Pendant la crise, il faut continuer de plus belle !
Les objectifs du Grenelle de l'environnement dans le secteur du bâtiment sont-ils devenus impossible à tenir du fait de l'arrivée de la crise financière et économique ? Cette question mérite d'être posée. La réponse est sans ambiguïté : les conditions sont réunies pour que la crise accélère le calendrier du Grenelle dans le bâtiment.
La crise interroge d'abord la notion même de croissance. Comment peut-on perpétuellement fonder l'équilibre financier et économique sur une croissance sans fin, je dirais même une croissance maladive ? En fait, nous réinterrogeons d'abord la nature de la croissance et l'idée de la croissance verte fait son chemin, alors qu'à l'inverse, une croissance tous azimuts sans focalisation sur les grandes questions environnementales de la planète nous paraît à reconsidérer. On peut stigmatiser une croissance fondée sur une surestimation de l'évolution des valeurs foncières aux États-Unis (qui donne les subprimes), car elle ne procure aucune valeur ajoutée vertueuse et n'est fondée que sur une anticipation spéculative à la hausse des valeurs foncières. Au fond, oui à la croissance, mais pas à n'importe quelle croissance.
Une priorité « verte » suffisante ?
Le plan de relance pêche-t-il par une insuffisance de priorité aux investissements « verts » ? Il est certain que l'on a privilégié les projets prêts à démarrer ; ils reflètent à l'évidence l'ordre de priorité que nous avions il y a une dizaine d'années. Je crois que cette insuffisance verte du plan de relance n'est pas due à un manque de volonté politique, mais plutôt au fait que les nouvelles orientations de la croissance verte (telles qu'elles se dégagent du Grenelle de l'environnement) sont trop récentes pour peser de leur juste poids. Nous payons peut-être notre retard en la matière. Encore faut-il remarquer que cette affirmation s'applique plus aux infrastructures de transports qu'au secteur du bâtiment, qui avait, d'une certaine façon, anticipé le Grenelle.
Une focalisation sur l'innovation
La crise de l'économie réelle accélère les réorientations des grandes industries et remet au centre les innovations sur les produits et les services. Tout se passe comme si les États qui viennent en aide à l'économie réelle exigeaient en contrepartie que les producteurs de produits et de services ne continuent pas comme avant, mais en profitent pour se remettre en question et accélérer leur mutation.
L'exemple de l'industrie automobile en est une illustration très éclairante. Le soutien de l'État dans tous les pays où l'industrie automobile est présente est conditionné à l'évolution des modèles vers des véhicules créant le moins d'effet de serre ou même des véhicules « zéro carbone ». Dans les programmes futurs des constructeurs, le véhicule électrique est désormais la priorité. On pourra dire que la crise a accéléré le passage aux véhicules électriques.
Peut-on faire le même constat dans le secteur du bâtiment ? Le premier effet de la crise est d'y faire baisser les prix des transactions immobilières et celui des ventes des constructions neuves. Le second effet est la diminution des valeurs foncières et des coûts de construction (due notamment à la réduction des prix des matières premières). La baisse des valeurs foncières est une excellente nouvelle pour le secteur du bâtiment ; on peut souhaiter qu'elle soit de grande ampleur, car plus le terrain baissera et plus il sera possible de mettre la valeur ajoutée dans le bâtiment lui-même, pour lui donner des performances nouvelles plus ambitieuses en termes de qualité environnementale.
À la différence de l'automobile, le secteur du bâtiment était arrivé au Grenelle en ayant accompli sa mutation ; on peut dire qu'il était à « maturité environnementale ». Le Grenelle l'a poussé à prendre des engagements chiffrés ambitieux, à échéance rapprochée (2012-2020).
Le bas de cycle, une opportunité ?
Cependant, le Grenelle est arrivé en haut du cycle de l'immobilier, rendant particulièrement difficile pour la demande de digérer la hausse de 5 à 15 % des coûts de construction pour atteindre ses objectifs. Grâce au desserrement des prix du foncier et à l'abaissement des taux d'intérêt des emprunts, cette contrainte (ce handicap ?) pourra être levée.
La crise offre paradoxalement une autre opportunité : elle oblige les industries de la construction à délaisser les investissements de capacité (ou de volume) au profit d'investissements d'innovation, dans le but d'augmenter leur part de marché. C'est un phénomène bien connu : lorsque le volume du marché cesse de croître, la bataille se déplace sur le maintien de l'activité grâce à l'augmentation des parts de marché. Si, au même moment, l'ensemble des acteurs table sur une mutation profonde de la demande (et c'est le cas dans le bâtiment), le choix se fera très clairement en faveur de nouveaux produits beaucoup plus performants. Or, il se trouve que le secteur du bâtiment peut bénéficier d'un potentiel de progrès technologique considérable, notamment en ce qui concerne la qualité énergétique des enveloppes (parois vitrées, parois opaques, couvertures, toitures) et l'utilisation des énergies renouvelables avec des perspectives très riches du photovoltaïque et des pompes à chaleur. Sans oublier l'arrivée de la « couche » intelligence du bâtiment, qui permettra une gestion optimisée des locaux.
La recherche d'une plus grande maîtrise des coûts de la construction qui, en s'appuyant sur une maîtrise des coûts fonciers concomitante, permettra d'absorber le surcoût des performances nouvelles, est à l'ordre du jour. Il nous faudra faire évoluer les modes constructifs : déjà l'on voit venir des formes nouvelles d'industrialisation du bâtiment qui ont le double avantage de réduire les délais de construction et d'assurer une meilleur maîtrise de la qualité. En bref, le potentiel d'innovation du bâtiment apparaît comme très important ; il appelle des investissements qui peuvent être d'autant plus mobilisés qu'ils ne sont pas en concurrence avec les investissements de volume.
