Maurice G. DANTEC

Écrivain.

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La conscience comme infini

La relecture des grands mythes, la résurrection actuelle de Prométhée au détriment du golem, éclairent l'observation des nouveaux pouvoirs de la science sur l'humain et relativisent son évolution, car l'homme déjoue toujours les prévisions.

La thématique générale de ce numéro de Constructif - « Les nouvelles limites du vivant » - correspond à de nombreuses approches présentes dans mes ouvrages, romans et essais. Elle est, à l'image de l'humanité, passé, présent et futur.

La relecture des grands mythes est présente à la fois dans les questions de Samuel Estier, chercheur en littérature à l'université de Lausanne, et dans les réponses que j'y apporte. Elles définissent une approche romanesque, scientifique et théologique. La vie, en effet, est depuis toujours de nature luxuriante telle une jungle infinie. Elle se manifeste dans toute sa complexité, tels le verbe créateur et le code génétique.

Les nouvelles limites de l'humain : autant dire la nouvelle condition générale prométhéenne d'Homo sapiens. Le mythe de Prométhée est devenu, par sa résurrection paradoxale, la figure centrale et radicale de l'anti-golem. Le golem, en effet, de par le dispositif inscrit sur son front - le mot emet (« vérité ») qui, en raison de la disparition d'une simple lettre donne met (« mort ») -, est l'agent de la mort vivante, renvoyant l'homme d'argile à l'état de poussière.

Prométhée, porteur de lumière, à la fois ange-Lucifer et manifestation de la puissance christique, détermine aujourd'hui les nouveaux pouvoirs de la science - en tant que savoir prorogé par l'infini -, autant dire les nouvelles limites de l'humain, sa nouvelle économie générale.

Depuis le Moyen Âge, nous savons que les véritables révolutions sont en fait des contre-révolutions.

Deux phénomènes sont conjoints :

  • les technologies se servent de l'humain pour passer d'un stade de leur évolution à un autre
  • simultanément et réciproquement, Homo sapiens se sert des mêmes technologies pour passer d'un stade de son évolution à un autre.

Comme toute structure génétique, cette double hélice produit une troisième entité, elle-même formée d'une double hélice, invisible pour l'instant (intuition de romancier), présence réelle et universelle du vivant circonscrite par l'éternité, fractale infinie dans toutes les dimensions de l'espace et du temps.

Samuel Estier. Quelles sont pour vous les nouvelles limites de l'humain ?

Maurice G. Dantec. Il n'y a pas de limites à l'humain puisque le facteur anthropos est présent dans tout l'univers créé, suivant le plan divin. Pour un chrétien, le plan divin est l'Absolu nécessaire et suffisant à l'émergence de la vie sous toutes ses formes, encore une fois sans aucune finitude.

Depuis maintenant quatre ans, vous faites quotidiennement l'expérience des limites de votre propre corps, quels enseignements en retirez-vous ?

Mon oeil gauche devrait bientôt recouvrer une partie de ses capacités, cela témoignera de l'importance que j'accorde à la vision dans tous les sens du terme : en effet, voir c'est savoir dans toutes les dimensions de l'espace et du temps. Le corps est une structure complexe où la neurophysique et les données strictement corporelles sont en constante interaction. L'abus de substances psychotropes, avec la complicité des industries pharmaceutiques, peut en effet entraîner de graves dégâts généraux. Il s'agit bien encore d'une de ces limites auxquelles nous faisons allusion.

Vous écrivez des fictions qui s'attaquent à la racine de problèmes aussi vastes et complexes que l'identité, le mal, le langage ou encore la mémoire. Où trouvez-vous l'énergie pour le faire ?

De prime abord, les problématiques de l'identité, du mal et du langage et, mieux encore, de la mémoire, se sont configurées comme les dispositifs centraux de mes récits. Cette structure vortex crée un écho quasi infini, proche de l'agencement hélicoïdal du code génétique.

Quelle intuition guide votre projet littéraire de décrire les jeux des émotions humaines comme des dispositifs techniques ?

Les émotions humaines sont l'oeuvre de notre cerveau, elles sont de ce fait des dispositifs sociaux donc techniques. Aujourd'hui, avec le choc du présent scientifique, cette évidence n'est plus à démontrer.

En 1999, dans un documentaire pour la télévision, « Le meilleur des mondes ? », vous commentiez les avancées technologiques futures en disant qu'elles risquaient également de nous donner des outils pour lutter contre elles-mêmes, comme elles l'ont toujours fait.

Cet équilibre paradoxal est encore à l'oeuvre aujourd'hui. Il demeure au centre de mes préoccupations de narrateur. Ce constat est présent dans la plupart de mes ouvrages, il peut même s'agir de nos pouvoirs psychiques encore cachés, ceux que les sciences de l'étrange peuvent nous permettre de percevoir et qui forment la trame de certains de mes romans.

Le temps n'est-il pas advenu où, comme vous le pensiez, le cerveau des schizophrènes jouerait un rôle dans l'économie ?

Oui, au sens d'économie générale de l'humanité tout comme dans son sens plus restreint qui est celui de votre question. Le « câblage » du cerveau schizophrénique est une variation de l'évolution de tous les processus neurologiques.

Stephen Hawking déclarait en 2004 à la BBC que le développement de l'intelligence artificielle pourrait signifier la fin de l'espèce humaine, qu'en pensez-vous ?

Stephen Hawking, comme tous les partisans du rationalisme moderne, est sans doute, dans sa vie personnelle comme dans sa philosophie, le signe de l'émergence d'un néopositivisme radical. Aucune intelligence dite artificielle ne peut entraîner la fin de l'espèce humaine. Comme je l'ai exprimé dans mes ouvrages et dans quelques réponses, le facteur anthropos est sans limites, sans aucune finitude. Le facteur anthropos est le facteur humain vu sous son angle cosmogénétique, c'est-à-dire le cosmos espace-temps créé avec toutes ses ressources ADN.

Le transhumanisme d'aujourd'hui, qui nie la mort, sera-t-il la grande religion de demain ?

Dernière mode humanitaire, les transhumains transhument à travers le monde d'aujourd'hui, ils se croient promis à un brillant avenir. En ce qui concerne le posthumain ou le transhumain (mêmes pseudo-concepts), l'homme n'existe pas encore. Nous n'avons pas encore su l'inventer. À peine ébauché, il fait tout pour se détruire lui-même, comme le mythe du golem nous l'apprend : la disparition d'une lettre primordiale sur son signe frontal impliquant l'apparition du mot mort est justement le signe horriblement positif de cette béance. Comme dit précédemment, l'homme est précisément cet abysse infini qui fait/défait/refait sans cesse l'expérience infinie du monde créé.

S'il vous était possible de transférer votre mémoire et votre conscience dans des microprocesseurs, afin de survivre à votre mort biologique, le feriez-vous ?

Non, puisqu'un tel dispositif est à mon sens impossible.

Depuis toujours l'homme est un principe aventurier, à l'instar de tous les grands mythes, il déjoue tous les prévisibles, on ne peut l'attendre au tournant. Merci à tous les gentilshommes de fortune. Ô cangaceiros. L'Univers créé est une immense Amazonie. Mon Brésil est universel, États-Unis du vivant, grâce à lui plus aucune limite, je suis vivant, je suis présent dans toutes les dimensions de l'espace et du temps.

http://www.constructif.fr/bibliotheque/2015-11/la-conscience-comme-infini.html?item_id=3508
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