est conseil en propriété industrielle, associé au cabinet Beau de Loménie.
La guerre des brevets est-elle déclarée ?
Les tribunaux français
sont saisis chaque année de quelque 300 affaires de contrefaçon
de brevets. Pourtant, au-delà de l’action en justice, c’est
la politique de l’entreprise pour constituer, protéger et
préserver son patrimoine intellectuel qui fait la différence
dans la compétition économique actuelle.
Longtemps considérés
par les entreprises françaises comme des outils juridiques complexes
et coûteux, d’une efficacité douteuse, les brevets deviennent
des instruments à part entière de leur stratégie,
tant industrielle que commerciale.
Le titre belliqueux de cet article
évoque naturellement la guerre à coup d’armes judiciaires
et donc les procès en contrefaçon. La guerre des brevets
se joue toutefois également sur d’autres terrains : une entreprise
doit savoir constituer, protéger et préserver son patrimoine
intellectuel, en faire un atout commercial et un instrument de management.
De fait, dans un contexte mondial de plus en plus concurrentiel, une politique
brevets bien menée constitue, de nos jours, un avantage certain.
La presse se fait parfois l’écho
de procès retentissants, dans lesquels des brevets sont brandis
comme autant d’armes contre les concurrents. On se souvient qu’au
terme d’une guerre qui a duré dix ans, Kodak a été
condamné par la justice américaine à verser à
Polaroïd près d’un milliard de dollars de dommages et
intérêts pour la contrefaçon de brevets protégeant
des appareils de photographie instantanée, marché auquel
Kodak a dû cesser de s’intéresser. C’était
avant l’ère de la photographie numérique, qui voit
cette fois Kodak opposer certains de ses brevets à Sony.
Certains regrettent que les montants
des dommages et intérêts accordés par les tribunaux
français n’atteignent pas ces sommets, les sommes allouées
pour réparer le préjudice subi du fait d’une contrefaçon
de brevets en France dépassant rarement quelques centaines de milliers
d’euros.
Une évolution sur ce plan
apparaît souhaitable, mais pour le breveté qui agit en contrefaçon
contre un concurrent, l’objectif majeur est d’interdire à
ce dernier l’accès au marché. Toutefois, par exemple
lorsque le breveté n’est pas en mesure de satisfaire les besoins
du marché, un accord de licence peut constituer une issue honorable
et intéressante sur le plan pécuniaire. En Grande-Bretagne
et en Allemagne, où elles peuvent être proposées par
des juges pragmatiques, de telles transactions sont fréquentes.
Des procès souvent rapides
On estime que les tribunaux français sont saisis
chaque année d’environ 300 affaires de contrefaçon
de brevets (contre 450 chez nos voisins allemands qui déposent
quatre fois plus de brevets que nous) dont plus de la moitié sont
soumises aux juges spécialisés du tribunal de grande instance
de Paris.
350 000 brevets
On estime que 350 000 brevets sont actuellement
en vigueur en France. Environ 11 500 brevets français
et 55 000 brevets européens couvrant la France
ont été délivrés en 2003. Le secteur
du Bâtiment et des Travaux publics a représenté
7,6 % de ces brevets français et 3,7 % de ces brevets
européens. Ces brevets protègent non seulement
des structures de bâtiments ou des éléments
de construction mais également, dans de nombreux cas,
des techniques mises en œuvre sur les chantiers, procédés
ou appareillages.
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Pour le grand public, qu’elle concerne des brevets
ou des marques, la contrefaçon vient souvent de l’étranger.
De fait, certains pays, en particulier en Asie, se sont fait une spécialité
de contrefaire des produits à faible technicité et d’exporter
en Europe. Mais les techniques évoluent même pour les contrefacteurs
et une société comme Toyota a récemment eu la surprise
de voir arriver de Chine une voiture ressemblant en tous points à
l’un de ses derniers modèles.
