est consultant en information stratégique dans la société Existrat qu’il a fondée en 1994.
Un atout supplémentaire pour les grandes entreprises
De nombreux groupes se sont
organisés pour mener une véritable veille stratégique
avec l’ambition de rester compétitifs et innovants. Quelques
conseils peuvent les aider à améliorer leurs perfomances.
En entreprise,
l’intelligence économique est souvent une extension de la
veille stratégique que nous définissons comme étant
« l’observation et l’analyse de l’environnement
scientifique, technique, technologique et économique pour détecter
les menaces et saisir les opportunités de développement1».
Cette définition de la
veille stratégique indique l’enjeu : détecter les menaces,
saisir les opportunités de développement. L’intelligence
économique va plus loin ; elle intègre ces deux buts mais
en ajoute un certain nombre d’autres :
- développer une réflexion anticipatrice pour l’action,
selon l’expression de Robert Salmon qui a dirigé l’intelligence
économique chez L’Oréal,
- contrer les tentatives de désinformation,
- donner une grande importance à la captation et à l’exploitation
des informations informelles, du renseignement, en particulier pour détecter
les informations importantes avant qu’elles ne soient publiées
et largement diffusées,
- étendre l’intelligence économique à toute l’activité
du pays, ceci à tous les niveaux : entreprises, branches professionnelles,
national, transnational, international,
- développer une politique d’influence pour les niveaux supérieurs.
Nous nous limitons, dans cet article,
à l’intelligence économique en entreprise et plus particulièrement
dans les grands groupes.
Quelle que soit sa taille, l’entreprise
actuelle doit, sous peine de disparaître :
-
être compétitive : savoir produire et vendre, de façon
durable, des biens ou services en réalisant des profits, tout en
prenant en compte l’évolution des demandes, des besoins, des
goûts de la clientèle,
-
être innovante : créer de nouveaux produits, de nouveaux
services, pour s’assurer un avantage concurrentiel et aussi créer
de nouveaux procédés, de nouvelles méthodes, de nouvelles
organisations, pour améliorer sa compétitivité, sa
qualité et sa productivité.
Pour
cela, elle doit utiliser l’intelligence économique qui n’est
pas, en entreprise, une fin en soi, mais un moyen pour atteindre les objectifs
vitaux : la compétitivité et l’innovation permanente.
Or, la pratique de l’intelligence économique en entreprise
est plus répandue qu’on ne le croit. Ce que démontre
notamment Jérôme Bondu dans une thèse professionnnelle
présentée en octobre 2001 à l’ESIEE (école
supérieure d’ingénieurs en électronique et électrotechnique)
de Paris, sous le titre : « Le benchmarking des pratiques d’intelligence
économique2 ». Cette étude
porte sur vingt-cinq grands groupes français qui, anonymement,
font part de leurs expériences en adoptant parfois des dénominations
diverses pour qualifier leur dispositif d’intelligence économique
: veille concurrentielle, veille stratégique, information stratégique,
car le mot intelligence évoque chez certains l’idée
d’espionnage (Intelligence Service au Royaume-Uni, Central Intelligence
Agency aux États-Unis).
Surveillance et exploitation
Nous distinguons les opérations de surveillance
et les opérations d’exploitation.
La surveillance comporte :
- la recherche des références (ou des résumés) mais aussi d’informations non publiées,
- la collecte des documents complets,
- la diffusion sélective des références, des résumés, des documents complets, des renseignements.
L’exploitation permet de transformer l’information
brute sélectionnée par la surveillance en outils d’aide
à la décision. Elle comporte :
- le traitement (mise en forme),
- l’analyse,
- la validation,
- la synthèse,
- l’utilisation.
Dans un grand groupe, les opérations de surveillance
sont confiées à un réseau d’observateurs constitué
de professionnels de l’informatique documentaire se consacrant à
100 % de leur temps à ces opérations de recherche, collecte,
diffusion de l’information. Ils utilisent largement internet, les
bases et banques de données informatisées des grands centres
serveurs comme Dialog, Questel-Orbit, STN…, les logiciels spécialisés
comme ceux d’analyse statistique des brevets.
Ce serait une grave erreur de se limiter à l’information
publiée, il faut prévoir un dispositif de recherche et captation
de l’information informelle. C’est le rôle du réseau
d’autres observateurs décrit plus loin.
Les opérations d’exploitation sont confiées
à un réseau de groupes d’experts, groupes qui comptent
en général de quatre à six personnes, spécialistes
d’un domaine scientifique, technologique ou commercial précis.
Ces experts ont un rôle capital de transformation de l’information
brute en information élaborée, en véritable outil
d’aide à la décision pour les hauts dirigeants de l’entreprise.
Contrairement aux observateurs, ils ne se consacrent pas à temps
complet à l’intelligence économique. Un animateur de
groupe d’experts y consacre environ 10 % de son temps, les experts
membres des groupes de 3 à 4 %. Tous utilisent les diverses possibilités
offertes par internet et l’intranet de leur entreprise.
Dans un grand groupe, le nombre
de groupes d’experts peut être très important et il
est nécessaire de les organiser en familles3 :
- groupes produits,
- groupes procédés,
- groupes applications (ou services),
- groupes stratégie (appelés aussi groupes prospective),
- groupes zones géographiques.
Il est recommandé de constituer des groupes panachant
des activités distinctes ; par exemple, pour un groupe produit : un chercheur, un producteur, un concepteur d’installation, un homme
de marketing. Ce brassage de « cultures » est très
recommandé pour accroître l’efficacité du dispositif.
