Président de l’Académie d’intelligence économique. Ancien haut responsable chargé de l’intelligence économique au secrétariat général de la Défense nationale.
L’état relance la dynamique
Dans la compétition
internationale actuelle, l’État ne peut être absent
d’un domaine aussi important pour le devenir du pays. L’intelligence
économique est devenue aujourd’hui une politique publique
à part entière.
Force est de constater que l’intelligence
économique est encore, pour la grande majorité de nos concitoyens,
un concept flou et abstrait. Pourtant c’est un concept simple qui
s’appuie, en ce début de siècle, sur une évidence
: dans un marché devenu mondial où la concurrence est partout
et dont l’évolution est permanente, c’est la connaissance
qui est la clé du succès.
L’intelligence économique
est un mode de gouvernance dont l’objet est la maîtrise de
l’information stratégique et qui a pour finalité la
compétitivité et la sécurité de l’économie
et des entreprises. Celui qui la pratique va détenir un avantage
concurrentiel défendable et durable par la maîtrise de trois
capacités complémentaires et interactives :
- la gestion de l’information qui suppose de savoir recueillir, trier et analyser les données de tous ordres pour détecter les opportunités et les menaces,
- la protection de son patrimoine immatériel qui inclut le savoir-faire, la défense de l’image et la sécurité des flux,
- l’action proactive sur l’environnement par la communication, l’influence et le lobbying.
Pratiqué par les Anglais
depuis toujours et par les Japonais depuis le milieu du siècle
dernier, le concept a été énoncé pour la première
fois en 1986, à Harvard, par Michael Porter. Il a ensuite été
implanté puis développé aux États-Unis jusqu’en
1996, année durant laquelle le président Clinton a créé
l’Advocacy Center pour mobiliser toutes les ressources de
la nation, afin de gagner les grands contrats internationaux auxquels
participait l’Amérique. Depuis, il progresse dans tous les
pays et les entreprises ayant l’ambition de développer leur
leadership et d’assurer leur avenir.
Il est erroné de réduire l’intelligence économique
à de la veille, du renseignement, un nouveau mode de gestion ou
un avatar stratégique. Son champ recouvre l’ensemble de l’information
ouverte, soit 90 à 95 % de la totalité des informations
existant dans le monde. Elle met en œuvre des outils et des méthodes
de recherche, de traitement de l’information, d’aide à
la décision ainsi que des systèmes de protection. Dans une
approche globale, elle vise à analyser l’environnement de
l’entreprise, à développer les méthodes d’organisation
et de gestion de crise et à anticiper les actions des différents
acteurs. Elle permet au décideur d’anticiper les changements
de règles du jeu sur les marchés mondiaux et d’avoir
au bon moment tous les éléments nécessaires pour
sa prise de décision.
L’implication de l’État
Ainsi en cinquante ans nous sommes passés de l’entreprise
industrielle à l’entreprise marketing, puis financière,
pour en arriver à l’entreprise maîtrisant la connaissance.
Cette dernière étape est particulièrement difficile
puisqu’elle repose sur la mise en synergie des acteurs (États,
territoires, entreprises) et sur l’échange d’informations
entre eux. Elle se complique par les manipulations de l’information
qui sont devenues une méthode courante de concurrence déloyale.
L’atteinte de l’objectif suppose coordination et travail en
réseau à partir d’une prise de conscience générale,
et de la diffusion d’une culture de partage de l’information
en communautés d’intérêts. Contrairement au monde
anglo-saxon, où la pratique de l’intelligence économique
est naturelle, il s’agit là, pour nous Français, d’une
évolution culturelle majeure.
Heureusement, elle est en cours. Depuis 1986, l’implantation
de l’intelligence économique dans notre pays a été
marquée par un travail permanent des chercheurs et des universitaires,
et les grandes étapes qu’ont été le rapport
Martre en 1994, la création d’un conseil d’orientation
présidé par Bernard Esambert en 1986, la publication du
rapport fait, à la demande du Premier ministre, par le député
Bernard Carayon en 2003. Le succès médiatique actuel montre
que tout le travail réalisé ne l’a pas été
en vain et que beaucoup de professeurs, d’industriels, de politiques
ont commencé à s’approprier le concept. Par ailleurs,
il est intéressant de constater combien les ministères ont
développé, à partir d’initiatives internes,
des bases de données spécifiques malheureusement méconnues
et rarement interfacées.
Mais nous sommes loin d’être arrivés
au bout de la démarche et avons pris du retard par rapport à
d’autres grands pays. C’est pourquoi l’État, conscient
de l’importance de l’intelligence économique dans la
compétition mondiale, a décidé de s’impliquer
directement pour ouvrir la voie, orienter nos concitoyens, les aider dans
la découverte de la méthode, et accélérer
la mise en œuvre.
