est fondateur et directeur de la société SitesFederateurs.Com* spécialisée dans les opérations de veille, intelligence économique et stratégies de l'information à l'international.
* www.sitesfederateurs.com
Protéger les informations vitales
Au delà des meilleurs
outils de veille, et plus en amont dans la réflexion, intervient
la définition des informations vitales à acquérir,
et surtout à protéger. Toute entreprise possédant
un avantage concurrentiel devrait prendre le temps de définir les
connaissances sur lesquelles repose son avance technologique, et mettre
en place en interne une stratégie de protection de son patrimoine.
L’absence d’une telle réflexion pourrait lui coûter
fort cher.
Le directeur général
d’une PME passant en revue les méthodes de travail et les
argumentaires de ses commerciaux, s’étonnait des informations
détaillées que communiquait l’un d’entre eux sur
la méthode de fabrication du produit pour en souligner la qualité.
« Mais vous êtes en train de communiquer un secret de fabrication
! » cria- t-il alors au commercial zélé. Le directeur
de cette PME venait de prendre conscience de la nécessité
de mettre en place dans son entreprise une stratégie d’information,
visant à définir la nature des informations vitales à
protéger, et surtout la manière de le faire.
La mise en place ou la refonte
d’un site Web est aussi l’occasion d’une réflexion
portant sur la nature des informations à communiquer… et à
ne pas communiquer. C’est ainsi que le PDG d’une entreprise
innovante dans les NTIC, lassé de voir son principal concurrent
s’inspirer de ses voies de recherches, décida d’afficher
sur son site Web des « leurres » conduisant délibérément
le concurrent suiveur vers une impasse.
La veille technologique, dans
son approche traditionnelle d’analyse des brevets et d’observation
de l’innovation, est une base incontournable pour toute entreprise
évoluant dans un environnement technologique en mutation. Mais
elle ne représente qu’un des deux volets d’une stratégie
d’information : la collecte, visant à orienter l’entreprise
dans sa stratégie de développement. La diffusion d’informations
quant à elle, passe obligatoirement par une phase de sélection
de l’information vitale, visant à protéger le savoir-faire
de l’entreprise.
Toute entreprise qui étend
ses activités sur un marché, le fait grâce à
un avantage concurrentiel, au sens défini par Michael Porter dans
son ouvrage « Competitive advantage ». Il s’agit
le plus souvent pour les entreprises européennes et nord-américaines
d’un avantage par la différenciation ou la spécialisation.
Avantage concurrentiel et compétences essentielles
La définition de son avantage concurrentiel permet
à l’entreprise d’élaborer son argumentaire, et
plus généralement de construire sa stratégie de communication,
qu’il s’agisse de la publicité, des informations communiquées
sur son site Web ou de l’argumentaire véhiculé par
ses commerciaux. Elle peut le faire par une réflexion interne (réunions
de réflexion que les Américains désignent sous le
terme de « think tank ») répondant à
des questions basiques : « Que savons-nous faire mieux que nos
concurrents ? » « Quelle valeur ajoutée apportons-nous
à nos clients ? », et conduisant à une estimation
chiffrée de la valeur d’usage apportée par ses produits
à ses clients par rapport à ceux des concurrents.
Les entreprises françaises présentent
en ce domaine une culture marketing bien en retard par rapport à
leurs homologues américaines davantage habituées à
raisonner en termes de business plans. La méconnaissance
de son avantage concurrentiel peut être d’une importance toute
relative dans les pays à culture d’affaires latine, privilégiant
le relationnel, mais sera sans doute fatale auprès des cultures
d’affaires anglo-saxonnes privilégiant le rationnel et la
prise de décision sur dossier.
Lorsque l’avantage concurrentiel est défini,
il devient plus facile de répondre à la seconde question
: « Qu’est-ce qui constitue actuellement une barrière
à l’entrée pour tout nouveau concurrent qui souhaiterait
attaquer directement notre marché ? » Cette barrière
à l’entrée peut être le fichier client, une stratégie
marketing audacieuse, une synergie unique entre différentes activités
de l’entreprise, une technologie particulière, des ressources
humaines exceptionnelles et rares, un savoir-faire perfectionné
au cours des années… Les réponses à cette question
fondamentale désignent directement la nature des informations à
protéger.
La définition des informations vitales à
acquérir, et surtout celles à protéger, constitue
ainsi le fondement d’une stratégie d’information en général,
et d’une opération de veille en particulier. Les deux exemples
qui suivent illustrent la manière dont deux entreprises étrangères
se sont appropriées le savoir-faire de leurs partenaires français,
et les conséquences désastreuses pour ces derniers d’une
absence de stratégie d’information.
