Hippolyte d' ALBIS

Professeur à l'université Paris I-Panthéon-Sorbonne et à l'École d'économie de Paris.

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L'immigration au secours de la croissance

Quels sont les effets macroéconomiques de l'immigration ? La plupart des travaux, y compris ceux relatifs à la France, concluent à un effet positif de l'immigration sur la croissance économique.

Suggérer que l'immigration puisse être utile à la croissance économique pourrait, a priori, sembler réducteur à certains lecteurs et paradoxal à d'autres. Réducteur, car l'immigration ne peut évidemment pas uniquement être analysée à l'aune de ses effets économiques. Ses répercussions sociétales et culturelles, son imprégnation dans l'histoire et la dynamique des territoires, et surtout son rôle clivant au sein des discours publics et de la vie politique en font un phénomène social extrêmement riche et complexe. L'approcher par l'économie est néanmoins utile, car la motivation de la personne immigrée a très souvent une origine économique et les flux migratoires se font principalement des pays les plus pauvres vers les plus riches.

Si, au cours des cinquante dernières années, la part des personnes immigrées dans la population active est restée globalement constante, autour de 2,8 % au niveau mondial, elle a doublée dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en passant de 5 % à 10 %. Mais ce n'est pas tout : l'approche économique de la migration est importante, car la place des arguments économiques dans l'ensemble des discours sur l'opportunité de la migration est particulière. Parce qu'ils sont a la fois plus pudiques et plus faciles à manier que les arguments relatifs à la culture, aux habitudes ou à la religion, leur poids est disproportionné. Pourtant, comme par miracle, les défenseurs de l'immigration vont avancer que des « études » économiques « montrent » que l'immigration est favorable, tandis que les opposants à l'immigration mobiliseront d'autres « études » qui diront le contraire. Toutes les études ne se valent pas, et l'objet des lignes qui suivent est d'expliquer les difficultés de l'analyse des effets économiques de la migration et de présenter les dernières avancées de la recherche académique sur le sujet.

Associer migration et croissance peut, par ailleurs, paraître paradoxal, surtout en France. La part des flux nets (les entrées moins les sorties) de personnes étrangères dans la population active en fait un des pays de l'OCDE les plus fermés. À titre d'illustration, en 2000, cette part était de 0,81 % contre 2,13 % au Royaume-Uni, 2,64 % en Allemagne et 5,71 % aux États-Unis. En outre, la migration autorisée pour motif de travail est beaucoup plus marginale en France que dans les autres pays européens. Le motif travail ne représentait en 2012 que 5,4 % des titres de séjour de plus d'un an attribués pour la première fois à des ressortissants de pays tiers. Symétriquement, plus des trois quarts du flux d'entrées en France s'expliquent par des motifs familiaux ou d'études.

Quel lien avec le niveau de vie ?

Pourtant, si faible et si spécifique fût-elle, l'immigration a contribué à accroître le niveau de vie moyen en France au cours des dernières années. Pour réfléchir aux effets économiques de l'immigration sur le pays d'accueil, il est utile de repartir des idées simples et de discuter ensuite leur portée et leur validité. Par exemple, Maurice Allais, Prix Nobel d'économie en 1988 et polémiste éclairé, analysait la question de façon lapidaire. Il constate que les revenus, qu'ils soient du travail ou de l'épargne, des personnes migrantes sont en moyenne inférieurs à ceux des natifs du pays d'accueil. Il en déduit donc que le revenu moyen d'un pays diminue avec l'immigration. Bien qu'un peu mécanique, certains diront comptable, ce type d'analyse, de par sa simplicité et son caractère évident, a un pouvoir de conviction extrêmement important. Elle est en filigrane de nombreux discours allant de la « misère du monde » au « coûts » supposés des personnes étrangères. Elle est même parfois implicitement reprise par des partisans d'une plus grande ouverture des frontières lorsqu'ils justifient leur position par un « devoir de solidarité » internationale.

L'argument comptable de Maurice Allais ne rend néanmoins compte que d'une partie du problème. Comme souvent en économie, les choses sont plus compliquées, et la société n'est pas une simple addition de personnes indépendantes. Les chercheurs en économie ne cessent de montrer au contraire que les interactions et les complémentarités entre les agents font mentir l'arithmétique comptable. Les crises financières ou immobilières, le développement exponentiel des pays émergents, le succès continu des métropoles : nombreuses sont les problématiques qui sont comprises à l'aide des interactions entre les agents économiques.

