© Veolia / Christophe Majani

Alain FRANCHI

Directeur général de l'activité Eau de Veolia en France.

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Les promesses du numérique pour gérer les services de l'eau

De multiples facteurs contribuent à une redéfinition des métiers et services liés à la distribution d'eau. Les progrès du numérique, et particulièrement de l'assemblage et de la transformation algorithmique des données, ouvrent la voie à de nouvelles stratégies, comme l'explique Alain Franchi.

Quels sont les grands défis de la gestion de l'eau à l'heure actuelle en France ?

Alain Franchi. Le « métier de l'eau » est, comme beaucoup d'activités, en mutation sous la pression :

  • des normes environnementales, dont l'exigence croît avec les techniques d'analyse de la qualité des eaux et l'« usure » des territoires, tant en matière agricole qu'en matière industrielle
  • des réformes administratives, dont la loi « Notre » sur la nouvelle organisation territoriale, qui pousse les collectivités locales à se regrouper pour en diminuer le nombre, est une illustration
  • des attentes de la population au regard de la modification profonde de l'économie des territoires, qui renforce la concentration des valeurs ajoutées dans quelques métropoles
  • de l'évolution de l'organisation de la « chaîne de production » des services de l'eau et de l'assainissement tendant à éclater l'entièreté de la prestation en isolant, par exemple, tout ou partie des « services clientèle ».

Compte tenu des « points de départ » très variés, en termes de taux de pollution, de qualité des infrastructures, des regroupements déjà opérés ou pas des services environnementaux et des histoires locales, les modalités d'exercice du métier de l'eau se démultiplient : régie, société dédiée, société d'économie mixte à opération unique (Semop), régie intéressée, délégation de service public, marché d'entreprise...

Veolia doit s'adapter pour répondre à chacun de ces besoins. Cela entraîne des modifications des organisations intégrées qui cherchaient à réaliser des économies d'échelle grâce à la mise en commun de services support, de services de mesure, de services de recherche et développement... Bien souvent, la fermeture des marchés délégués à tout flux financier et physique extérieur au territoire délimité empêche ces péréquations, que permettait la verticalisation de nombre de savoir-faire.

Nous devons donc inventer une nouvelle manière d'organiser les tâches de façon à conserver une capacité technologique de développement au service d'entités locales d'exercice.

Comment la transition numérique gagne-t-elle le secteur de l'eau?

Le métier de l'eau est le fruit de chaînes de production complexes. Il est invisible pour le client final, puisque rémunéré le plus souvent lors de l'amenée d'eau au compteur.

La décomposition de la chaîne de production est facilitée par les technologies numériques, qui visent à séparer les opérations d'assemblage des tâches de leur réalisation effective, c'est-à-dire de leur réalisation physique sur le terrain.

Autrement dit, il nous faut adapter notre mode de production et de distribution en créant des « services de la donnée », tant en apportant notre savoir-faire pour en développer la multitude que pour en tirer un service rénové, plus efficace, plus proche des besoins de nos clients, ainsi que des offres nouvelles.

Concrètement, qu'est-ce que cela apporte à la gestion des services ?

Cela impacte positivement la performance dans la gestion des services au quotidien. Les procédés de traitement sont maintenant assurés par des ensembles d'équipements sophistiqués, communiquant entre eux et régulés en temps réel. Le développement de ce que l'on appelle les « réseaux intelligents » - ou « Iots Internet des objets » - répond à la fois aux enjeux de protection de la ressource, avec la prélocalisation au mètre près des fuites, grâce à des outils de collecte de données sur les tronçons du réseau, et d'optimisation de la qualité de l'eau, par le suivi de paramètres de qualité en temps réel.

Par exemple, dans l'agglomération lyonnaise, depuis plusieurs mois, nos équipes déploient 6 000 capteurs sur 2 000 kilomètres du réseau d'eau potable et 290 000 compteurs d'eau télérelevés chez les abonnés. Nous allons économiser 33 000 m3 d'eau par jour mais aussi réduire notre consommation d'électricité, puisqu'il faudra moins d'énergie pour pomper l'eau dans les nappes. Les 290 000 clients concernés seront, quant à eux, informés par téléphone ou par mail des anomalies de consommation et des risques éventuels de coupures et auront des factures établies sur la base de ce qui a été réellement consommé. Ces nouvelles informations mises à la disposition des usagers ne seront pas sans conséquences sur leurs habitudes de consommation.

Quel rôle va jouer la gestion du « big data » dans votre métier ?

Nous avons de plus en plus de données disponibles grâce à ces capteurs - nous en gérons plus de 1,7 million - et les outils informatiques sont de plus en plus puissants pour les analyser, avec un coût de collecte de l'information qui a été divisé par dix en quelques années. Nous allons devenir spécialiste de l'assemblage et de la transformation algorithmique des données pour en faire un usage opérationnel, c'est-à-dire valoriser notre action en apportant de la valeur ajoutée à ces données. Nous avons désormais la capacité de collecter de la donnée en grande série, de l'intégrer et de l'analyser.

Notre maillage territorial est un atout déterminant. Nous allons donc axer notre stratégie vers des services et offres spécialisés et sur mesure, et plus seulement sur des contrats globaux de type concessif. Demain, en plus de notre métier historique, nous deviendrons aussi opérateur des territoires, expert sur des technologies dédiées et des savoir-faire à haute valeur ajoutée pour d'autres services publics, et pourrons même ouvrir nos expertises à d'autres opérateurs privés.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2016-3/les-promesses-du-numerique-pour-gerer-les-services-de-l-eau.html?item_id=3522
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