Alain ALBIZATI

Président de l'entreprise Albizzati Père et Fils et de la Fédération BTP du Territoire de Belfort.

Jean-Louis ALBIZATI

Directeur général de l'entreprise Albizzati Père et Fils.

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L'innovation, un état d'esprit

Entreprise familiale de gros oeuvre d'une centaine de personnes basée dans le Territoire de Belfort, Albizzati se caractérise par une approche innovante, de la réponse à l'appel d'offres à l'organisation du chantier. Explications de ses dirigeants.

Vous êtes émissaires du BIM, vous dites travailler volontiers sur des « moutons à cinq pattes »... Pourquoi affichez-vous l'innovation technique comme l'une de vos priorités stratégiques ?

Jean-Louis Albizati. Pour sortir du lot, quand on répond à des appels d'offres, il faut se démarquer par une réponse originale. Cela permet d'être choisi tout en n'étant pas forcément le moins disant.

Alain Albizati. Le maître d'ouvrage privé — ou public, via un mémoire technique — peut en effet estimer que notre dossier mérite une note plus élevée que les offres concurrentes. Et sur chantier, à prix égal, cette volonté d'amélioration continue nous permet d'avoir des marges un peu meilleures en faisant moins d'erreurs et en allant plus vite, en un mot en étant plus performants.

Votre ouverture à l'innovation se met en place dès le choix des appels d'offres auxquels vous répondez. De quelle façon ?

J.-L. A. Nous effectuons une veille sur les appels d'offres dans nos métiers et nous menons des actions commerciales en direction des donneurs d'ordre, des architectes et des bureaux d'études.

Nous savons, surtout lorsque nous voulons travailler hors de notre zone habituelle (le Territoire de Belfort et, plus largement, l'Est de la France représentent 70 % de notre chiffre d'affaires), que nous devons avoir plus de valeur ajoutée pour nous déplacer hors du département et que notre technologie complexe nous permet d'être performants en termes de prix. Évidemment, cela demande une réflexion en amont sur les solutions techniques que nous proposons et un travail sur l'organisation du chantier qui sont le fruit de notre expérience.

A. A. Il y a des entreprises qui ne souhaitent pas répondre à des appels d'offres trop techniques ou qui se concentrent sur un seul créneau de marché : le logement ou le bureau, par exemple. Nous, nous nous positionnons sur des appels d'offres pour des chantiers qui ne sont pas évidents à étudier ou qui sont difficiles à réaliser et qui demandent une démarche intellectuelle complexe, soit en amont, au niveau de la conception de la réponse, soit au niveau de l'organisation du chantier et de la réalisation.

Prenons l'exemple d'un chantier de génie civil que nous réalisons dans une usine : la complexité n'est pas technique mais réside dans les délais. Nous n'avons pas été choisis parce que nous étions moins chers que nos concurrents mais parce que nous avons proposé une meilleure organisation. L'innovation, ce n'est pas forcément faire plus, c'est faire mieux.

En pratique, cela signifie souvent être ouverts sur un modèle 3D, comme sur une semaine qui ne soit pas de 35 heures ou sur des modes opératoires différents. L'innovation dans nos métiers ne repose pas seulement sur un outil informatique mais aussi sur une organisation et des modes de travail.

Quels sont les choix les plus « audacieux » que vous ayez faits sur le plan technique ?

J.-L. A. et A. A. La Fondation Jérôme-Seydoux-Pathé, à Paris.

J.-L. A. Nous avons d'ailleurs hésité à être candidats sur un tel chantier en voyant l'îlot sur lequel il devait être construit. Là encore, ce n'est pas notre prix qui a fait la différence, mais nous avions déjà travaillé avec l'architecte, Renzo Piano, et nos certifications (ISO 9001, ISO 14 001 et Qualibat) ont rassuré le client. La qualité de notre contact avec lui a compté également.


La Fondation Jérôme-Seydoux-Pathé, un chantier complexe en coeur d’îlot parisien.

A. A. Cette fondation est la plus symbolique et la plus médiatisée de nos réalisations, mais en réalité le choix le plus audacieux, c'est celui que l'on va faire car on craint toujours de ne pas atteindre le niveau de qualité souhaité, de ne pas tenir les délais, de ne pas entrer dans les prix... Avoir de l'audace ne signifie pas forcément travailler sur un bâtiment aux formes complexes, cela peut se jouer sur les prix ou les délais. Un travail modeste dans un environnement contraint peut être très audacieux !

Comment détectez-vous les innovations techniques que vous allez mettre en oeuvre sur les chantiers ?

A. A. Quand un ouvrage est décrit dans un dossier d'appel d'offres, plusieurs pistes doivent être étudiées. Nous recherchons des simplifications ou des améliorations qui intéresseront le client.

Nous travaillons aussi avec des fabricants pour trouver de bonnes réponses sur le plan technique ou esthétique. Nous avons ainsi étudié avec un préfabricant un système de prémur avec interposition d'isolants.

Nous concevons parfois nous-mêmes des modes opératoires spécifiques pour des bâtiments singuliers. Ainsi, pour un bâtiment ayant un porte-à-faux de 19 mètres, nous avons mené un chantier dans le cadre de l'assurance qualité avec un suivi de formation, en prévoyant notamment un ordre précis d'exécution des voiles, le décintrage de l'ouvrage, la mesure quotidienne de la déformation... Une démarche qui n'était qu'ébauchée dans notre réponse à l'appel d'offres, mais qui a ensuite été affinée.