Deux exemples à la loupe
C’est l’histoire de ce concepteur français
de sous-marins « de poche » destinés à la visite
touristique de la faune et de la flore sous-marines dans les fonds tropicaux,
mais aussi à des activités moins ludiques d’ingénierie
telles que le contrôle de structures de barrages, ou l’étanchéité
de réservoirs. Au début des années 90, sa technologie
était promise à un bel avenir, et les quelques articles
et autres « white papers » dans la presse scientifique valurent
à ce chef d’entreprise la visite d’une délégation
d’experts japonais, lesquels, au terme de longs entretiens, confirmèrent
leur intérêt pour le produit… à fabriquer au
Japon, avec partage des risques et des bénéfices. Rien de
plus normal, compte tenu de la spécificité du marché
japonais, et des adaptations techniques à apporter au produit.
La co-entreprise fut rapidement créée à 50/50, avec
son siège au Japon, et des salariés japonais, dans l’enthousiasme
sans réserve des deux parties. Le marché japonais qui s’ouvrait
à cet entrepreneur, marquait sa réussite !
Quelques mois après la création de cette
nouvelle entité, le Français effectue avec fierté
sa première visite à sa co-entreprise et observe avec satisfaction
l’équipe d’ingénieurs japonais travaillant sur
les adaptations requises. Pour accélérer les développements
en cours, il n’hésite pas à apporter tous les conseils
et formations nécessaires. Son entreprise en France connaît
une forte croissance, et il attend des résultats tout aussi rapides
sur le marché japonais, mais les premières commandes tardent
et les demandes d’assistance se multiplient. On lui a appris que
les décideurs japonais raisonnent sur le long terme, et il s’abstient
de montrer son impatience.
Un an plus tard, il effectue son second voyage, bien
décidé à mettre la pression quitte à faire
fi des différences culturelles. Il constate alors que les effectifs
se sont réduits, et on lui explique que sa technologie n’est
pas au point, que le marché japonais est très exigeant,
et que certains ingénieurs sont partis, déçus de
ne pas recevoir de la part de la société française
le service exigé... Malgré un suivi plus régulier,
notre exportateur constate que dix-huit mois après sa création,
la co-entreprise ne compte plus qu’une poignée de salariés
et observe un désengagement très discret de ses partenaires
japonais.
Ce n’est qu’un an plus tard qu’il apprend
l’existence d’un produit similaire fabriqué au Japon…
et dont il a lui-même financé le développement.
C’est l’histoire de cet éditeur français
de logiciels scientifiques, dont l’avance technologique lui a permis
en quelques années de s’imposer sur le marché mondial,
tant au Japon qu’aux États-Unis où se trouvent la plupart
de ses concurrents. Il rêve de renforcer sa présence sur
le marché nord-américain, dont le potentiel représente
près de la moitié du marché mondial. C’est alors
qu’il est approché lors d’un salon par deux jeunes salariés
démissionnaires de son principal concurrent, qui lui proposent
la création d’une filiale sur le marché américain.
Au terme d’une longue réflexion, notre exportateur français
accepte ce projet à condition de rester majoritaire dans cette
filiale, à 55 % française, 45 % américaine. Il sait
que les décideurs américains exigeants préfèrent
négocier avec leurs concitoyens, plus réactifs lorsqu’il
s’agit de corriger un bug et d’assurer la hot-line
sur ce type de produit très technique. Il confie donc tout naturellement
la direction de cette co-entreprise aux deux cadres américains.
Mais, très rapidement, les actions commerciales
menées par cette filiale se révèlent décevantes.
Des clients passent à la concurrence et les prospects ne sont pas
convaincus par l’argumentaire maladroit de ces nouveaux représentants
de la société française outre-Atlantique. Près
d’un an après la création de la co-entreprise, ses
deux jeunes dirigeants démissionnent et intègrent une autre
société américaine concurrente. Au terme d’un
projet mûri de longue date, cette dernière aura ainsi réussi
à la fois à affaiblir son concurrent français sur
le marché américain, intégrer sa technologie et son
portefeuille clients, et embaucher deux cadres très bien formés.
Erreurs grossières d’exportateurs débutants
? Pas du tout : l’euphorie accompagnant la création d’une
co-entreprise à l’international est telle, qu’elle masque
souvent les nombreux problèmes que posent la transmission du savoir-faire
à la société partenaire, ainsi que l’immense
responsabilité qui lui est accordée sur son marché
local. Une véritable stratégie de protection des informations
vitales et d’encadrement commercial sur le terrain se révèle
incontournable.
La co-entreprise, opération courante à
l’international (joint-venture), trouve sa justification dans la
complexité de l’environnement juridique, commercial, réglementaire
local, ou par la complémentarité technologique des entreprises
associées. Mais le plus souvent, la transmission implicite du savoir-faire
au partenaire local en fait une opération délicate, nécessitant
une véritable stratégie d’information et la protection
des compétences vitales de l’entreprise instigatrice du projet.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-5/proteger-les-informations-vitales.html?item_id=2566
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