est député du Tarn et rapporteur spécial au nom de la Commission des Finances sur le budget du Premier ministre (SGDN et Renseignement).
Une nouvelle politique publique pour répondre à la guerre économique
Une approche pragmatique de
l’intelligence économique, faisant appel à des compétences
croisées entre le secteur public et le secteur privé, s’avère
plus que jamais nécessaire pour faire face à la concurrence
internationale.
L‘intelligence économique a longtemps
été perçue en France comme un concept ambigu, interprété tantôt comme
une méthode d’espionnage économique – c’est le côté « barbouzerie » d’officine
– tantôt comme une méthode classique au service des seules entreprises
: veille commerciale, veille juridique, veille concurrentielle.
Mon rapport rompt avec cette double
perspective, tantôt sulfureuse, tantôt simpliste, et tire
de l’observation de nos grands concurrents et du succès des
méthodes qu’ils ont retenues, des leçons pour l’organisation
des pouvoirs publics. L’intelligence économique, loin de se
résumer à un débat de « spécialistes
» sur le concept, doit faire l’objet d’une approche pragmatique,
fondée sur l’observation des relations économiques
internationales, des relations entre les États, entre les entreprises.
Elle se définit par son contenu : sécurité économique,
compétitivité, influence et formation.
Elle découle aussi d’une
certitude : les critères de conquête des marchés internationaux
ne sont pas toujours ceux que définit l’économie libérale
: le prix et la qualité des produits et des services. On peut concevoir
que ces critères soient déterminants pour des marchés
« classiques » : l’industrie de la chaussure, l’exportation
des petits pois… Mais ce n’est pas le cas des métiers
ou des activités « stratégiques », comme les
télécommunications, l’armement, l’aéronautique,
la pharmacie, certains pans de l’industrie agroalimentaire et de
quelques autres secteurs qui ne sont pas seulement créateurs de
richesses mais aussi sources de puissance et
d’influence. L’intelligence économique fait ainsi appel
à des compétences croisées entre le secteur public
et le secteur privé, et ces compétences sont mises au service
de la stratégie des entreprises, voire des États.
Aujourd’hui encore, l’intelligence
économique n’occupe pas, en France, la place qu’elle
mérite : celle qu’elle occupe précisément dans
les grands pays occidentaux… Les Français pêchent depuis
longtemps par naïveté. Autant ils sont interventionnistes
dans la définition des règles qui régissent l’économie
interne, autant ils sont libéraux et naïfs lorsqu’ils
analysent les ressorts de l’économie internationale. Chez
les Anglo-Saxons, c’est exactement l’inverse : interventionnistes
à l’extérieur, libéraux à l’intérieur.
Une vraie politique d’intelligence économique doit être
une politique de convergence d’intérêts entre le public
et le privé, autour d’objectifs stratégiques.
Sortir des cloisonnements
Le retard de notre pays s’explique ainsi essentiellement
par les cloisonnements entre la sphère publique et la sphère
privée, mais également par les antagonismes traditionnels
que l’on observe entre les administrations publiques françaises.
Face à ces relations traditionnelles de défiance, l’intelligence
économique va contribuer à réformer les relations
entre le monde public et le monde privé, à établir
des passerelles, à définir des modes de convergence d’intérêts
autour, encore une fois, de grands enjeux clairement identifiés.
Pour mettre un terme à ces cloisonnements, pour
rapprocher acteurs publics et privés, je crois qu’il faut
d’abord une forte et significative impulsion politique qui ne peut
venir que de l’exécutif. C’est la raison pour laquelle
j’ai été très satisfait d’observer que
le Premier ministre avait pris à bras-le-corps ce dossier et qu’il
avait confié à Alain Juillet le soin de coordonner les efforts
en la matière (voir "L'Etat relance la dynamique"). Il est indispensable
que se crée ainsi, dès que possible, une plate-forme d’aide
et de soutien aux entreprises, pour les grands contrats, de telle manière
que nos entreprises qui sont confrontées à une concurrence
internationale parfois féroce, puissent bénéficier
d’une information mutualisée des administrations publiques
mais également des meilleurs experts du secteur privé.
Ensuite, un véritable effort de sensibilisation,
mais surtout de formation s’avère indispensable. à
l’évidence aujourd’hui, l’intelligence économique
souffre d’être abordée de manière encore trop
théorique, à travers des enseignements hétérogènes,
des formations initiales et continues inexistantes pour les fonctionnaires
et des grandes écoles aussi timides que les entreprises sont prudentes
à investir dans ces formations.
Définir un véritable projet de formation
Aussi je préconise, pour sortir de l’empirisme
actuel, de passer de la simple sensibilisation à la définition
d’un véritable enseignement en intelligence économique.
