est préfet et vice-président exécutif de l’Association pour la diffusion de l’intelligence économique (ADIT).
Une urgente priorité pour les territoires
La démarche d’intelligence
économique doit prendre sa place au cœur des actions régionales
de développement. Son objectif est de susciter des dynamiques locales
favorisant la création d’activités et d’emplois.
Le rapport réalisé
à la demande du Premier ministre par le député Bernard
Carayon, Intelligence économique, compétitivité
et cohésion sociale, met en exergue, une fois encore, que l’intelligence
économique et stratégique est l’une des réponses
pertinentes à l’internationalisation de la concurrence.
Nous y trouvons aussi confirmation
que la puissance de l’internet jointe à l’explosion des
technologies de l’information ont rendu faciles l’accès
et le recueil d’informations de tous ordres. à l’inverse,
cette facilité rend nos entreprises et leurs atouts accessibles
et vulnérables, puisqu’elle permet à tous et notamment
aux concurrents d’être à leurs portes, quand ce n’est
à l’intérieur des systèmes informatiques.
Il faut donc agir dans deux dimensions : chercher l’information, déceler dans la surabondance celle
qui est utile pour l’exploiter ensuite et, à l’inverse,
protéger ou défendre son savoir, son savoir-faire, ses idées.
C’est tout l’enjeu de l’intelligence économique
et stratégique (IES).
Il en est un autre, qui prend
une dimension particulière et auquel l’intelligence économique
et stratégique peut contribuer de façon décisive
: la performance de nos territoires.
Soyons clairs. Résister
à la concurrence, préserver, ne suffisent plus. Il nous
faut conquérir des positions internationales dans des secteurs
nouveaux, sur des marchés émergents, investir les réseaux
d’excellence pour mieux coopérer.
L’ampleur des mutations sociales
et techniques, l’urgence de l’emploi, placent la démarche
d’intelligence économique au centre de toute action régionale.
Il nous appartient de multiplier les boussoles pour guider nos actions
locales : la démarche d’intelligence économique adaptée
à la gestion de notre diversité et donc de la richesse de
chaque bassin d’activité, de chaque métier, doit nous
inciter à coordonner nos actions de surveillance des environnements
multiples et lointains, au service d’une volonté déterminée
de conquérir.
Rechercher l’avantage compétitif local
La mondialisation, l’avènement de l’euro,
l’interdépendance des économies font naître en
France une soudaine inquiétude et l’impression d’illisibilité
du proche avenir. Mais ces mouvements sont, nous le savons, irréversibles
et c’est ailleurs qu’il convient de chercher les leviers de
l’action économique et de la création de richesses
et d’emplois. Précisément dans la construction de nos
territoires locaux, dans leur organisation et la mise en valeur de nos
capacités locales de production et de création.
Le paradoxe veut, en effet, que l’avantage compétitif,
créateur d’emploi, se maintienne et se développe dans
des dynamiques très localisées. Les acteurs, entreprises,
développeurs, s’appuient sur des organisations économiques
et sociales de proximité pour redonner un sens aigu au développement
local.
On a dit, à juste titre, que « la performance
des territoires locaux est un élément de notre souveraineté
qui n’a pas été entamé. » C’est
bien là que sont enracinés les ingrédients de la
ressource nationale, c’est-à-dire les savoir-faire si divers
des femmes et des hommes, scientifiques, techniques et d’organisation,
le cœur de notre substance productive et donc de notre capacité
collective à anticiper pour mieux les affronter, les mutations
et les crises.
Partager l’information pour se différencier
Il s’agit d’organiser dans les territoires
notre capacité collective à construire une véritable
dynamique de développement : coordonner nos actions, révéler
nos atouts, valoriser nos savoir-faire, capter les connaissances nouvelles
pour mieux informer nos stratégies, pour mieux nous différencier.
Multiplier les initiatives, susciter les partenariats
entre les entreprises, les universités, les collectivités
locales, les centres d’expertise et de compétences régionaux,
devient le moteur de la revitalisation de nos tissus économiques
locaux.
Projeter nos réseaux d’information, d’experts
et d’excellence sur le marché mondial afin de recueillir les
connaissances et servir nos forces innovantes. Cela signifie une exigence
de tout instant, car il faut à la fois accroître nos capacités
coopératives et nos savoir-faire offensifs en matière de
concurrence.
Nos urgences collectives sont d’inventer et de développer
des « organisations apprenantes » en réseau, de lutter
sans relâche contre l’empilement des structures et le stockage
stérile de l’information. Seule l’information qui circule,
seule celle qui est partagée, crée de la valeur ajoutée.
C’est tout le sens de la démarche d’expérimentation
de l’intelligence territoriale décidée récemment
par le gouvernement et qui amplifie les initiatives prises, il y a quelques
années, en Basse-Normandie, Franche-Comté, Centre, Nord-Pas-de-Calais,
véritables régions pionnières dans le développement
de l’intelligence économique appliquée aux territoires.
