Sommaire N°8

Mai 2004

Brigitte POUSSEUR

Avant-propos

Les premiers pas de l'intelligence économique en France

Christian HARBULOT

L’émergence de l’intelligence économique en France

Bernard CARAYON

Une nouvelle politique publique pour répondre à la guerre économique

Alain JUILLET

L’état relance la dynamique

Rémy PAUTRAT

Une urgente priorité pour les territoires

Philippe CLERC

Vers une nouvelle efficacité des actions des CCI ?

Frédéric SPEZIALE

Midi-Pyrénées : la démarche d’un pôle d’excellence

Paul-André TAVOILLOT

Les acteurs de l’intelligence économique sortent de l’ombre

Christophe BABINET

Un marché bien tiède !

Henri DOU

Quelle intelligence économique pour les PME ?

François JAKOBIAK

Un atout supplémentaire pour les grandes entreprises

Eric DENECE

Une nouvelle démarche clé de la compétition commerciale

Bernard BESSON

Du renseignement à l’intelligence économique

Jean-Jacques RECHENMANN

Protéger les informations vitales

Yves-Michel MARTI

Les pratiques étrangères d’intelligence économique

Alain LE GENTIL

Former des gestionnaires de risques

Laurent-Olivier BOUTTIER

Pourquoi j’étudie l’intelligence économique...

Didier INTES

La guerre des brevets est-elle déclarée ?

Joël REY

Les banques de données, un outil performant

Mieux évaluer et contrôler les politiques publiques

Bernard PERRET

Les lents progrès de l’évaluation de l’action publique

Jean-Yves BION

De l’institutionnalisation à la professionnalisation

Didier MIGAUD

Une révolution en douceur

Claire BAZY MALAURIE

Les missions de la Cour des comptes

Taoufik BEN MABROUK

Les enjeux de l’évaluation

Marc MILET

L’exemple de la réforme très « politique » de la loi SRU

Peter VAN DER KNAAP

L’évaluation en voie de devenir systématique aux Pays-Bas

Richard MARCEAU

Evaluation des programmes publics : l’expérience québécoise

François JAKOBIAK

est consultant en information stratégique dans la société Existrat qu’il a fondée en 1994.

Partage

Un atout supplémentaire pour les grandes entreprises

De nombreux groupes se sont organisés pour mener une véritable veille stratégique avec l’ambition de rester compétitifs et innovants. Quelques conseils peuvent les aider à améliorer leurs perfomances.

En entreprise, l’intelligence économique est souvent une extension de la veille stratégique que nous définissons comme étant « l’observation et l’analyse de l’environnement scientifique, technique, technologique et économique pour détecter les menaces et saisir les opportunités de développement1».

Cette définition de la veille stratégique indique l’enjeu : détecter les menaces, saisir les opportunités de développement. L’intelligence économique va plus loin ; elle intègre ces deux buts mais en ajoute un certain nombre d’autres :

  • développer une réflexion anticipatrice pour l’action, selon l’expression de Robert Salmon qui a dirigé l’intelligence économique chez L’Oréal,
  • contrer les tentatives de désinformation,
  • donner une grande importance à la captation et à l’exploitation des informations informelles, du renseignement, en particulier pour détecter les informations importantes avant qu’elles ne soient publiées et largement diffusées,
  • étendre l’intelligence économique à toute l’activité du pays, ceci à tous les niveaux : entreprises, branches professionnelles, national, transnational, international,
  • développer une politique d’influence pour les niveaux supérieurs.

Nous nous limitons, dans cet article, à l’intelligence économique en entreprise et plus particulièrement dans les grands groupes.

Quelle que soit sa taille, l’entreprise actuelle doit, sous peine de disparaître :

  • être compétitive : savoir produire et vendre, de façon durable, des biens ou services en réalisant des profits, tout en prenant en compte l’évolution des demandes, des besoins, des goûts de la clientèle,
  • être innovante : créer de nouveaux produits, de nouveaux services, pour s’assurer un avantage concurrentiel et aussi créer de nouveaux procédés, de nouvelles méthodes, de nouvelles organisations, pour améliorer sa compétitivité, sa qualité et sa productivité.

