est député de l’Isère, ancien rapporteur général du Budget.
Une révolution en douceur
La loi organique relative aux
lois de finances poursuit deux objectifs indissociables. Le premier est
d’améliorer l’efficacité de la dépense
publique en introduisant la logique d’objectifs et de résultats
au cœur de l’action publique ainsi qu’en responsabilisant
le gestionnaire public. Le second vise à rétablir et renforcer
les prérogatives budgétaires du Parlement en matière
de contrôle budgétaire et d’évaluation.
Adoptée en 2001, notre
nouvelle constitution financière – à la création
de laquelle je suis heureux d’avoir contribué avec Laurent
Fabius, Pierre Joxe et Alain Lambert, notamment – entrera pleinement
en vigueur à l’occasion du projet de loi de finances pour
2006. Le gouvernement et son administration, la Cour des comptes et, bien
sûr, le Parlement sont pleinement impliqués dans la mise
en œuvre de cette réforme d’envergure.
Cette réforme était
préconisée par le groupe de travail sur l’efficacité
de la dépense publique et le contrôle parlementaire mis en
place et présidé par Laurent Fabius en 1998. Le titre de
ce rapport était le suivant : « Contrôler réellement,
pour dépenser mieux et prélever moins ».
A l’époque de l’affaire
de la « cagnotte » – terme impropre pour qualifier, dans
un contexte de déficit budgétaire, l’existence de plus-values
de recettes fiscales liées à la croissance –, le sentiment
que l’argent public était prélevé sans nécessité,
dans des proportions trop importantes, et pour une utilité très
faible, a atteint un sommet.
Ce sentiment ne repose pas uniquement
sur des faits avérés mais il faut en tenir compte et tenter
d’y mettre fin. L’équivalence qui est trop souvent faite,
de façon caricaturale et injuste, entre dépense publique
et inefficacité, voire gabegie, doit être dépassée.
Le secteur privé n’a pas le monopole de l’efficacité.
Si l’on croit à la
légitimité de l’action publique, à la nécessité
de l’État et des politiques publiques qu’il met en œuvre,
on se doit d’être attaché à l’efficacité
de la dépense publique. Seule cette efficacité, qui ne se
réduit pas à la simple rentabilité économique
mais intègre également la notion d’utilité sociale,
permet d’asseoir durablement la légitimité de l’action
publique, et donc des impôts et prélèvements qui servent
à la financer.
Une logique d’objectifs et de résultats
Le principe de base de la nouvelle constitution financière
est simple : il faut passer d’une logique de moyens à une
logique d’objectifs et de résultats. Dès lors, la nécessité
de la dépense doit être examinée dès le premier
euro, tandis qu’aujourd’hui les services votés –
les sommes reconduites d’un exercice à l’autre sans examen
– représentent jusqu’à 96 % du montant du budget
général !
Cet examen s’opèrera au niveau de chacune
des politiques publiques, identifiées au sein de missions et de
programmes cohérents, auxquelles seront assignés des objectifs
précis, devant être mesurés ex-post à l’aide
d’indicateurs dans des rapports de performance. Annexés au
projet de loi de règlement, les rapports annuels de performance
des ministères pour l’année n–1 seront examinés
chaque année avant le projet de loi de finances de n+1.
L’utilisation des moyens affectés à
une politique publique sera donc examinée à l’aune
de leur efficacité, c’est-à-dire de la capacité
du gestionnaire à atteindre les objectifs fixés, afin de
confronter les objectifs assignés aux résultats constatés.
Ce faisant, le centre de gravité du débat
parlementaire budgétaire devrait logiquement se déplacer
vers l’examen des lois de règlement. Ceci est plus logique
dans la mesure où la réalité d’une politique
publique s’apprécie beaucoup plus dans l’exécution
du budget que dans l’affichage présenté dans le projet
de loi de finances initiale, dont la sincérité peut parfois
être prise en défaut.
