Partage

Les promesses de l'intelligence artificielle

Jusqu'où l'intelligence artificielle va-t-elle transformer nos vies, bouleverser notre quotidien ? Réponses de Yann LeCun, l'un des grands spécialistes de ces questions.

Pourquoi un groupe comme Facebook investit-il massivement dans l'intelligence artificielle (IA) ?

Yann LeCun. L'IA est une technologie clé pour le futur. Elle va bouleverser la communication entre les personnes, mais surtout faciliter leur vie quotidienne. Elle aura des applications dans les domaines les plus divers, comme la santé, les transports ou l'énergie. À peu près tous les secteurs industriels seront touchés.

Une grande partie du fonctionnement de l'Internet repose déjà sur l'IA (les réseaux sociaux et les moteurs de recherche, notamment) et notre objectif est d'abord de donner aux machines la capacité d'interpréter au mieux les sons, les images, les messages, les vidéos, pour proposer à chacun de nos utilisateurs les contenus les plus intéressants pour eux. À terme, nous souhaitons développer des assistants personnels qui nous aideront dans la vie de tous les jours, qui dialogueront avec nous et seront en mesure de nous donner des conseils personnalisés, pour choisir un livre, un vin, un restaurant, etc.

Facebook ne travaille pas directement sur des applications de l'IA en santé, car nous nous concentrons sur des méthodes de base. En revanche, nous nous sommes engagés dans un processus d'open science : nous publions tous les résultats de nos recherches pour en faire bénéficier l'ensemble de la communauté scientifique. Ainsi, des applications santé pourront être développées par d'autres en s'appuyant sur notre recherche. Nous sommes convaincus que la recherche progressera d'autant plus vite que les échanges entre chercheurs seront importants et que la communauté scientifique sera large.

Qu'est-ce que l'intelligence artificielle peut apporter à la vie humaine ?

Depuis plus d'une décennie, de nombreux travaux de recherche sont menés en bio-informatique ou en génomique. Leurs résultats sont impressionnants, par exemple pour identifier les gènes susceptibles de poser problème. Les progrès en matière d'imagerie médicale sont également considérables : l'analyse d'images en 3D, par exemple, se généralisera et permettra d'identifier et de localiser les tumeurs. Je pourrais citer de nombreux autres exemples. Y compris de progrès encore à venir : pour le moment, les machines ne sont pas encore en mesure de comprendre entièrement le réseau d'interactions entre les gènes, mais on peut déjà se servir des résultats obtenus pour développer de nouveaux médicaments et de nouvelles techniques médicales. Ces méthodes vont beaucoup s'améliorer dans les années qui viennent, et leur utilisation va se généraliser.

À l'horizon 2050, quels progrès entrevoyez-vous ?

Il est très difficile de se projeter à 35 ans : à 10 ans on peut prévoir, à 20 c'est déjà plus délicat, à 35 cela me semble impossible. Dans dix ans, un grand nombre de voitures se conduiront toutes seules, ce qui réduira les accidents de la route. Sur le plan médical, on pourra prédire le résultat d'un traitement sur un patient, la télémédecine se développera et on traitera mieux des maladies chroniques, comme les diabètes les plus difficiles. Des traducteurs automatiques permettront aux gens de communiquer sans parler la même langue. Les premiers assistants personnels « intelligents » pourraient émerger.

Les interrogations sur les risques de l'IA sont nombreuses. Qu'en pensez-vous ?

Toutes les technologies puissantes créées pour aider l'humanité ont des bénéfices et des dangers potentiels. Je ne crois pas à l'idée, alimentée par les scénarios hollywoodiens, qu'une IA surhumaine présenterait un danger existentiel pour l'humanité. On est encore très loin d'avoir mis au point des machines dont l'intelligence puisse rivaliser avec l'intelligence humaine dans sa généralité : pour le moment, il n'existe pas de machines dotées du « sens commun ». Les machines doivent apprendre comment le monde fonctionne, et là, on en est encore au b.a.-ba. Il est aussi impossible qu'un défi technologique aussi complexe que l'IA soit développé en secret, par un ou quelques individus isolés. Ce n'est pas la première fois que l'humanité développe une nouvelle technologie qui fait naître des inquiétudes. En leurs temps, le train, l'automobile, l'avion et les biotechnologies ont également suscité des craintes. Mais Il me semble qu'une personne travaillant seule à équiper un drone d'explosifs est beaucoup plus dangereuse que des recherches sur l'IA bien encadrées par la communauté ouverte de la science.

Imprimer Envoyer par mail Réagir à l'article