Pour cela, elle doit utiliser l’intelligence économique qui n’est pas, en entreprise, une fin en soi, mais un moyen pour atteindre les objectifs vitaux : la compétitivité et l’innovation permanente. Or, la pratique de l’intelligence économique en entreprise est plus répandue qu’on ne le croit. Ce que démontre notamment Jérôme Bondu dans une thèse professionnnelle présentée en octobre 2001 à l’ESIEE (école supérieure d’ingénieurs en électronique et électrotechnique) de Paris, sous le titre : « Le benchmarking des pratiques d’intelligence économique2 ». Cette étude porte sur vingt-cinq grands groupes français qui, anonymement, font part de leurs expériences en adoptant parfois des dénominations diverses pour qualifier leur dispositif d’intelligence économique  : veille concurrentielle, veille stratégique, information stratégique, car le mot intelligence évoque chez certains l’idée d’espionnage (Intelligence Service au Royaume-Uni, Central Intelligence Agency aux États-Unis).

Surveillance et exploitation

Nous distinguons les opérations de surveillance et les opérations d’exploitation.

La surveillance comporte :

  • la recherche des références (ou des résumés) mais aussi d’informations non publiées,
  • la collecte des documents complets,
  • la diffusion sélective des références, des résumés, des documents complets, des renseignements.

L’exploitation permet de transformer l’information brute sélectionnée par la surveillance en outils d’aide à la décision. Elle comporte :

  • le traitement (mise en forme),
  • l’analyse,
  • la validation,
  • la synthèse,
  • l’utilisation.

Dans un grand groupe, les opérations de surveillance sont confiées à un réseau d’observateurs constitué de professionnels de l’informatique documentaire se consacrant à 100 % de leur temps à ces opérations de recherche, collecte, diffusion de l’information. Ils utilisent largement internet, les bases et banques de données informatisées des grands centres serveurs comme Dialog, Questel-Orbit, STN…, les logiciels spécialisés comme ceux d’analyse statistique des brevets.

Ce serait une grave erreur de se limiter à l’information publiée, il faut prévoir un dispositif de recherche et captation de l’information informelle. C’est le rôle du réseau d’autres observateurs décrit plus loin.

Les opérations d’exploitation sont confiées à un réseau de groupes d’experts, groupes qui comptent en général de quatre à six personnes, spécialistes d’un domaine scientifique, technologique ou commercial précis. Ces experts ont un rôle capital de transformation de l’information brute en information élaborée, en véritable outil d’aide à la décision pour les hauts dirigeants de l’entreprise. Contrairement aux observateurs, ils ne se consacrent pas à temps complet à l’intelligence économique. Un animateur de groupe d’experts y consacre environ 10 % de son temps, les experts membres des groupes de 3 à 4 %. Tous utilisent les diverses possibilités offertes par internet et l’intranet de leur entreprise.

Dans un grand groupe, le nombre de groupes d’experts peut être très important et il est nécessaire de les organiser en familles3 :

  • groupes produits,
  • groupes procédés,
  • groupes applications (ou services),
  • groupes stratégie (appelés aussi groupes prospective),
  • groupes zones géographiques.

Il est recommandé de constituer des groupes panachant des activités distinctes ; par exemple, pour un groupe produit : un chercheur, un producteur, un concepteur d’installation, un homme de marketing. Ce brassage de « cultures » est très recommandé pour accroître l’efficacité du dispositif.

L’organisation du renseignement en entreprise

La nécessité de définir précisément, dans l’entreprise, les règles d’éthique et de déontologie est évidente. Elle découle de l’obligation de mener légalement les diverses actions constitutives de l’intelligence économique. C’est un premier impératif.

Le second, c’est de créer une organisation en réseaux « flexibles ». L’expérience nous a montré que la collecte et l’exploitation du renseignement ne devaient pas être trop hiérarchisées et centralisées. Nous recommandons de laisser une grande liberté à chacun des groupes d’experts pour organiser leur collecte du renseignement.

Insistons sur ce point : chaque groupe d’experts est responsable de son plan d’information et en particulier du plan de renseignement, et il est alimenté en informations informelles par un nuage « d’autres observateurs » qui lui est spécifique. Ces observateurs sont des salariés de l’entreprise à l’interface avec l’extérieur ; généralement des commerciaux, acheteurs ou vendeurs, spécialistes du marketing, ayant des contacts avec les fournisseurs, les clients, les concurrents.

Le plan de renseignement d’un groupe d’experts peut contenir les éléments suivants :

  • liste des correspondants (autres observateurs),
  • sujets prioritaires,
  • formulaires de captation du renseignement (avec degré de validité estimé) :
    • règles de mémorisation
    • règles du jeu : l’éthique et la déontologie doivent être clairement définies par l’entreprise, ce qui amène à considérer le concept d’information ouverte ou fermée, blanche ou noire.

