Jean-Michel LE MASSON

Médecin en chef (R), chef du service de santé zonal pour le secrétariat général pour l'administration du ministère de l'Intérieur, chercheur associé au Centre de recherche des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan.

Gérard de BOISBOISSEL

Ingénieur de recherche au Centre de recherche des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan.

Partage

La robotique pour augmenter et réparer le soldat

Les progrès de la technologie vont modifier profondément les limites de l'homme au combat, qu'elles soient physiques ou cognitives, tant pour augmenter ses capacités que pour optimiser la prise en charge médicale (capteurs, implants).

Le soldat est un homme équipé redoutable, mais aussi vulnérable, qui de tout temps a cherché à mettre à son profit les évolutions technologiques auxquelles il peut avoir accès, en étant même parfois l'auteur, afin d'accroître son efficacité tactique et sa protection. Or, les évolutions technologiques prochaines vont permettre au combattant d'étendre son contrôle sur son environnement en portant plus loin ses capacités d'action, en améliorant sa connaissance de lui-même et de ses propres limites ainsi que sa protection, et en lui donnant des capacités d'analyse et de réaction supérieures à celles d'un individu non équipé.

L'utilisation de systèmes robotisés, bénéficiant d'une certaine part d'autonomie pour effectuer des actions sous contrôle de l'homme de façon directe ou indirecte, est depuis peu une aide proposée au combattant. Cet outil, mis à sa disposition, pourra lui donner des avantages inédits dans l'histoire militaire : la possibilité d'effectuer des missions répétitives dans la durée, de sauvegarder la ressource humaine pour des missions où sa valeur ajoutée sera plus forte, ou encore d'apporter un plus opérationnel au combattant, avec pour potentiel effet de modifier à terme les modes de combat traditionnels.

Un palliatif aux limites de l'homme

En somme, l'apport de nouveaux équipements technologiques et de systèmes robotisés permet dès à présent au combattant du XXIe siècle d'être « augmenté » lors de sa mission, et ce par l'amélioration de ses capacités cognitives pour être mieux informé sur son environnement tactique, par l'aide à la prise de décision, par l'amélioration de sa résistance physique ou l'allégement du port de charges, et par la possibilité d'accroître ses capacités opérationnelles avec l'utilisation d'équipements spécifiques à sa mission.

D'un point de vue strictement médical, en revanche, la définition de soldat augmenté elle-même souffre d'un risque qu'il est nécessaire de prévenir. En effet, lorsque nous parlons d'augmentation, nous faisons référence à un dépassement des normes garantes d'un fonctionnement normal. Ce qui nécessite d'emblée de délimiter avec précision les nouvelles frontières posées par l'apport des neurosciences dans les champs explorés au profit du combattant.

Ce qui est certain, c'est que nous devrons préparer le soldat à la maîtrise de ces acquisitions, leur appropriation ne devant en aucun cas être une carapace leur conférant un sentiment d'invulnérabilité dont le risque serait, à l'occasion d'un traumatisme, un retour difficile à la réalité, avec production d'un choc post-traumatique, d'autant plus intense qu'évacué et éludé du « possible » et de la conscience.

Les limites humaines, qu'elles soient physiques ou intellectuelles, peuvent ainsi être accompagnées, voire dépassées. La technologie peut tout d'abord permettre d'être mieux informé, de façon simple et ergonomique. Elle permet également de soulager une des contraintes que le soldat a dû assumer depuis toujours, celle de porter de lourdes charges, ce qui restreint la mobilité, augmente la vulnérabilité et la fatigue. S'y rajoute aujourd'hui une charge cognitive croissante due à la complexification des systèmes que le combattant doit utiliser, avec la numérisation croissante des équipements militaires intégrés dans l'espace de bataille. Enfin, une intelligence intégrée dans les équipements à la disposition du soldat permettra de l'accompagner dans sa manoeuvre, ainsi que de l'aider à prendre les décisions qui s'imposent dans un environnement complexe.

Un soldat augmenté

Un soldat mieux informé, allégé et mieux équipé, sera ainsi un combattant augmenté ayant plus de facilité à remplir sa mission et plus de chances de surpasser son adversaire en cas de danger.

Il sera mieux informé sur ses propres capacités physiologiques car, pour le chef d'un groupe de combat, il est vital de connaître le niveau d'attention global de son unité, son état de stress et son état émotionnel. Des capteurs de mesure du rythme cardiaque ou de la température corporelle peuvent lui être de très utiles indicateurs.

