est climatologue et glaciologue, directeur de recherches au laboratoire des Sciences du climat et de l'environnement (CEA/CNRS/UVSQ) de l'Institut Pierre-Simon Laplace et vice-président du groupe scientifique du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat).
L'impact des activités humaines sur le réchauffement
Pour Jean Jouzel, « un léger doute subsiste mais, pour notre
communauté scientifique, nous sommes bel et bien dans un monde dont nos
activités ont déjà modifié le climat ». Se fondant sur les travaux du
GIEC, le climatologue explique l'importance des observations passées
pour l'anticipation du futur.
Emmanuel Le Roy Ladurie nous rappelle que notre climat a varié bien avant que les activités humaines ne commencent à modifier de façon sensible la composition de l'atmosphère, et le passé plus ancien nous enseigne que ce climat a subi des variations très importantes à toutes les échelles de temps. Succession de périodes glaciaires et interglaciaires du quaternaire, périodes chaudes de l'ère tertiaire, périodes plus lointaines au cours desquelles notre planète, extrêmement froide, s'est transformée en véritable boule de neige... le climat de la Terre s'est constamment modifié. Dans ce contexte, il est tout à fait légitime de s'interroger sur l'origine, naturelle ou/et anthropique, du réchauffement planétaire observé au cours des dernières décennies. J'examinerai cette question fondamentale à travers les éléments de réponse fournis par le GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, auquel j'ai participé depuis le début des années 1990.
À qui la faute ?
Le climat est un système extrêmement com- plexe régi par de multiples interactions entre différents réservoirs (atmosphère, océan, hydrosphère, cryosphère, biosphère...). Un très large spectre d'échelles de temps (de la journée à la centaine de milliers d'années) et d'espace (échelle locale, régionale ou globale) y intervient. Cette complexité explique que l'état de nos connaissances évolue lentement, tout au moins aux yeux du grand public. Cependant, nombreuses sont les avancées et les découvertes qui ont jalonné notre domaine de recherche au cours des cinquante dernières années. Les incertitudes, les questions sans réponse définitive restent nombreuses. Mais en matière de responsabilité éventuelle des activités humaines, ce sont d'abord deux certitudes que je souhaite mettre en avant.
Première certitude, la composition de l'atmosphère est indéniablement modifiée par nos activités. Depuis 1750, la quantité de méthane a été multipliée par 2,5, essentiellement à cause de l'intensification de l'agriculture et de l'élevage. L'utilisation des combustibles fossiles - à laquelle s'ajoute la déforestation - est largement responsable de l'augmentation de 35 % observée pour le gaz carbonique, tandis que les combustibles fossiles sont, avec les pratiques agricoles, la cause d'un accroissement de près de 20 % de la teneur en protoxyde d'azote. Bien qu'il s'agisse là de constituants mineurs de l'atmosphère, de tels changements sont susceptibles de modifier le climat, car ils conduisent à une modification de l'effet de serre atmosphérique. Ces gaz à effet de serre ont la propriété d'absorber une partie du rayonnement infrarouge réémis par le sol. La vapeur d'eau également qui, avec le gaz carbonique, joue le rôle principal (ce rôle est directement pris en compte dans les modèles climatiques). D'autres composés contribuent à l'effet de serre, tel l'ozone, qui diminue dans les hautes couches de l'atmosphère mais augmente près de la surface, les chloroflorocarbones dont l'emploi s'est développé au cours des deux dernières décennies, et leurs produits de remplacement, ainsi que d'autres gaz qui ont une contribution plus marginale. L'origine anthropique des modifications observées, bien documentées, ne fait aucun doute. Avec pour résultat que, depuis le début de l'ère industrielle, la quantité d'énergie qui chauffe l'atmosphère et la surface, voisine de 240 W/m2, a augmenté de près de 3 W/m2. Cet effet de serre additionnel est dû pour environ 55 % au gaz carbonique.
Ce constat est à placer au rang des certitudes, comme l'est une seconde conclusion du 4e rapport du GIEC publié en 2007, à savoir que « le réchauffement climatique est sans équivoque ». Toutes les années récentes sont parmi les plus chaudes. Hormis 1996, toutes les années entre 1995 et 2007 sont plus chaudes que n'importe quelle année depuis plus de 140 ans. Ce réchauffement s'est opéré en deux étapes, la première entre 1910 et 1945, la seconde depuis 1976, période depuis laquelle il progresse à un rythme environ trois fois plus élevé que celui calculé sur l'ensemble du XXe siècle. Le refroidissement tout relatif (0,3 °C) observé en 2008 par rapport à 2007 ne remet pas en cause ce diagnostic. D'autant que d'autres observations - réchauffement des eaux océaniques, augmentation de la vapeur d'eau dans l'atmosphère, fonte accélérée de la plupart des glaciers de montagne, élévation du niveau de la mer à laquelle contribue désormais le Groenland et l'Antarctique de l'ouest, diminution des surfaces maximales enneigées dans l'hémisphère Nord et de l'extension minimale de la banquise dans l'océan Arctique (très marquée en 2007 et 2008)... - renforcent l'image d'une Terre qui, sans équivoque, se réchauffe.
