Président de la Fédération de l'industrie européenne de la construction (Fiec).
Pas de croissance sans investissements
Les entreprises européennes du secteur du BTP réunies au sein de la Fiec soutiennent le plan Juncker et formulent des propositions concrètes pour le compléter par des actions déterminées et fortes en faveur des investissements dans les infrastructures et la rénovation énergétique.
Faut-il soutenir le BTP pour relancer l'économie européenne ? Pour un entrepreneur de construction comme moi, la réponse ne peut être qu'un « oui » fort et convaincu. Mais encore faut-il éviter les malentendus ! Il ne s'agit pas d'une demande de subsides ou d'un programme d'aide pour un secteur en difficulté. Notre secteur n'a pas besoin de cela, car nous ne sommes pas le problème, mais la solution ! En ce sens, il me semble plus correct de dire : non, il ne faut pas soutenir le BTP. Par contre, ce qu'il nous faut, ce sont des politiciens et une administration qui travaillent correctement, faisant face aux obligations et devoirs que leur confient les citoyens. Il fait partie de leurs devoirs d'assurer l'entretien et la construction des infrastructures et des bâtiments qui sont nécessaires pour maintenir, voire augmenter, la compétitivité de notre économie, pour une plus grande indépendance énergétique, pour une meilleure protection contre les catastrophes naturelles, pour le bien-être des citoyens, etc.
D'énormes besoins de travaux
Faire faire des travaux pour la seule raison de soutenir notre secteur serait un non-sens économique, car il y a d'énormes besoins réels de travaux. Il faut investir en temps et en heure pour ne pas laisser s'accumuler la dette cachée du manque d'entretien et de rénovation et parce que les projets qui démarrent aujourd'hui ne porteront leur effets que dans quelques mois ou quelques années.
Il y a donc de nombreuses décisions politiques à prendre et beaucoup de travail à effectuer. C'est là que le secteur du BTP intervient, en offrant des solutions concrètes à tous les besoins, qu'il s'agisse du bâtiment ou des travaux publics. Dans ce contexte, le plan Juncker me semble offrir un nouvel élan pour l'Union européenne (UE), dont la situation actuelle inquiète nombre de citoyens comme les entrepreneurs de construction.
Les dommages de l'austérité
La Fédération de l'industrie européenne de la construction (Fiec) publie chaque année, en juin, son « Rapport statistique ». La dernière édition montre que la politique d'austérité qui a été privilégiée ces dernières années a causé un grand tort à l'économie réelle en général et au secteur de la construction en particulier (- 4,1 % en 2012, - 2,3 % en 2013), avec des coupes drastiques dans les investissements pour les infrastructures et les bâtiments publics. Nous n'avons cessé d'appeler les décideurs politiques à la raison et continuons à le faire auprès des nouveaux élus européens. Il s'agit d'ailleurs du message phare de notre manifeste pour le mandat 2014-2019 : il ne peut y avoir de croissance sans investissements !
Nous remarquons à présent que certains États membres de l'UE commencent à revenir sur ce postulat selon lequel l'austérité peut résoudre tous les problèmes liés à la crise. Si les investissements dans les infrastructures et l'accès au crédit pour les entreprises restent des points épineux, on voit renaître dans un certain nombre de pays des mesures en faveur de l'accès des ménages au logement mesures qui ont profité au résidentiel. Même si la reprise dans ce secteur n'était pas encore au rendez-vous en 2013, elle s'est matérialisée en 2014 (+ 1,0 %).
Alors que le déclin global s'est poursuivi en 2013, 2014 représente une année charnière de stabilisation, et nous voyons à présent une lueur d'espoir pour 2015 et les années à venir. Mais pour observer la matérialisation d'une reprise plus franche, il nous faudra malheureusement montrer encore un peu de patience, et surtout continuer notre travail de persuasion, à tous les niveaux décisionnels, en faveur des investissements pour la croissance et l'emploi !
Des mesures insuffisantes ?