Cela étant, la grande majorité des procès
en contrefaçon en France oppose des Français entre eux ou
à leurs principaux partenaires commerciaux, en particulier italiens,
allemands et américains. Ceci n’est pas étonnant si
l’on considère qu’une société agissant
en contrefaçon cherche avant tout à préserver ses
parts de marché privilégiées.
Contrairement à l’idée reçue,
les décisions judiciaires peuvent être obtenues dans des
délais plus que raisonnables. En particulier, si la position du
breveté apparaît solide, celui-ci peut obtenir en référé,
sous environ trois mois, une décision d’interdiction de la
poursuite de la contrefaçon, comme préalable à une
décision au fond.
Les atouts de la saisie-contrefaçon
Pour attaquer un concurrent en contrefaçon, encore
faut-il apporter la preuve de ses agissements. C’est parfois là
que le bât blesse, en particulier lorsqu’il est difficile de
retrouver la trace de l’importateur ou du fabricant étranger
d’un produit contrefait. à cet égard, la loi française
nous donne un outil à la fois efficace et peu coûteux, qui
fait l’envie de nos voisins. Il s’agit de la procédure
de saisie-contrefaçon, conduite sur le « lieu du crime »
(parfois chez le revendeur de bonne foi d’un produit contrefait)
par un huissier assisté d’un conseil en propriété
industrielle. Attention toutefois, elle doit être conduite avec
la plus grande rigueur en respectant scrupuleusement les limites de l’autorisation
préalablement donnée par un juge ! Il s’agit à
ce stade de réunir des preuves, pas de confisquer un outil de production
ou un stock d’articles. Une saisie-contrefaçon, réalisée
au bon moment sur un chantier, peut être le seul moyen de prouver
la contrefaçon d’un procédé breveté.
Si elle était annulée, en raison d’un vice quelconque,
l’action en contrefaçon serait vaine.
Le brevet comme instrument de management
Quel que soit le soin apporté à la collecte
des preuves, tout procès comporte une part de risque et une préparation
sérieuse est nécessaire. L’objectif doit être
clairement identifié : s’agit-il pour le breveté de
tuer dans l’œuf une contrefaçon émergente, de
mettre fin à des agissements précédemment tolérés,
de « forcer la main » à un concurrent pour parvenir
à un accord, de montrer sa détermination à faire
respecter ses droits ? Il est rare que la contrefaçon soit servile
: est-elle cependant assez proche du produit ou du procédé
breveté pour que les chances de succès soient suffisantes
? Le contrefacteur assigné pourra contester la validité
du brevet ; celui-ci apparaît-il solide ? S’agissant des dommages
et intérêts, les conditions d’exploitation du brevet
sont déterminantes : l’entité qui l’exploite en
est-elle propriétaire ou, à défaut, bénéficie-t-elle
d’une licence dûment enregistrée ?
Les brevets deviennent de véritables arguments
commerciaux et l’on constate que certaines entreprises confortent
leur image de modernité et d’innovation en mentionnant leurs
brevets dans leur communication publicitaire.
Au-delà, le licensing se développe.
C’est ainsi qu’un groupe comme Thomson engrange des revenus
substantiels par le biais des redevances des licences concédées
à ses concurrents. Cela n’empêche pas de conserver un
avantage sur ces derniers, en s’installant sur le marché avant
de leur concéder une licence des brevets les plus en pointe ou
du simple fait de la charge que représente pour eux le coût
de la licence. Cette exploitation financière des brevets n’est
pas réservée aux seules grandes entreprises. Telle petite
entreprise fabriquant localement des produits difficiles à transporter
parvient à exploiter son brevet à grande échelle
en concédant des licences exclusives sur d’autres territoires
à des sociétés de taille comparable à la sienne.
Telle entreprise de niche parvient à s’imposer au plan international
par des accords avec de grands groupes. Telle université ou école
d’ingénieurs n’hésite pas à breveter les
inventions de ses équipes de chercheurs et en récolte les
fruits par les licences qu’elle concède à ses partenaires
entrepreneurs.