L’autorisation parlementaire de dépenser
accordée, le gestionnaire disposera d’une enveloppe globale,
non compartimentée, au sein de laquelle il pourra exercer son pouvoir
de gestionnaire pour affecter ses crédits à tel ou tel type
de dépense.
Renforcer les prérogatives budgétaires du Parlement
Le corollaire de l’autonomie du gestionnaire est
sa responsabilisation accrue, grâce notamment à un renforcement
des prérogatives budgétaires du Parlement et à une
plus grande transparence et lisibilité de nos comptes.
On l’a vu, l’autorisation parlementaire ne
sera donnée qu’en contrepartie d’un engagement précis
du gestionnaire. Le ministre ne pourra pas se contenter de solliciter
sans justification une enveloppe de crédits mais devra convaincre,
à travers son projet annuel de performances.
Ces engagements seront d’autant plus contraignants
qu’ils seront analysés à l’aune des résultats
passés. Ensuite, c’est tout au long de l’exécution
budgétaire que les prérogatives parlementaires de contrôle
et de suivi de l’exécution sont renforcées ou créées.
Il en est ainsi des dispositions, déjà
entrées en vigueur, relatives aux décisions réglementaires
ayant pour effet de rendre indisponibles des crédits. Dans ce cas,
comme avec le plan de régulation budgétaire de 2003, le
détail des gels et annulations est préalablement transmis
pour information aux commissions des finances, ce qui garantit la transparence
et la lisibilité de l’exécution budgétaire.
Enfin, le pouvoir de contrôle sur pièces
et sur place a été étendu (le secret professionnel
n’est ainsi plus opposable). En outre, les entraves à l’exercice
de ce pouvoir peuvent être levées par une procédure
de référé et sont pénalement condamnables.
Trop longtemps les parlementaires ont démissionné
de leur pouvoir de contrôle, souvent en arguant d’un manque
de moyens. Certes, l’examen des moyens de la Chambre des Communes
anglaise ou du Congrès américain suffit pour constater que
notre Assemblée nationale ne dispose pas de moyens à la
hauteur de la tâche qui lui est confiée.
Une question de volonté
Toutefois, le contrôle est d’abord une question
de volonté. L’action de contrôle au sein de l’Assemblée
nationale a beaucoup progressé durant la dernière législature.
La volonté de contrôler s’y est exprimée fortement.
Elle s’est traduite notamment par la création en 1999 de la
Mission d’évaluation et de contrôle, la MEC. Enfin,
en réalisant début 1999 un contrôle sur pièces
et sur place portant sur l’exécution de la loi de finances,
je n’avais pas conscience qu’il s’agissait du premier contrôle
parlementaire de ce type mené par un rapporteur général
sous la Ve République ! Ces progrès ont été
réalisés sans que des moyens humains et financiers supplémentaires
aient été mobilisés.
Pourtant, le contrôle parlementaire, en dépit
des pouvoirs dont il dispose, n’est pas encore totalement entré
dans les mentalités, tant au niveau du contrôleur que du
contrôlé !
Ainsi, en 2003, dans un contexte d’exécution
budgétaire très troublé, quasiment aucun rapporteur
spécial n’a effectué de contrôle sur pièces
et sur place pour aller constater les conséquences de la régulation
budgétaire sur les crédits dont il a la surveillance...
Le vote d’une loi ne suffit pas à changer
les choses. Il est nécessaire de veiller à son application
et de permettre aussi les changements de mentalité et de logique
impliqués par cette réforme. C’est désormais
l’enjeu.
En soi, la loi organique relative aux lois de finances
est un outil pour une plus grande lisibilité de l’action publique
et une meilleure efficacité de la dépense. Elle n’a
aucun impact a priori sur son niveau ou sur le périmètre
de l’État. Cet outil doit servir à renforcer la responsabilité
politique inhérente à l’exercice du pouvoir dans un
sens plus adapté à une société moderne et
aux exigences de nos concitoyens.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-5/une-revolution-en-douceur.html?item_id=2550
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