Sur le plan tactique, l'information étant la clé de voûte de toute action militaire, des équipements performants pourront accompagner le dispositif de combat du fantassin ou y être intégrés, comme par exemple :

  • Des caméras de vision jour-nuit longue distance, thermiques et à amplification de lumière, qui assureront une vision fine, précise et globale (360°) de la zone de conflit, et qui pourront également géolocaliser les cibles détectées en indiquant leur position GPS.
  • Des détecteurs de mouvements.
  • Des capteurs d'indication de la position exacte amis-ennemis ainsi que de reconnaissance des populations civiles et des points de ralliement.
  • Au niveau de la communication, des équipements développant l'intercommunicabilté silencieuse et améliorant la captation des signaux d'alerte de la progression ennemie et la compréhension et l'écoute des ordres.
  • Des capteurs informant sur l'environnement NRBC (nucléaire, radiologique, biologique, chimique).
  • Des capteurs sur la consommation des munitions ou des denrées (eau, nourriture) permettant une anticipation du recomplètement logistique.

L'ensemble de ces informations peut être présenté de façon ergonomique sur une tablette flexible ou à l'intérieur d'un casque de réalité augmentée.

Marches longues et déplacements en milieu hostile sont inhérents à l'action militaire terrestre. Aussi, des équipements permettant d'aider le combattant à porter des charges seraient d'un grand avantage. Il peut s'agir de « robots-mules », portant sacs et ravitaillement, progressant au rythme de la manoeuvre militaire, mais aussi d'exosquelettes ou d'équipements d'accompagnement des muscles externes.

En outre, depuis peu, le soldat est de plus en plus accaparé par la complexité des systèmes qu'il doit opérer. Pour éviter une trop forte charge cognitive et faire en sorte que ces équipements puissent être utilisables par tout type de soldat, il faudra un système de pilotage simple et qui ne focalise pas l'attention de l'opérateur (effet tunnel), intégrant dans une seule interface l'ensemble des informations des différents systèmes qu'il intègre ou qu'il opère. Des bases de données intégrées aux équipements du soldat peuvent également l'aider à prendre les bonnes décisions, en lui permettant de s'appuyer sur une connaissance encyclopédique adaptée à la situation.

Ce même soldat doit également être mieux équipé en fonction des situations. De nouveaux matériaux comme le graphène (deux cents fois plus résistant que l'acier) pourraient permettre de créer des structures pare-balles très légères et souples. D'autres pourraient permettre de réaliser des capes d'invisibilité thermique ou de réflexion des ondes de détection radar, ou bien être totalement isolants, voire imperméables à tout liquide. Enfin, les matériaux nanoporeux tels que les MOF (metal organic frameworks) peuvent stocker de grandes quantités de gaz ou de liquides, ce qui permettrait une réduction de la taille des batteries du futur. Les nanotechnologies pourront permettre l'équipement de structures très accrochantes (gants, chaussures), ainsi que la réalisation de nanomoteurs intégrés aidant à la propulsion ou la ventilation des équipements. De surcroît, des vêtements « intelligents » pourraient également, en cas de blessure, la détecter et effectuer automatiquement une constriction des tissus humains touchés, puis administrer un calmant.

Sur le plan de la protection physiologique, les réseaux de capteurs cités plus haut assureront une meilleure prévention dans le maintien de la condition et de la protection du combattant et permettront également une optimisation des déplacements et une adaptation de la progression par l'analyse de caractéristiques physiologiques. En effet, prenant en compte les contraintes de terrain, géographiques ou climatologiques, ils réguleront les facteurs de résistance et d'endurance tout en diminuant la pénibilité et la fatigabilité.

Enfin, sur le plan psychologique, ils seront un élément modérateur de stress, en déchargeant l'individu de la collecte, du traitement et de l'analyse de l'ensemble des données recueillies, tout en lui proposant les paramètres les plus appropriés dans la commande et la prise de décision.

Il faudra cependant prévoir que l'utilisation à grande échelle de la technologie pour des missions militaires aura pour effet d'accroître la dépendance à ces équipements technologiques qui accompagneront le soldat dans son action, ce qui changera les façons d'opérer traditionnelles et se traduira par un surcoût lié aux besoins de formation très spécifique à ces nouveaux outils et à la maintenance des équipements.

La réparation du soldat

La dangerosité de l'action du militaire conduit le soldat à s'exposer à des risques physiques et psychologiques, entraînant parfois de graves blessures que la nation a le devoir de réparer par toutes les techniques à sa disposition.