Information ouverte ou fermée, blanche, grise ou noire ?

La question que doit toujours se poser tout autre observateur est : la source délivre- t-elle l’information de son plein gré ? Si la réponse est oui, il s’agit d’une information ouverte4, il a le feu vert ; si la réponse est non, il s’agit d’une information fermée, il a le feu rouge et ne doit pas tenter d’obtenir cette information.

La norme expérimentale Afnor XP X50-053 d’avril 1998 « Prestations de veille et prestations de mise en place d’un système de veille » propose des définitions succinctes des informations blanches, grises ou noires :

  • information blanche : information aisément et licitement accessible,
  • information grise : information licitement accessible, mais caractérisée par des difficultés dans la connaissance de son existence ou de son accès,
  • information noire : information à diffusion restreinte et dont l’accès ou l’usage est explicitement protégé.

L’ensemble définition-enjeu constitue la doctrine. Nous avons donné la définition de l’intelligence économique et son enjeu (accroître la compétitivité et viser l’innovation permanente).

Dans une approche systématique, cette doctrine débouche sur une méthode et une structure dont nous avons indiqué plus haut les éléments essentiels. Pour la mise en place effective, il y a lieu de confier à un chef de projet la réalisation d’un schéma directeur puis d’un plan directeur.

Le schéma directeur est un document de quelques pages qui présente la façon dont on passera de la doctrine à la méthode. Partant de la définition de l’intelligence économique, il est possible de définir les axes de la méthode à préconiser.

D’abord la recherche et la collecte d’informations dans tout l’environnement scientifique, technique, technologique, technico-économique, puis la diffusion et le traitement de cette information « dont ont besoin les différents niveaux de décision de l’entreprise pour élaborer et mettre en œuvre de façon cohérente la stratégie et les tactiques nécessaires à l’atteinte des objectifs définis par l’entreprise dans le but d’améliorer sa position dans son environnement concurrentiel5  ».

Le schéma précise quelles familles d’acteurs interviendront et dans quelle structure. Il précise le mode d’organisation des flux d’information.

Le plan directeur est le développement détaillé du schéma directeur. Il définit en détail l’ensemble méthode-structure. Il permet de développer la méthode, de présenter la structure, les procédures, le mode de contrôle, d’aborder le problème des coûts et d’établir le calendrier précis des actions. Parallèlement au plan directeur, le responsable réalise le projet, généralement sous forme d’un PERT utilisant les logiciels de gestion de projet.

La réalisation du schéma directeur fait souvent appel, contractuellement, à un consultant extérieur spécialisé ; le plan directeur est presque toujours réalisé en interne en raison de son caractère stratégique et très confidentiel évident.

Cinq facteurs de succès

Pour réussir l’implantation d’un système d’intelligence économique, il est nécessaire de tenir compte des facteurs clés de succès caractérisant tout projet innovant :

  • disposer de l’appui constant de la direction générale (« un parrain puissant, haut placé dans la hiérarchie  »)6 grâce à un comité de pilotage de haut niveau,
  • avoir un projet clairement défini : responsable affecté à plein temps, cahier des charges précis,
  • faire en permanence preuve d’enthousiasme,
  • être très professionnel, ajouter à l’enthousiasme la compétence et l’opiniâtreté,
  • disposer de ressources suffisantes.

Si ces conditions sont remplies, le projet a toutes les chances d’être bien implanté. Il conviendra de le faire vivre en intégrant les évolutions nécessaires.

  1. François Jakobiak, L’intelligence économique en pratique, 2e édition, Les éditions d’Organisation, 2001.
  2. Voir le site http : //www.aaeiae-paris.asso.fr/clubies. html.
  3. F. Jakobiak, op. cit.
  4. Philippe Baumard, Stratégie et surveillance des environnements concurrentiels, Masson, 1991.
  5. F. Jakobiak, op. cit.
  6. Thomas Durand, Séverine Herrsher, Fabien Seraidarian, Technologies organisationnelles pour l’entreprise, CM International et DIGITIP, Direction générale de l’industrie, des technologies de l’information et des postes, juillet 2002.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-5/un-atout-supplementaire-pour-les-grandes-entreprises.html?item_id=2563
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