Le Premier ministre a donc érigé l’intelligence économique
au rang de politique publique et, dans la foulée, le ministre de
l’Intérieur, de la Sécurité intérieure
et des Libertés locales a lancé une vaste expérimentation
territoriale portant sur cinq grandes régions1.
Alors qu’en 1995, la première tentative d’organiser une
stratégie nationale d’intelligence économique avait
privilégié l’échelon central et avait échoué,
la démarche actuelle est pragmatique, impliquant fortement les
réseaux locaux et l’échelon central2.
Elle part du constat que le succès d’une politique publique
d’intelligence économique est en grande partie lié
à sa capacité d’essaimage. Les collectivités
territoriales qui irriguent le cœur d’un tissu économique
national composé à plus de 70 % de PME/PMI ne peuvent être
tenues à l’écart. Les quelques pionniers qui avaient
anticipé cette démarche3 commencent aujourd’hui
à en recueillir les fruits.
Nouer des partenariats entreprises/collectivités/État
Les actions d’intelligence économique pour
les territoires se développent autour d’un partenariat actif
entre entreprises, collectivités territoriales et État.
Ce partenariat est tourné vers les PME/PMI dont la structure et
les capacités financières ne leur permettent pas un accès
à toutes les informations disponibles et indispensables à
l’amélioration de leur compétitivité.
Seules des opérations de terrain, associant de
multiples partenaires, peuvent permettre l’instauration de pratiques
durables de gestion collective de l’information. Ainsi conçues,
ces opérations font de l’intelligence économique un
levier du développement territorial.
Elles se sont assignés trois objectifs principaux :
- doter les territoires concernés d’instruments d’anticipation,
- les valoriser en développant une culture de projet et de réseau,
- mobiliser et mutualiser les compétences et moyens existants.
La méthodologie des opérations territoriales
est simple. Elle s’articule en deux étapes.
La première permet de recenser les atouts et opportunités,
en identifiant les domaines porteurs d’avenir, en proposant de nouveaux
pôles d’activité, en déterminant les critères
qui permettront de sélectionner et hiérarchiser les domaines
préalablement identifiés.
La seconde étape débouche sur un plan d’actions
qui permettra région par région de lancer dans les dix-huit
mois une ou deux opérations à caractère stratégique
et de mettre en place un programme de sécurité économique.
Cette démarche répond aux préoccupations
des acteurs de terrain, notamment les entreprises qui se plaignent régulièrement
que les données utiles recueillies par les organismes publics ou
semi-publics circulent mal ou demeurent peu accessibles. Les collectivités
territoriales quant à elles doivent détenir la capacité
de se brancher sur les réseaux mondiaux de la connaissance, se
positionner sur ces réseaux et apprendre à mieux collaborer
encore avec les régions limitrophes aussi bien à l’intérieur
du territoire national qu’à l’extérieur.
Choisir une organisation souple et prospective
Un tel réseau décentralisé et démultiplié
présente une plus grande souplesse que le niveau central. Sur le
terrain local, les contacts informels, les rapports de confiance, les
connivences s’établissent de manière plus spontanée,
s’inscrivent dans le long terme et sont moins sensibles aux réflexes
dominants et aux enjeux de pouvoir qui ralentissent souvent les dispositifs
pilotés nationalement.
J’ai pu personnellement, au cours de mon parcours
professionnel, constater la pertinence d’une telle organisation souple
et prospective. De l’Essonne ou la Basse-Normandie à la région
Nord-Pas-de-Calais, les initiatives prises pour améliorer la compétitivité
des entreprises, et, partant, des territoires eux-mêmes, se sont
toujours inscrites autour de quatre axes : sensibiliser et former, identifier
les technologies clés, contribuer à créer des réseaux
interentreprises et État, valoriser enfin l’image de la région
en faisant mieux connaître ses atouts.
La finalité principale de cette démarche
est de contribuer à susciter des dynamiques locales pour créer
plus d’activités, d’emplois et préparer l’avenir.
Cette philosophie de l’action est « gagnant/gagnant ».
Pour l’entreprise d’abord, au profit de laquelle tout doit être
mis en œuvre pour améliorer sa compétitivité.
Pour l’État, ensuite, qui trouve dans l’intelligence
territoriale un point d’appui majeur pour sa nécessaire réforme
culturelle. Pour les territoires, enfin, en stimulant leur capacité
d’initiative et d’anticipation, en fédérant autour
de projets communs les énergies, les volontés et les compétences.
L’intelligence territoriale prend alors une dimension nouvelle et
riche de sens car elle tend à créer plus de progrès
et plus de cohésion sociale.
- Aquitaine, Alsace, Ile-de-France, Midi-Pyrénées, Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ces cinq régions ont été rejointes en mars 2004 par deux autres, Centre et Poitou-Charentes.
- M. Alain Juillet a été nommé en janvier 2004 Haut responsable chargé de l’intelligence économique.
- Notamment, les régions de Basse-Normandie, Bretagne, Franche-Comté qui disposent d’un réseau d’entreprises converties aux principes de l’intelligence économique.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-5/une-urgente-priorite-pour-les-territoires.html?item_id=2553
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