Une action en cinq volets
Outre la dynamisation de sa pratique en liaison avec
tous les acteurs concernés, le rôle de l’État,
en matière d’intelligence économique, comporte cinq
grands volets.
Le premier vise à améliorer l’efficacité
de l’administration. Il faut :
- identifier tout ce qui se fait en intelligence économique dans les administrations centrales, territoriales et les organismes parapublics,
- coordonner l’ensemble des actions menées par les administrations et services,
- prendre les mesures nécessaires pour combler les vides du dispositif, supprimer les doublons et corriger les dérives.
Le second concerne la promotion de l’intelligence
économique. Il inclut :
- la promotion de l’intelligence économique elle-même,
- les actions de sensibilisation du tissu économique ainsi que des journalistes, des élus et des hauts fonctionnaires,
- la formation des étudiants des universités et des grandes écoles, le développement de formations spécifiques performantes, la mise au point de modules de formation continue et de sensibilisation, sans oublier le soutien de la recherche académique dans ce domaine,
- la mise eau point en concertation avec les professeurs concernés de formations spécifiques performantes aux trois niveaux (licence, mastère, doctorat) en intégrant les approches des différentes écoles (managériale, technologique, guerrière et technicienne) du renseignement,
- l’encouragement au développement et la promotion des technologies de collecte et de traitement de l’information et de la communication présentant toutes les garanties de sécurité.
Le troisième repose sur la fourniture d’informations
stratégiques dans un partenariat public-privé adapté
à chaque cas. Ceci suppose de :
- jeter les bases d’un véritable partenariat avec les autres acteurs économiques, ce qui implique dialogue et prise en compte des attentes,
- accepter la mutualisation des connaissances,
- construire une coordination interministérielle de la production publique permettant de transmettre le plus rapidement possible la bonne information,
- développer l’intelligence territoriale avec les acteurs locaux,
- adapter le volume et le type d’informations aux besoins et à la capacité du destinataire (PME ou grandes entreprises),
- utiliser tous les moyens de liaison efficaces (associations, clubs, CCI, services publics, professionnels ou consulaires, centralisés ou régionaux, portails internet…),
- mettre en place des plates-formes opérationnelles de soutien à des actions majeures d’entreprises stratégiques ou de grandes opérations d’exportation.
Le quatrième concerne l’État régalien
dans son rôle de stratège et de gardien des intérêts
essentiels de la Nation ainsi que dans la défense de son indépendance
économique. Il l’assure par une politique de sécurité
économique nationale active :
- définition des champs et domaines de souveraineté,
- identification des produits de sécurité et des fournisseursde confiance,
- instauration d’un dispositif de veille, d’alerte et d’expertise visant à détecter et à suivre les investissements étrangers dans les domaines sensibles,
- mise en place et mise en œuvre d’outils législatifs, de contrôles juridiques, techniques et financiers,
- prise en compte des besoins exprimés par les entreprises pour la sécurité de leur personnel expatrié,
- contrôle du respect de la déontologie par les cabinets d’intelligence économique et de renseignement privé.
Un objectif pour tous
Le dernier volet
vise la mise en place et le développement coordonné de stratégies
d’influence dans les grands organismes européens et internationaux
et de contre-influence face à des attaques subversives visant l’État
ou des activités stratégiques.
Ce quintuple rôle de l’État vise, dans
le strict respect des règles communautaires et de l’OCDE,
à assurer aux acteurs économiques français un combat
à armes égales avec leurs concurrents internationaux, et
à optimiser leur compétitivité.
Sans espérer voir nos concitoyens atteindre la
culture de « l’intelligence » chère à nos
amis britanniques ou japonais, l’État cherche à faire
s’approprier par les Français les trois étapes de la
démarche d’intelligence économique réussie :
- une posture d’alerte permanente de chacun des acteurs de la vie économique,
- un réflexe naturel de diffusion des informations recueillies,
- des moyens de traitement de ces données par coordination, recoupement et évaluation.
Devenue par la volonté du Premier ministre une
véritable politique publique, l’intelligence économique
est un enjeu majeur pour notre pays : c’est l’affaire de tous.
Si nous voulons continuer à faire partie du groupe de tête
des pays développés, il convient de l’implanter rapidement
à tous les échelons de l’État, et dans tous
les types d’entreprises, car c’est une des clés du futur
dans la compétition mondiale.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-5/l-etat-relance-la-dynamique.html?item_id=2551
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