Outre qu’elle contribue évidemment au développement
des sociétés qui la pratiquent, cette stratégie de
licensing s’avère fiscalement intéressante puisque
les redevances de licences sont imposées au régime des plus-values
à long terme, soit 20,6 % au total. Après une éventuelle
retenue à la source dans le pays dans lequel elles sont installées,
les filiales étrangères des groupes de dimension internationale
peuvent ainsi verser des redevances de licences à leur maison mère...
En matière de marchés publics, le brevet
peut présenter un intérêt tout particulier puisque,
s’il protège une technique nécessaire à la réalisation
d’un marché, il peut permettre à son titulaire de passer
un marché négocié, sans publicité et sans
mise en concurrence.
Enfin, le brevet a également son utilité
en matière de management interne. C’est un facteur de motivation
pour les équipes de recherche et développement, qui peuvent
en espérer une reconnaissance de leur activité et une rémunération
particulière. C’est également un vecteur de communication
et d’information à l’interne. On constate souvent que
les commerciaux et les « hommes de terrain » sont mal informés
des brevets détenus par leur entreprise alors qu’ils sont
les mieux placés pour détecter d’éventuelles
tentatives de contrefaçon. Ils peuvent donc jouer un rôle
d’alerte, pour autant qu’ils soient correctement informés.
Il ne suffit pas de leur indiquer que tel ou tel produit ou procédé
est breveté, mais ce que protège le brevet doit leur être
expliqué.
Pour bien utiliser ses brevets, encore faut-il en avoir
et pour qu’un brevet soit valable, il faut au moins que l’invention
qu’il vise à protéger soit nouvelle à la date
de son dépôt. Cette condition de nouveauté est absolue,
ce qui signifie que, même si c’est l’inventeur ou toute
personne de son entreprise qui divulgue l’invention avant le dépôt
du brevet, par exemple dans un rapport de thèse, dans une proposition
commerciale (les commerciaux doivent être sensibilisés à
ce risque !) ou par une vente, cette divulgation risque de rendre le brevet
nul. C’est ainsi qu’un brevet portant sur la structure de recouvrement
« végétalisée » du Palais omnisport de
Bercy vient d’être annulé au motif que cette structure
avait été décrite dans un rapport remis par l’inventeur
aux architectes avant le dépôt du brevet. Il en aurait été
tout autrement si ces derniers avaient été liés par
un accord de confidentialité.
Précautions élémentaires
De manière générale, il est toujours
conseillé de formaliser contractuellement la collaboration de plusieurs
entreprises sur un même projet : une clause de confidentialité
et une clause d’attribution de la propriété des résultats
de la collaboration (éventuellement une copropriété)
sont indispensables. On a vu des entrepreneurs travailler de bonne foi
avec un partenaire français ou étranger, découvrir
ensuite avec stupeur que ce dernier s’était approprié
leurs idées en les brevetant pour son compte et rencontrer les
plus grandes difficultés pour faire reconnaître leurs droits
!
Enfin, une veille technologique bien menée passe
par une surveillance de la publication des brevets déposés
par les concurrents. Pour éviter de s’exposer à une
telle surveillance, certains préfèrent garder leurs idées
secrètes. Outre qu’elle doit évidemment n’être
utilisée que pour des procédés mis en œuvre
en usine et en principe non accessibles aux tiers, cette stratégie
est fragile car elle peut être réduite à néant
par une simple indiscrétion. Par ailleurs, un brevet n’est
publié qu’un an et demi après son dépôt,
c’est-à-dire souvent après la mise sur le marché
du produit qu’il couvre, donc alors que les concurrents ont déjà
eu accès à ce produit.
Enfin, l’entreprise qui ne dépose pas de
brevets risque en tout état de cause d’être confrontée
aux brevets des autres et… d’endosser le costume inconfortable
du contrefacteur.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-5/la-guerre-des-brevets-est-elle-declaree.html?item_id=2570
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