La demande pousse au progrès technique
La crise peut-elle accélérer les mutations de la demande ? Au moment même où l'on pressent une mutation de l'offre, on constate une évolution accélérée de la demande. On peut parler d'une demande « verte » qui se redéploie sur les produits écologiques et revendique une consommation respectueuse du développement durable.
Le secteur du bâtiment n'échappe pas à cette lame de fond et l'on constate plutôt un renforcement de l'exigence « haute qualité environnementale », de l'exigence de performance énergétique (HQE). Le bâtiment basse consommation (BBC), et même à énergie positive, est de plus en plus exigé par les investisseurs et par le client final. Tous les acteurs de l'offre comprennent qu'il faut trouver des réponses à cette demande qui évolue très vite. D'une certaine façon, 2012 est déjà dans les esprits.
Nous assistons à une irruption de l'avenir dans le présent. Ce qui, pour un secteur qui s'était habitué à rester relativement traditionnel ou, en tout cas, à progresser pas à pas, est une nouveauté. Ce changement de rythme, même s'il était largement prévu, atteint une amplitude insoupçonnée qui pose des problèmes difficiles aux entreprises du bâtiment, peu habituées à de tels changements de rythme. L'obligation de se former, d'apprendre à prescrire de nouveaux produits, d'acquérir de nouvelles règles de l'art n'était pas dans les moeurs de ce secteur. C'est cela que l'on pourrait appeler la nouvelle modernité, une modernité qui engendre la venue d'un personnel de meilleure qualité. Ainsi se met en place une spirale vertueuse qui accélère la mutation du secteur. On l'aura compris, la crise est donc un accélérateur du progrès et de la modernisation.
Peut-on penser que la baisse actuelle du prix du pétrole et du gaz change la donne ? Cet accident conjoncturel vient-il perturber les comportements à moyen et long termes ? Le signal des prix va à l'encontre d'une idée dominante qui est la hausse continue des prix de l'énergie. N'oublions pas, que dans le passé, le contre-choc pétrolier des années 1980 avait conduit au ralentissement des politiques d'économie d'énergie et au quasi-abandon des recherches sur les énergies renouvelables !
Il me semble que, cette fois, l'opinion intègre une faiblesse momentanée du prix de l'énergie (née de la violence de la récession), mais ne remet pas en cause les tendances haussières à long terme, car elles sont dues à l'émergence de nouvelles grandes nations fortement consommatrices comme le Brésil, la Chine, les dragons asiatiques, l'Inde. Or, ce qui caractérise le bâtiment, c'est qu'il s'agit d'un investissement à long terme dont la durée de vie est à l'échelle de plusieurs dizaines d'années. Il faut donc faire le juste investissement, c'est-à-dire celui qui tient la route à l'horizon 2030-2050. D'ici là, on peut sans aucun doute tabler sur des prix élevés de l'énergie. L'effet conjoncturel des prix bas influe uniquement sur les travaux de réhabilitation et peut conduire à en différer certains (quand il n'y a pas urgence de dépannage).
Rendre les villes écocompatibles
Au-delà du bâtiment, à l'échelle de la ville, la croissance verte influe sur l'organisation des transports (notamment des transports urbains), la consommation d'eau et l'utilisation des ressources naturelles. De façon plus générale, il s'agit de rendre écocompatibles les métabolismes des villes, dont on sait qu'elles sont dominantes dans les pays développés et le seront bientôt dans le reste de la planète.
Si l'on étend la notion de ville à celle de civilisation urbaine, nous avons là plus des deux tiers de l'effet de serre et les trois quarts de la question énergétique. C'est en termes quantitatifs la plus grande question environnementale. À y regarder de plus près, ce n'est pas seulement le bâtiment qui doit être écocompatible, mais aussi le quartier, mais aussi la ville. C'est cela que l'on veut dire en parlant de la ville durable, mais nous devrions pousser l'analyse un peu plus loin, et dire clairement qu'il n'y a pas à proprement parler de HQE, d'écoquartier et de ville durable, mais qu'il y a des bâtiments, des quartiers, des villes qui nous permettent d'adopter un mode de vie durable. Nous touchons là au coeur du problème, qui est l'évolution nécessaire des modes de vie pour permettre à la civilisation urbaine de perdurer. On ne peut pas parler de croissance verte sans parler de l'évolution de nos modes de vie.
Or, le consensus sur la croissance verte n'entraine pas forcément un consensus sur l'évolution des modes de vie. Quand on entend des voix qui disent que le mode de vie des Américains n'est pas négociable, on peut penser qu'il y a là une difficulté politique majeure. Il faudra bien se rendre à l'évidence, aucune nation ne pourra se dispenser de repenser sa façon de vivre (son mode de vie) pour que nous trouvions un équilibre équitable au niveau planétaire.
Toutes les grandes crises ont généré de profondes mutations, celle-ci arrive à un moment où tout nous pousse à avoir une autre croissance, la croissance verte.
Croissance qui aura un sens partagé par tous les habitants de la planète et qui débouchera dans nos secteurs vers une nouvelle architecture, vers un nouvel urbanisme, vers une autre gestion de la ville et vers une civilisation urbaine ayant retrouvé le sens de la mesure et maîtrisant son environnement.
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