Quelles sont vos principales innovations actuelles ou à venir ?

J.-L. A. Beaucoup proviennent de la technique informatique. Nous nous sommes lancés dans le BIM, mais, pour le moment, seulement en interne. Aucun dossier ne nous est encore arrivé de l'extérieur. On pourrait dire toutefois qu'avec la Fondation Jérôme-Seydoux-Pathé, nous nous y étions déjà mis dès 2012, presque « sans le savoir », car le modèle 3D de l'architecte a servi à tout le monde. Et il s'agissait déjà d'une sorte de technique d'impression 3D puisque ce bâtiment ne comportait pas de coffrages.

Nous nous sommes lancés dans l'utilisation de scanners 3D pour la réalisation des parcs pour skateboards. À l'occasion d'un appel d'offres pour la rénovation d'espaces d'accueil au Louvre, nous avons travaillé avec un développeur sur la mise au point de réalités virtuelles augmentées afin de voir sur un écran d'iPad la réalité actuelle et future, et donc les endroits précis où intervenir.

Modélisation du parc pour skateboards de Belfort.

Nous essayons d'utiliser la réalité virtuelle dès que c'est possible, mais pour le moment ses applications dans nos métiers ne sont pas encore considérables. La modélisation 3D nous sert également, à partir d'un nombre limité de sondages, à évaluer les quantités de béton nécessaires à des fondations, par exemple, et elle nous permet de réduire les risques du devis. Nous regardons aussi ce que l'on peut faire avec l'impression 3D, sans rien de concret pour le moment.

Modélisation 3D avec points de sondage pour évaluer les fondations nécessaires (en rouge).

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez ?

A. A. Aujourd'hui, le prix est la principale contrainte, y compris pour des produits très spécifiques. Cela veut dire que, même si nous sommes « bons » techniquement sur un type d'ouvrage particulier, nous devons aussi être performants dans son chiffrage. Bien évaluer un chantier constitue un savoir-faire, et la contrainte économique, c'est aussi du carburant pour l'innovation une contrainte extérieure qui nous permet d'innover.

Mais même si la contrainte financière est la règle, s'il n'y a pas de marchés protégés, il peut arriver que nous nous « fassions plaisir » en sachant que le retour sur investissement portera sur l'image de l'entreprise...

Comment s'effectue la veille technologique ?

A. A. C'est le rôle du chef d'entreprise, qui doit savoir lever la tête, mais dans une PME, chaque personne a du talent.

Est-ce que l'innovation est un élément de motivation pour vos salariés ? Avez-vous fait évoluer vos pratiques de recrutement et de formation pour les y associer ?

A. A. Notre budget de formation est quatre fois supérieur au niveau légal, c'est dire si nous y attachons de l'importance. Nous savons que les hommes font la valeur de l'entreprise. Nous avons un cursus de formation interne en alternance de constructeur béton armé. Et, depuis 1994, nous participons à l'insertion professionnelle dans notre département du Territoire de Belfort, car cela nous semble relever de la responsabilité de l'entreprise.

Le recrutement passe en général par le bouche-à-oreille nous embauchons grâce aux candidatures spontanées que nous recevons. Notre image, notre « passion de construire », notre site Internet concourent à nous faire connaître.

Comment une entreprise qui compte une centaine de personnes comme la vôtre peut-elle rester au niveau techniquement face aux grands groupes ?

A. A. Localement, nous sommes souvent plus gros que les entités des majors et avons donc la bonne dimension pour avoir accès à de beaux chantiers. Nous ne nous sentons pas petits ! Techniquement, dans notre métier, nous n'avons pas de complexes. Et pour la partie juridique, nous avons le soutien de la FFB.

Notre bureau d'études compte trois personnes, mais nous travaillons avec des BET [bureaux d'études techniques] externes. Ce qui relève strictement de l'entreprise, ce sont les prix, la méthode, l'étude de la topographie et l'organisation du chantier.

Comment faites-vous « bouger les lignes » de l'organisation du chantier ?

A. A. L'expérience nous aide. L'outil informatique a été introduit dans l'entreprise dès 1972 pour le chiffrage, l'estimation des heures, des fournitures, le planning... À l'époque c'était un investissement important — environ 600 000 euros en coût constant —, mais il a prouvé son efficacité et révélé son potentiel. Aujourd'hui, il est intégré à la culture de l'entreprise. Il nous permet, au moment où le « dossier transfert » assure le passage du bureau d'études à la réalisation, d'avoir toutes les données nécessaires pour établir le planning, mais aussi de bénéficier d'une comptabilité analytique nous informant tous les mois de ce que l'on gagne ou de ce que l'on perd sur un chantier.

J.-L. A. Tous nos chefs de chantier ont un iPad équipé d'un système de gestion de chantier nomade, développé en interne et codé par un développeur, qui nous permet de capitaliser notre expérience et d'être plus performants lors des chiffrages.

A. A. Notre entreprise existe depuis 1919. Elle a toujours cherché à aller de l'avant. C'est un état d'esprit.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2015-6/l-innovation-un-etat-d-esprit.html?item_id=3487
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