Il s'agit, d'une part, de potentiels effets secondaires indésirables, parfois irréversibles, induits par l'apport de substances endogènes ou d'implants. Ils font naître une nouvelle responsabilité médicale qu'il convient d'intégrer dans des cadres juridiques et éthiques clairement définis, tant sur le plan de l'évaluation des dommages que sur celui de la réparation juridique de ces dommages corporels ou psychiques.

D'autre part, la mise en place de réseaux de capteurs externes, ou l'ajout d'équipements supplémentaires pour le combattant, nécessitera de prendre en compte toute possibilité d'altération pour lui assurer de conserver son autonomie, ce qui conduira, de fait, à son renforcement psychologique.

Ces facteurs seront ainsi à considérer non comme dopants au sens physiologique, mais comme « facilitant » aussi bien les capacités physiques et cognitives d'évaluation et d'appréhension de l'environnement que les facultés d'adaptation aux contraintes du combat, ainsi que le choix de la conduite et de la décision les plus appropriées dans le temps et dans l'espace. Ils seront également générateurs de signaux d'alerte en cas de défaillance physiologique ou physique, ce qui permettra de corriger à distance et de façon quasi immédiate les troubles rapportés, identifiés et confirmés (dans la mesure du possible).

Réparer les blessures physiques

Ainsi, l'apport des nanotechnologies sera probablement un outil plus performant d'aide au diagnostic immédiat, assurant non seulement l'adaptation et la préparation de la chaîne de la santé, depuis la prise en charge du lieu de combat jusqu'à l'hôpital spécialisé (ce qui se passe actuellement), mais permettant également d'optimiser la situation en cas de blessés nombreux et de prioriser les actions, en réalisant une véritable cartographie à la fois initiale et évolutive des soldats blessés, en fonction des critères d'urgence et des contraintes du combat.

Réparer les blessures psychologiques

L'équilibre psychique d'un individu et sa capacité à faire face aux épreuves auxquelles il est confronté dépendent non seulement de facteurs qui lui sont propres, mais également de facteurs liés à l'environnement professionnel, familial et social dans lequel il évolue. Le soutien psychologique du militaire doit donc prendre en compte, dans une même dynamique, les dénominateurs psychosociaux et médico-psychologiques susceptibles de maintenir, favoriser et, le cas échéant, restaurer cet équilibre.

Si l'amélioration des capacités cognitives (attention, veille) par certaines substances est un enjeu vital et pertinent à risques limités, car plus contrôlables et réversibles à l'arrêt, le risque peut être majeur quant à l'impact de drogues médicamenteuses sur la transformation psychique et la rupture de cet équilibre. Ainsi, l'accroissement de la résistance aux émotions violentes et à l'épuisement mental, l'insensibilité à la douleur et aux effets psychiques de scènes traumatisantes peuvent générer, à moyen ou long terme, la résurgence de troubles post-traumatiques importants.

Toutefois, cette amélioration des performances et des capacités ne devra pas donner au combattant un quelconque sentiment d'invincibilité, au risque de provoquer, une fois à distance de la situation opérationnelle, un traumatisme, un choc psychologique d'autant plus marqué que le soldat aura intégré ce sentiment d'invulnérabilité. La préparation psychologique sera donc un élément majeur de son entraînement dans le cadre de l'acquisition et de la maîtrise de ces outils complémentaires. Elle permettra ainsi une prise en charge plus rapide du « syndrome post-traumatique augmenté ».

Enfin, le traumatisme psychique résulte toujours d'une perception ou d'une sensation, tous les organes des sens ainsi que les sensations proprioceptives pouvant être à l'origine d'un traumatisme. Ne risque-t-on pas par conséquent un effet retardé accru, et ces modifications neurobiologiques ne peuvent-elles pas conditionner non pas la survenue des « post-traumatic stress disorders » (PTSD, désordres post-traumatiques) en tant que tels, mais leur prévention, leur incidence, leur surveillance, leur prise en charge ?

En conclusion, le soldat augmenté de demain sera un combattant qui pourra plus aisément surpasser ses limites humaines pour une meilleure appréhension du champ de bataille et une meilleure efficacité tactique, et qui bénéficiera aussi de l'accroissement de sa résistance à la fatigue, aux émotions violentes et à l'épuisement mental, ce qui réduira d'autant sa vulnérabilité pour le plus grand bénéfice de nos forces armées. Mais, aussi évoluées soient-elles, ces technologies d'un futur dans lequel nous sommes déjà entrés ne devront pas nous faire oublier que le soldat est avant tout un homme, dont les facultés de résilience seront plus que jamais à préserver, de la préparation de la mission jusqu'à son exécution totale et au-delà, jusqu'à son entière et complète réintégration psychosociale.

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