Selon les termes du plan Juncker, 21 milliards d'euros versés par la Commission et la Banque européenne d'investissement (BEI) dans un Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI) doivent permettre de lever pas moins de 315 milliards d'euros sur trois ans pour les infrastructures, la formation, la recherche et les PME. La Commission compte donc sur un effet levier optimal de 1 pour 15 auprès des acteurs privés. Pour attirer les investisseurs privés, l'UE accepte de prendre en charge la majeure partie du risque, assumant d'essuyer en premier les pertes si un projet venait à échouer.
Les États membres sont aussi encouragés à contribuer à l'EFSI, au sens où leurs investissements ne seraient pas comptabilisés au titre des déficits publics. Cependant, les précisions récemment apportées par la Commission sur ce point semblent à première vue assez décevantes... D'autant plus que la Fiec considère qu'une telle mesure, même bienvenue, resterait insuffisante. En effet, l'ensemble des investissements publics réalisés dans le but de cofinancer les projets identifiés dans le cadre de ce plan devrait bénéficier du même traitement ! Il est impensable, compte tenu des circonstances actuelles, de ne pas distinguer entre pures dépenses de fonctionnement et investissements pour la croissance et l'emploi.
Malgré les doutes qui peuvent persister quant aux montants annoncés, il faut se réjouir que le plan d'investissement donne la priorité à des secteurs stratégiques pour la compétitivité de l'Union européenne : en particulier aux infrastructures de transport, d'énergie et de haut débit, ainsi qu'à l'efficacité énergétique.
Près de 2 000 projets ont déjà été identifiés, pour un coût total de 1 300 milliards d'euros, dont 500 milliards nécessaires au cours des trois prochaines années. Il semble raisonnable que seuls les projets qui généreront de l'emploi à long terme, posséderont une plus-value européenne évidente et pourront être lancés dans les trois ans à venir puissent être (co)financés.
Comment faire mieux
Sur cette base, la Fiec souhaite que les investissements soient dirigés vers des projets pour la rénovation des infrastructures existantes et la construction des chaînons manquants, d'une part, et pour la rénovation énergétique des bâtiments, d'autre part.
Par ailleurs, la Fiec a salué l'annonce de la mise en place, à la mi-2015, d'une plate-forme de conseil et d'information pour assister les porteurs de projets, les autorités adjudicatrices et les investisseurs dans la préparation des projets, l'utilisation des instruments financiers et la mise en oeuvre de partenariats public-privé. Un tel outil est en effet essentiel pour accroître l'expertise des nombreux acteurs en présence !
La Fiec insiste également sur la simplicité et la stabilité de l'environnement législatif, qui sont nécessaires pour assurer un cadre propice aux entreprises, ainsi que sur le besoin d'une adaptation des nouvelles règles prudentielles (Bâle III, CRD IV et Solvabilité II) afin de permettre aux investisseurs de long terme de jouer pleinement leur rôle.
Pour le reste, c'est bien entendu l'accès au financement qui reste le plus problématique, surtout en raison de l'assèchement des ressources publiques et des solutions traditionnelles de financement bancaire.
La Commission et la BEI parient sur les instruments financiers dits « innovants » afin d'accroître l'effet levier des fonds européens disponibles. En particulier, les obligations de projets (project bonds) ont été très médiatisées, et la Fiec encourage la BEI à les développer au maximum si le résultat de la phase pilote est effectivement concluant.
La tarification de l'utilisation des infrastructures et des coûts externes générés, selon les slogans « utilisateurs-payeurs » et « pollueurs-payeurs », est une autre option que soutient la Fiec. On peut d'ailleurs se réjouir que la commissaire aux transports, Violeta Bulc, ait confirmé que l'exécutif européen pourrait proposer très prochainement la création d'un péage européen pour les voitures.
Enfin, le recours aux partenariats public-privé peut être envisagé lorsque la contribution technique et économique du secteur privé peut apporter une réelle plus-value au projet. Il ne peut, en revanche, s'agir d'un pur instrument financier.
Le secteur de la construction est prêt à mobiliser tout son savoir-faire et son expertise. Il est grand temps à présent que les mots et les chiffres se transforment en actions concrètes. Le plus tôt sera le mieux, car sans investissements il n'y a pas d'avenir !
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2015-3/pas-de-croissance-sans-investissements.html?item_id=3464
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