Établir un lien
Cette double affirmation, « l'effet de serre augmente, le réchauffement est sans équivoque », n'implique nullement qu'il y ait relation de cause à effet. Sans évoquer les grandes périodes glaciaires, il suffit de se tourner vers le passé historique pour observer qu'il n'est nul besoin que l'homme intervienne pour que le climat change de façon tout aussi notable qu'il l'a fait depuis quelques décennies, du moins à l'échelle régionale. En témoignent le petit âge glaciaire et l'optimum médiéval. Pour établir un lien entre réchauffement et activités humaines, il faut faire la part entre les variations climatiques d'origine naturelle, qui ont toujours existé et existeront toujours, et celles dues, éventuellement, à nos activités. Sommes-nous déjà dans un monde dont nous modifions le climat ? Cette question a été examinée de façon récurrente par le GIEC, dont la réponse a évolué au fil des rapports, à mesure que la réalité du réchauffement se confirmait et que la communauté scientifique en cernait mieux les causes. Aucun lien n'était établi dans le premier rapport publié en 1990, mais il commence à être suggéré en 1995, « Un faisceau d'éléments suggère une influence perceptible de l'homme sur le climat global. » Même prudente, cette conclusion a, en 1997, joué un rôle clé dans les négociations du protocole de Kyoto. Le diagnostic s'est ensuite affermi avec, en 2007, une conclusion claire : « L'essentiel du réchauffement observé depuis le milieu du XXe siècle est, à plus de neuf chances sur dix, dû aux activités humaines. » Un léger doute subsiste mais, pour notre communauté scientifique, nous sommes bel et bien dans un monde dont nos activités ont déjà modifié le climat.
Le raisonnement suivi est illustré dans deux figures qui comparent l'évolution du climat observé depuis 1900 à des simulations issues de modèles climatiques. Dans un premier cas, celles-ci ne tiennent compte que des causes naturelles de la variabilité du climat (variations de l'activité solaire marquées par un cycle de 11 ans et de celles des volcans dont les éruptions importantes sont suivies d'un refroidissement notable qui s'estompe rapidement). Dans un second cas, elles intègrent également les modifications liées aux activités humaines, celles résultant de l'augmentation de l'effet de serre, déjà largement évoquées, et celles dues à la pollution (urbaine, industrielle ou liée aux transports), qui tend à refroidir et donc à contrecarrer, partiellement, le réchauffement lié à l'effet de serre. Les causes naturelles apparaissent incapables d'expliquer le réchauffement des dernières décennies. À l'inverse, la prise en compte de ces causes naturelles et de celles liées aux activités humaines conduit à un bon accord avec les observations. Le réchauffement récent ne peut donc s'expliquer sans tenir compte des activités humaines. À ces comparaisons s'ajoutent d'autres arguments : les seules causes naturelles conduiraient plutôt à un léger refroidissement, les variations de l'activité solaire sont de dix à vingt fois moins importantes que l'augmentation de l'effet de serre, le refroidissement observé des hautes couches de l'atmosphère est une signature du rôle prépondérant de l'effet de serre. Enfin, les données climatiques du passé récent mettent bien en exergue le caractère exceptionnel du réchauffement de la seconde partie du XXe siècle, très vraisemblablement plus chaude que n'importe quelle période de même durée depuis 500 ans, conclusion qui reste probablement correcte lorsque l'on étend le diagnostic aux 1 300 dernières années.
Que nous apprennent les données du passé ?
Au-delà de cet exemple, les climats passés constituent une mine d'informations pour qui s'intéresse à l'évolution future de notre climat. Ainsi les glaces polaires permettent-elles d'estimer la façon dont ont évolué différents facteurs susceptibles de modifier notre climat : activité solaire, éruptions volcaniques, composition de l'atmosphère. Le gaz carbonique n'est suivi de façon directe que depuis 1958, et c'est grâce à l'analyse des bulles d'air piégées dans les glaces de l'Antarctique que nous pouvons remonter beaucoup plus loin dans le temps. Les enregistrements des variations naturelles de gaz carbonique et de méthane couvrent désormais 800 000 ans, mettant en évidence un lien entre effet de serre et climat au cours des grandes glaciations du quaternaire, avec des concentrations plus faibles pendant les périodes froides et inversement. Ces variations participent aux grands cycles climatiques du passé. Mais, contrairement à la période récente, elles n'en sont pas à l'origine, le rythme des glaciations étant lié aux changements d'insolation résultant de modifications cycliques de l'orbite terrestre. Cela étant, les variations naturelles de l'effet de serre ont indéniablement joué un rôle dans la prise de conscience du problème posé par l'évolution future de notre climat. Par ailleurs, elles permettent d'évaluer la façon dont réagit notre climat vis-à-vis de l'effet de serre, confirmant l'existence de mécanismes d'amplification bien mis en évidence par les modèles climatiques. Enfin, les climats passés fournissent des éléments de comparaison intéressants mettant en lumière l'importance et la rapidité de ce vers quoi nous irions si nous n'arrivions pas à stabiliser l'effet de serre : un réchauffement moyen de 3° C envisageable d'ici à la fin du siècle correspond à la moitié de celui observé entre le dernier maximum glaciaire et le climat actuel, qui, lui, s'est opéré sur des milliers d'années.
En guise de conclusion, j'en donnerai un dernier exemple relatif à l'élévation du niveau de la mer, aspect sur lequel les évaluations du GIEC - entre 20 et 60 cm d'ici à la fin du siècle - pourraient être sous-estimées, car elles ne tiennent que partiellement compte de l'accélération de l'écoulement des glaces polaires, récemment observé au Groenland en particulier. Or, il y a 125 000 ans, au précédent interglaciaire, le climat était de quelques degrés plus chaud qu'aujourd'hui et le niveau de la mer de 4 à 6 m plus élevé, notamment parce que le Groenland avait partiellement fondu. Le comportement du Groenland et de l'Antarctique au cours des prochaines décennies et des prochains siècles devrait être un élément important du prochain rapport du groupe scientifique du GIEC, qui sera publié en 2013. On comprend aisément l'intérêt de mieux cerner la façon dont ont évolué ces deux calottes polaires au cours du dernier interglaciaire.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2009-7/l-impact-des-activites-humaines-sur-le-rechauffement.html?item_id=2951
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