bâtiments, leur accessibilité et leur performance énergétique ;
  • les changements de comportement des clients publics ou privés. Ils formulent des exigences accrues, sont mieux informés, demandent plus fréquemment un engagement sur les résultats et pas uniquement sur la réalisation ; ils souhaitent un interlocuteur unique qui puisse leur proposer un ensemble de prestations dans le cadre d'une offre globale (maintenance, financement, conseil...) ;
  • la transformation des conditions d'exécution des chantiers et le renforcement de la protection des salariés. Les délais sont de plus en plus courts pour réaliser les travaux, l'interdépendance plus importante entre les entreprises, les contentieux plus nombreux, les interventions sur sites occupés de plus en plus fréquentes. Ces évolutions exigent une modification en profondeur des habitudes de travail, qui s'accompagne d'un renforcement sensible de la protection des salariés à l'égard de l'ensemble des risques liés au chantier (travail en hauteur ; risque électrique, amiante, pollution sonore ; poussière...).

Ces éléments induisent des changements importants pour une profession à forte culture technique, peu habituée à proposer des services à ses clients. Ils incitent les chefs d'entreprise à recourir davantage à la formation continue afin d'adapter les compétences et les comportements de leurs salariés. Dans le cas contraire, les entreprises risquent de voir apparaître de nouveaux concurrents 1 susceptibles de définir ces prestations à leur place et de les cantonner à un rôle de sous-traitance. Il y a là un risque majeur de dépendance et de perte de valeur ajoutée que la majorité des entreprises ne sont pas prêtes à prendre 2.

Des défis à relever

De ce fait, la profession doit faire face à plusieurs défis simultanément. Le premier concerne les flux d'entrées dans la profession : il est indispensable que celle-ci trouve demain sur le marché du travail les ressources disponibles pour remplacer ceux qui, chaque année, la quittent. Les efforts faits ces dernières années pour attirer les jeunes ou les demandeurs d'emploi vers le secteur ainsi que les perspectives d'activité devraient contribuer à maintenir ces flux élevés, car la demande est incontestablement plus forte que par le passé. Ce chantier demeure essentiel pour une profession qui, traditionnellement, accueille des publics très diversifiés, dont une partie de salariés peu qualifiés.

Le second défi concerne davantage les actifs de la profession. Il s'agit de faire prendre conscience aux chefs d'entreprise et à leurs salariés que l'évolution des marchés vers davantage de qualité, à moindre coût et dans des conditions de travail plus sécurisées, est une évolution inéluctable dans la mesure où l'obligation de performance et de résultat s'imposera progressivement pour tous les types de prestations. L'arrivée sur le marché de nouveaux opérateurs issus du monde industriel ou des services ne peut qu'accélérer une mutation déjà engagée.

Une telle prise de conscience et sa traduction dans l'organisation concrète de la production des entreprises et dans la qualité des constructions demandent un effort de formation considérable simultanément dans plusieurs domaines : sécurité ; adaptation des compétences techniques ; gestion ; management... Cet effort doit être encouragé à l'échelle de la profession pour éviter que seule une partie des entreprises en supporte les investissements. Or, dans ce domaine, la forte dispersion de la profession et la liberté d'installation jouent contre les intérêts de nombreuses entreprises et contre le développement du niveau général de la profession. Même quand elles disposent d'une véritable tradition de formation, les entreprises déplorent de n'avoir que peu de moyens pour conserver des salariés formés lorsque ceux-ci sont attirés par la concurrence ou par d'autres secteurs. Dans ce sens, les clauses de dédit formation 3, peu utilisées à l'heure actuelle, mériteraient d'être aménagées en vue de faciliter leur utilisation et leur généralisation dans les pratiques d'entreprise. Un réexamen de la formation sous l'angle comptable d'un bien amortissable faciliterait également son développement dans de nombreuses entreprises et contribuerait à l'amélioration de la qualité globale.