L’organisation du renseignement en entreprise
La nécessité de définir précisément,
dans l’entreprise, les règles d’éthique et de
déontologie est évidente. Elle découle de l’obligation
de mener légalement les diverses actions constitutives de l’intelligence
économique. C’est un premier impératif.
Le second, c’est de créer une organisation
en réseaux « flexibles ». L’expérience
nous a montré que la collecte et l’exploitation du renseignement
ne devaient pas être trop hiérarchisées et centralisées.
Nous recommandons de laisser une grande liberté à chacun
des groupes d’experts pour organiser leur collecte du renseignement.
Insistons sur ce point : chaque groupe d’experts
est responsable de son plan d’information et en particulier du plan
de renseignement, et il est alimenté en informations informelles
par un nuage « d’autres observateurs » qui lui est spécifique.
Ces observateurs sont des salariés de l’entreprise à
l’interface avec l’extérieur ; généralement
des commerciaux, acheteurs ou vendeurs, spécialistes du marketing,
ayant des contacts avec les fournisseurs, les clients, les concurrents.
Le plan de renseignement d’un groupe d’experts
peut contenir les éléments suivants :
- liste des correspondants (autres observateurs),
- sujets prioritaires,
- formulaires de captation du renseignement (avec degré de validité estimé) :
- règles de mémorisation
- règles du jeu : l’éthique et la déontologie doivent être clairement définies
par l’entreprise, ce qui amène à considérer le concept d’information ouverte ou fermée, blanche ou noire.
Information ouverte ou fermée, blanche, grise ou noire ?
La question que doit toujours
se poser tout autre observateur est : la source délivre- t-elle
l’information de son plein gré ? Si la réponse est
oui, il s’agit d’une information ouverte4,
il a le feu vert ; si la réponse est non, il s’agit d’une
information fermée, il a le feu rouge et ne doit pas tenter d’obtenir
cette information.
La norme expérimentale Afnor XP X50-053 d’avril
1998 « Prestations de veille et prestations de mise en place d’un
système de veille » propose des définitions succinctes
des informations blanches, grises ou noires :
- information blanche : information aisément et licitement accessible,
- information grise : information licitement accessible, mais caractérisée
par des difficultés dans la connaissance de son existence ou de son accès,
- information noire : information à diffusion restreinte et dont
l’accès ou l’usage est explicitement protégé.
L’ensemble définition-enjeu constitue la
doctrine. Nous avons donné la définition de l’intelligence
économique et son enjeu (accroître la compétitivité
et viser l’innovation permanente).
Dans une approche systématique, cette doctrine
débouche sur une méthode et une structure dont nous avons
indiqué plus haut les éléments essentiels. Pour la
mise en place effective, il y a lieu de confier à un chef de projet
la réalisation d’un schéma directeur puis d’un
plan directeur.
Le schéma directeur est un document de quelques
pages qui présente la façon dont on passera de la doctrine
à la méthode. Partant de la définition de l’intelligence
économique, il est possible de définir les axes de la méthode
à préconiser.
D’abord la recherche et
la collecte d’informations dans tout l’environnement scientifique,
technique, technologique, technico-économique, puis la diffusion
et le traitement de cette information « dont ont besoin les différents
niveaux de décision de l’entreprise pour élaborer et
mettre en œuvre de façon cohérente la stratégie
et les tactiques nécessaires à l’atteinte des objectifs
définis par l’entreprise dans le but d’améliorer
sa position dans son environnement concurrentiel5
».
Le schéma précise quelles familles d’acteurs
interviendront et dans quelle structure. Il précise le mode d’organisation
des flux d’information.
Le plan directeur est le développement détaillé
du schéma directeur. Il définit en détail l’ensemble
méthode-structure. Il permet de développer la méthode,
de présenter la structure, les procédures, le mode de contrôle,
d’aborder le problème des coûts et d’établir
le calendrier précis des actions. Parallèlement au plan
directeur, le responsable réalise le projet, généralement
sous forme d’un PERT utilisant les logiciels de gestion de projet.
La réalisation du schéma directeur fait
souvent appel, contractuellement, à un consultant extérieur
spécialisé ; le plan directeur est presque toujours réalisé
en interne en raison de son caractère stratégique et très
confidentiel évident.
Cinq facteurs de succès
Pour réussir l’implantation d’un système
d’intelligence économique, il est nécessaire de tenir
compte des facteurs clés de succès caractérisant
tout projet innovant :
-
disposer de l’appui constant de la direction générale
(« un parrain puissant, haut placé dans la hiérarchie
»)6 grâce à un comité de pilotage
de haut niveau,
- avoir un projet clairement défini : responsable affecté
à plein temps, cahier des charges précis,
-
faire en permanence preuve d’enthousiasme,
-
être très professionnel, ajouter à l’enthousiasme
la compétence et l’opiniâtreté,
-
disposer de ressources suffisantes.
Si ces conditions sont remplies, le projet a toutes
les chances d’être bien implanté. Il conviendra de le
faire vivre en intégrant les évolutions nécessaires.
- François Jakobiak, L’intelligence économique en pratique, 2e édition, Les éditions d’Organisation, 2001.
- Voir le site http : //www.aaeiae-paris.asso.fr/clubies. html.
- F. Jakobiak, op. cit.
- Philippe Baumard, Stratégie et surveillance des environnements concurrentiels, Masson, 1991.
- F. Jakobiak, op. cit.
- Thomas Durand, Séverine Herrsher, Fabien Seraidarian, Technologies organisationnelles pour l’entreprise, CM International et DIGITIP, Direction générale de l’industrie, des technologies de l’information et des postes, juillet 2002.
http://www.constructif.fr/bibliotheque/2004-5/un-atout-supplementaire-pour-les-grandes-entreprises.html?item_id=2563
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