Les écrits scientifiques contemporains sur les effets économiques de la migration ne font pas exception. Ils étudient les complémentarités entre les compétences des personnes migrantes et celles des personnes résidentes, qui conduisent à des gains de productivité au niveau de l'entreprise débouchant, parfois, sur une amélioration des conditions de salaire et d'emploi des secondes. Ainsi, dans une étude récente du marché du travail français entre 1968 et 1999, Javier Ortega et Gregory Verdugo établissent que l'immigration a eu un effet positif sur les salaires des personnes nées en France 1. Dans le secteur de la construction, où la part des ouvriers immigrés est deux fois plus importante que dans le secteur manufacturier, les deux chercheurs ont observé que l'immigration entraînait une réallocation des natifs vers des emplois de meilleure qualité.

D'autres mécanismes sont à l'oeuvre. La migration permet de satisfaire une demande de main-d'oeuvre qui peut faire défaut dans certains secteurs. Plus généralement, les personnes migrantes étant aussi plus mobiles, la migration peut venir compenser le manque de mobilité géographique des personnes résidentes et favoriser le développement de territoires où la main-d'oeuvre est peu nombreuse. Enfin, et surtout lorsque elle s'accompagne d'une installation durable, la migration conduit à un accroissement de la demande adressée aux entreprises. Entre, d'une part, l'effet comptable négatif de la migration, et, d'autre part, les différents avantages microéconomiques engendrés par les personnes migrantes, seule une analyse statistique permet de trancher.

Un levier pour la croissance

Dans un article récent, écrit avec Ekrame Boubtane et Dramane Coulibaly, nous avons évalué empiriquement l'effet du taux de migration sur le produit intérieur brut (PIB) par habitant en France au cours de la période 1994-2008. L'immigration est mesurée par le flux de titres de séjour de plus d'un an délivrés aux ressortissants de pays tiers, ce qui permet de distinguer le flux en fonction de l'âge, du sexe et de la nationalité de la personne migrante et en fonction du motif de délivrance du titre. Le PIB par habitant est utilisé comme une mesure raisonnable du niveau de vie moyen, qui englobe les effets plus spécifiques de la migration sur l'emploi ou les finances publiques. L'analyse statistique révèle que le PIB par habitant croît avec le taux de migration.

Ce résultat rejoint de nombreuses autres études récentes, soit appliquées à d'autres pays, soit comparant les pays entre eux. L'effet est potentiellement très important. En recensant de nombreuses études, Michael Clemens a déduit que si les frontières étaient totalement ouvertes et que les travailleurs pouvaient aller là où ils le souhaitent, le PIB mondial pourrait croître de 50 % sur une période de vingt-cinq ans. Il est vrai que la migration est en France particulière, du fait de l'importance de sa composante familiale, qui se traduit d'ailleurs par le fait que les femmes sont majoritaires parmi les personnes entrées récemment. Pourtant, lorsque l'on se limite à l'analyse de l'effet de la migration pour motifs familiaux sur le PIB par tête, on retrouve là encore un effet significativement positif. Ce résultat s'explique par une observation au niveau microéconomique qui a été réalisée dans plusieurs pays similaires à la France. Les femmes migrantes investissent massivement les secteurs des services à la personne, ce qui favorise la participation sur le marché du travail des femmes nées en France, en moyenne plus qualifiées. Ce mécanisme d'externalité liée à la migration permet de contrebalancer l'effet comptable évoqué plus haut. Il est évident que le vieillissement de la population renforcera à l'avenir ce besoin spécifique.

Dans un environnement économique morose, il serait déraisonnable de se priver d'un levier qui, par le passé, a fortement contribué à la croissance française. Ce serait une stratégie à contre-courant, là où nos principaux partenaires sont au contraire lancés dans une course à l'attractivité de leurs territoires.

  1. Javier Ortega et Gregory Verdugo, « The impact of immigration on the French labor market : Why so different ? ». Labour Economics, vol. 29, 2014, p. 14-27.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2015-3/l-immigration-au-secours-de-la-croissance.html?item_id=3465
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