Le rôle des pouvoirs publics

Au plan institutionnel, un tel investissement de la profession doit être accompagné par les pouvoirs publics à plusieurs niveaux. En matière d'emploi, il est indispensable que les différents acteurs publics engagent un réexamen de leurs politiques d'insertion, et notamment de la façon dont elles se traduisent dans les clauses d'insertion dans les marchés publics. S'il est vrai que le bâtiment sera demain encore en mesure d'accueillir des personnes peu qualifiées, il ne peut à lui seul résoudre l'ensemble des problèmes liés à l'insertion, au moment où la profession déploie des efforts conséquents pour faire progresser le niveau général des salariés. L'accompagnement de ces publics demande du temps et des moyens, denrées de plus en plus rares pour toutes les entreprises, confrontées à un environnement concurrentiel exigeant.

Avec plus de 100 000 personnes en alternance 4 pour 1,2 million de salariés, la profession participe largement à l'emploi et l'insertion des jeunes et des moins jeunes. Mais ces efforts ne sont pas systématiquement pris en compte par les acteurs publics. Ainsi, plutôt que d'introduire un quota de jeunes en entreprise, ne serait-il pas préférable de considérer que toute entreprise qui accueille des apprentis ou des jeunes en contrat de professionnalisation participe à l'effort d'insertion et peut, à ce titre, répondre aux exigences des marchés publics ?

Au-delà de cette mesure, il est temps que les pouvoirs publics affirment plus fortement leur volonté de privilégier, en matière de formation professionnelle, la voie de l'alternance sous toutes ses formes et à tous les niveaux, que ce soit pour les jeunes ou pour les demandeurs d'emploi. Cette modalité répond à la fois aux besoins des entreprises et à ceux des différents publics concernés, car elle permet de concilier mise en pratique des savoirs théoriques, acquisition d'une expérience et intégration dans le monde professionnel.

L'ensemble des experts s'accordent sur le fait que les moyens sont globalement suffisants pour assurer la formation des jeunes, des demandeurs d'emploi et des salariés. En revanche, l'allocation des ressources mérite débat. Sans doute faut-il réorienter une partie des dépenses actuelles d'éducation - pour les jeunes - et d'assurance chômage - pour les chômeurs - afin de développer les formations en alternance et de faciliter l'intégration dans l'emploi. En effet, il ne faut pas que les ressources allouées par les entreprises pour adapter les compétences de leurs salariés et les faire progresser dans leur qualification soient réorientées durablement vers l'accès ou le retour à l'emploi, afin de pallier les carences du système éducatif ou du système d'assurance chômage.

Enfin, la mise en œuvre efficace de politiques au service de l'ensemble de ces publics sur tout le territoire suppose un partenariat régulier entre les différents acteurs publics (État, régions, Pôle emploi...) et le monde professionnel.

La profession s'est organisée depuis longtemps pour disposer d'informations économiques au niveau régional afin de faciliter l'engagement d'actions concertées. Elle modifie aujourd'hui son organisation dans les domaines de l'apprentissage et de la formation continue pour renforcer, sur les territoires, sa capacité d'accompagnement des entreprises et de leurs salariés ainsi que des jeunes et des demandeurs d'emploi qui choisissent le bâtiment.

À ce titre, elle s'inscrit pleinement dans l'objectif de formation tout au long de la vie développé par les partenaires sociaux et réaffirmé dans la loi du 24 novembre 2009.

  1. Prestataires de services, courtiers en travaux, fournisseurs d'énergie...
  2. Certaines entreprises artisanales acceptent de fonctionner de cette façon, notamment celles qui travaillent en sous-traitance pour les cuisinistes ou les grandes surfaces de bricolage qui proposent aujourd'hui une prestation globale aux particuliers (conseil, vente de matériaux, pose).
  3. Les clauses de dédit formation sont celles par lesquelles un employeur qui assure une formation à un salarié lui fait prendre l'engagement de rester au service de l'entreprise pendant une durée minimale, et à défaut de rembourser les frais engagés.
  4. Contrats d'apprentissage et contrats de professionnalisation principalement.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2011-6/emploi-et-formation-renforcer-les-partenariats.html?item_id=3103
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