Pour ce faire, j’ai proposé : d’habiliter et de labelliser
les enseignements en fonction de leur qualité de développer
à l’université un enseignement qui réponde aux
besoins de culture générale en intelligence économique,
puis, à l’issue du cursus universitaire, de proposer des formations
spécialisées sur des métiers; d’instituer une
formation initiale et continue obligatoire dans les écoles de cadres
de l’État et des collectivités territoriales ainsi
que dans les grandes écoles de commerce et d’ingénieurs
de favoriser la participation des entreprises et des fondations d’entreprise
pour aider au développement de cet enseignement.
Au-delà, la mise en place de cette politique publique
et sa réussite sont conditionnées par l’entretien d’une
convergence d’intérêts et d’une confiance mutuelle
à nourrir. Pour y œuvrer, il convient de développer
tout ce qui peut contribuer à mieux faire connaître l’entreprise
par l’administration, en prévoyant des stages obligatoires
en entreprise dans le cadre de la formation continue des fonctionnaires
de catégorie A tout comme il convient de développer la
dimension entrepreneuriale de l’enseignement en intelligence économique
en systématisant aussi le recours aux stages en entreprise. Enfin,
bien qu’il ne s’agisse ni du moteur ni du cœur de l’intelligence
économique, le renseignement constitue une dimension à ne
pas négliger : voilà pourquoi je propose d’engager
une réflexion sur le recrutement et les carrières des métiers
du renseignement, sans oublier de définir une politique de communication
pour ces services.
Développer une approche territoriale
Par ailleurs, je rappelle que l’intelligence économique
n’est pas l’apanage de l’État et de quelques grands
groupes industriels. Le tissu économique français, principalement
composé de PME/PMI, milite en faveur d’une approche territoriale
de l’intelligence économique, qui s’intègre dans
la stratégie globale et nationale, et dont l’efficacité
doit reposer sur une organisation territoriale adaptée et partagée.
En effet, nos territoires sont le creuset d’activités
économiques juxtaposant savoir-faire traditionnels et technologies
avancées. Malheureusement, à l’heure actuelle, la protection
du patrimoine intellectuel et matériel de nos PME et PMI n’est
pas prise en compte alors que, travaillant souvent directement pour un
secteur économique sensible, ces entreprises constituent des cibles
privilégiées pour leurs concurrents étrangers dans
la compétition internationale avec un risque de déstabilisation
en chaîne non négligeable.
Au plan local, les services déconcentrés
de l’État, les collectivités locales et les chambres
consulaires doivent être intégrées à la stratégie
nationale afin d’éviter de mettre en œuvre des actions
en contradiction avec celle-ci. Leur besoin primordial réside dans
une meilleure circulation de l’information entre eux, c’est-à-dire
entre les administrations centrales et leurs services déconcentrés,
mais aussi entre ces derniers. Cette information doit être à
la fois sélective, fluide et organisée : la connaissance
de l’évolution des normes professionnelles et des règles
juridiques, les différentes formes de concours qu’apportent
des États à leurs entreprises ou les études comparées
doivent bénéficier directement au tissu économique
local.
S’agissant des acteurs privés, leurs besoins
recouvrent deux domaines : l’information et l’accompagnement,
notamment dans leurs démarches de prospection de nouveaux marchés
à l’étranger.
Force est de constater qu’aujourd’hui, la mise
en œuvre d’une approche territoriale de l’intelligence
économique est inégale selon les territoires. De plus, les
initiatives prises ne bénéficient pas, le plus souvent,
de la pérennité nécessaire pour garantir l’efficacité
recherchée. C’est pourquoi je me réjouis particulièrement
du lancement d’une première expérience de développement
de l’intelligence territoriale par le ministre de l’Intérieur.
Cette expérimentation entamée dans cinq régions tests
– l’Ile-de-France, Midi-Pyrénées, la Provence-Alpes-Côte
d’Azur, l’Aquitaine et l’Alsace – contribuera, par
les vertus de l’exemple et de la réussite, à la mobilisation
de tous les territoires, qui constitue la clé du succès
de l’intelligence territoriale (voir "Une urgente priorité pour les territoires").
En définitive, cette nouvelle politique publique
n’est pas seulement destinée aux grands groupes internationaux.
Pour les PME-PMI qui travaillent sur des marchés stratégiques,
les besoins et les moyens sont évidemment identiques. Ces secteurs
d’activité ou ces entreprises reflètent les domaines
qui sont les plus exposés à la concurrence internationale
et à l’influence, au sein des organisations internationales
où s’élaborent les règles juridiques, les normes
professionnelles et parfois les modes, d’acteurs nouveaux et puissants,
comme les ONG et les fondations. Ces secteurs d’activité sont
source, non seulement de création de richesses et d’emplois
mais aussi d’influence et de puissance. Derrière tout cela,
se jouent la sauvegarde de nos emplois, notre modèle social, notre
destin de Français et d’Européens, et, en définitive,
l’avenir de nos enfants.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-5/une-nouvelle-politique-publique-pour-repondre-a-la-guerre-economique.html?item_id=2548
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